jeudi 11 février 2010

Trop tard pour pleurer ?


Il n'est jamais trop tard… pour sauver les crocodiles !
La réforme territoriale rencontre une fronde des élus des collectivités territoriales de la commune à la région, et même parfois jusque sur les bancs du parlement. Cette grogne dépasse le camp politique de l'opposition pour inquiéter aussi des élus locaux de droite.
Le slogan mobilisateur sur la perte de la proximité et la mise en danger de la démocratie locale est facile à adopter pour soutenir la protestation dans les rangs citoyens.
S'agit-il donc d'un coup de tonnerre dans un ciel serein ? Est-il si simple de contester une orientation dont les effets néfastes habitent d'abord les représentations électives ?
Non ! La situation faite aujourd'hui au tissu territorial n'est que l'aboutissement d'une lente mais sure régression démocratique accompagnant le dé tricotage des structures héritées de la Révolution et qui s'étaient confortées pendant presque deux siècles jusqu'à l'émergence de l'Europe dans la seconde moitié du XXème siècle.

Des communes se font et se défont.
L'entité communale héritée des paroisses de l'ancien régime, s'est laïcisée et affirmée dans la logique de proximité d'ouvrages et de services attachée à un espace territorial dont la dimension était souvent dictée par la géographie, les activités et l'histoire des liens communautaires.
Les mouvements de rapprochement, de fusion ou de scission ont toujours existé, répondant à des volontés locales construites au fil du temps. Les mouvements les plus limités font que des morceaux de territoire changent de rattachement et les mouvements peuvent parfois s'inverser, l'exemple de Ferrières sur Sichon en atteste. Commune née du rapprochement de La Roue, La Montagne et Les Barres au début des années 1790, elle sera démembrée à peine un siècle plus tard en 1880 pour donner naissance à La Guillermie et Lavoine à côté d'un Ferrières sur Sichon qui subsiste.
Louchy et Montfand en 1830, Pouzy et Mésangy en 1826, Espinasse et Vozelle en 1829, nombre de communes sont nées de l'union de plusieurs existantes.
Du côté de chez moi…
Ce qui se dessine aujourd'hui n'a rien à voir avec ces mouvements. Rien à voir non plus avec les grands mouvements coopératifs du XXème siècle. En effet la révolution industrielle avait redessiné beaucoup de paysages urbains tout en activant des territoires ruraux sur les sites de production de matières premières ou d'énergie. C'est à ces phénomènes que Noyant, Châtillon, Montvicq ou Doyet, Buxières ou Saint-Hilaire, doivent leurs heures de gloire avec des populations conséquentes élargissant l'assise paysanne de leurs campagnes tout en transformant la société paysanne aspirée pour partie par la mine.
Pour d'autres ce sera l'implantation d'établissements particuliers comme les sanatorias de Rocles ou Tronget qui ont fourni pendant plus d'un demi-siècle plusieurs centaines d'emplois locaux donnant une coloration particulière à la société locale sous l'emprise bien paternaliste des directions.
La distribution collective de l'énergie électrique ou celle de l'eau, l'entretien des chemins ou la lutte contre les calamités ont fourni d'excellents laboratoires de ce que pouvaient être les coopérations territoriales utiles et efficaces quand c'est la nature même de la mission qui détermine le périmètre et le fonctionnement du collectif qui s'engage. Les SIEGA et autres syndicats des eaux sont les survivances tourmentées de la période de croissance. Il en va tout autrement des bricolages politiciens des EPCI d'aujourd'hui qui ont pour premier objectif de constituer quelques fiefs électoraux en même temps qu'ils privent les élus locaux des prérogatives qui étaient les leurs et échappent de la sorte à leurs mandants directs.
Ces quelques observations ne font que confirmer l'idée selon laquelle les collectivités territoriales sont des entités vivantes, des communautés qui inscrivent leur développement ou leur régression dans un contexte local spécifique très sensible au cadre plus large des conjonctures régionales ou nationales et des orientations politiques qui les encadrent.
Il reste encore des quantités importantes de charbons sous les terres de nos ex communes minières ; mais le temps n'est plus à la consommation de l'énergie fossile et le charbon est condamné à dormir sous nos pieds pendant que certains s'activent à l'élévation des pylônes d'éoliennes en quête de vent sous le regard noir des nouveaux Dom Quichotte...
Puits Saint-Gilbert, la Tombe, la Butte, … Il ne reste plus que quelques traces discrètes dans le paysage des mines de la Providence, des Gabeliers ou des Bérauds à Tronget.
Mais il reste encore deux morceaux d'établissements de santé sur les sites de Rocles et de Tronget construits par François Mercier il y aura bientôt un siècle. La politique de santé publique toute orientée vers des économies d'échelle. La concentration des structures servant des perspectives de rentabilité dans un système de santé livré au marché a conduit à faire des deux établissements de Rocles et Tronget une même entité pour l'englober ensuite dans une nouvelle structure, l'hôpital Cœur du Bourbonnais, dont le pôle de pilotage s'est déplacé à Saint-Pourçain sur Sioule. Des services déménagent, dautres sont sous-traités, c'est le travail qui s'en va; et pour ce qui reste mobilité et précarité achèvent la perte de repères locaux. Ce ne sont que quinze ou vingt kilomètres de distance, mais dans les têtes et les pratiques les choses vont bien au-delà et ces anciens établissements deviennent des corps de plus en plus étrangers au pays qui les supporte. Sans compter que le service de santé local que de tels établissements pourraient rendre n'est absolument pas développé et les collectivités envisagent de construire des « maisons médicales à deux pas de ces plateformes existantes laissées en friche.
Les collectivités sont bien des corps vivants susceptibles de suivre des cycles de vie ordinaires avec les trois grandes phases de la croissance et du développement avant la régression. Jeunesse et âge adulte dans la logique de l'action mobilisatrice et vieillissement déplorable dans la déploration témoignent trop souvent de l'insupportable prétention de ceux qui gouvernent, au si petit niveau que ce soit, que la vie de leur environnement doit décliner avec la leur. Un niveau de compétence assez incertain associé à des orientations politiques bien mal assurées chez les élus des communes rurales depuis plusieurs décennies ne fait qu'accélérer le processus de dévitalisation des territoires que de grandes orientations nationales et européennes ont introduites depuis le Plan Mansholt.
Finalisé en 1972, ce plan proposait un programme de restructuration de l'agriculture communautaire, soutenu financièrement par des fonds structurels spécifiques, avant tout le FEOGA.. Il a pour objet de réduire le nombre de personnes employées dans le secteur agricole, afin de dégager des gisements de productivité, et d'encourager la formation d'unités de production plus grandes et plus rentables dans les régions les plus productives, dans le but de favoriser les économies d'échelle. "Le Plan Mansholt" se réduit finalement à trois directives européennes qui, en 1972, concernent la modernisation des exploitations agricoles, la cessation d'activité agricole et la formation des agriculteurs.
Il aura suffit d'un demi siècle pour faire passer les agriculteurs de la domination des hobereaux maîtres des terres à celle tout aussi aliénante des banquiers et bailleurs d'aides qui en autorisent quelques uns à crâner au volant des plus gros tracteurs attelés des machines les plus sophistiquées pour produire dans le carcan des quotas ce qu'on les autorise à produire bien guidés par quelques satellites, et accessoirement par quelques techniciens bien formés à l'accélération du processus…
Les effets mesurables de cette politique agricole qui a largement contribuée à l'évolution des collectivités rurales en termes d'activités et de ressources sont clairs :
De 1970 à aujourd'hui, plus de 60% des exploitants ou coexploitants ont disparu ; il ne reste qu'un(e) conjoint(e) sur six en activité. Les trois quarts des exploitations familiales ont disparu en même temps que près de 60% des emplois salariés s'évaporaient aussi.
Sans s'attarder sur la qualité de ce qui reste d'activité agricole dans nos campagnes il est difficile d'échapper au constat, les faits étant têtus, gommer les trois quarts d'une population d'actifs dans un secteur d'activité, sans installations compensatrices ne peut qu'avoir un effet asphyxiant.
Fatal, tout ça ?
Bien sûr que non ! Mansholt, ministre socialiste des Pays Bas, n'a été qu'un artisan parmi beaucoup d'autres, du processus de construction européenne inféodée au marché et livrée aux appétits capitalistes. Il était bien dans la préfiguration de l'Europe de Maastricht, du traité de Lisbonne ou de la constitution européenne sortie par la porte du referendum et rentrée par la fenêtre du parlement dans le triste consensus de la droite et des socialistes.
Le sort de l'agriculture n'est guère différent de celui de la sidérurgie, du textile et de tous les pans de l'industrie qui n'ont de cesse d'exporter la production des profits sur le dos des peuples exploités pour nous laisser ici confrontés aux friches industrielles, aux cataclysmes sociaux et au partage obligé via les restos du cœur et autres cautères sur jambes de bois, de la seule chose qui reste : la misère et la désespérance.
Quel rapport avec la réforme territoriale, me direz-vous ?
Une relation très directe pour moi. Si une des fondations de la démocratie à la française héritée du Siècle des Lumières et des révolutions qui ont émaillé les deux derniers siècles de notre histoire, c'est la proximité des échelons successifs de représentation élective, avec son premier échelon dans les 36000 communes qui font le tissu local de la France, toutes les mesures et actions qui ont vidé les territoires (aussi bien les zones rurales que les banlieues) ont préparé, rendue posssible, voire même souhaitable pour certains, la réforme qui vient.
Pour être mieux à la portée des politiques de comptoirs qui lèvent plus souvent le coude que le poing dans les manifestations, un clin d'oeil souriant s'impose.
Les fondations de la commune s'appuient sur trois pôles importants : l'église, l'école et le bistro… traduit pour sarkoland, c'est Notre-Dame, la fac Pasqua (on dit Pôle Universitaire Léonard de Vinci à Neuilly) et le Fouquet's !). (J'ignore volontairement l'élément important que constitue le patrimoine, Paris ayant conservé sa tour Eiffel quand d'autres rasaient leur marché couvert).
L'église.
Elle marquait la filiation des paroisses aux communes et a longtemps servi de point de rencontre pour servir le troisième point de la devise républicaine, la fraternité. Ce troisième précepte de notre devise s'était imposé plus de trois ans après les deux premiers lorsqu'en 1793 le pouvoir de la république était accaparé par la bourgeoisie. Et à la porte des églises, dans la bonne logique de la charité qui faisait tendre la main aux pauvres pour recevoir l'obole, il invite à considérer que les différences sociales sont naturelles et qu'il est de bon ton de les faire perdurer sans que les manants s'en émeuvent. Aujourd'hui les clochers sont illuminés des nuits entières pour faire oublier qu'elles sont vides le jour et que les ministres du culte ne sont plus guère présents, comme les paysans devenus agri managers ils ont étendu leurs domaines à la dizaine des paroisses voisines.
L'école.
Jadis on l'appelait la communale, mais elle n'est plus ce qu'elle était, quand elle est encore! Là aussi la déperdition des populations rurales et en particulier des jeunes actifs l'a largement dépeuplée. L'arrivée de populations de substitution avec l'accueil de celles et ceux que les villes excluent et rejettent hors de leurs murs et même de leurs banlieues ne peut compenser l'hémorragie. L'école n'est plus communale. Les instituteurs en devenant professeurs des écoles ont gagné cinq ans de travail en plus avec la retraite à 60 ans et perdu leur droit au logement de fonction. L'évolution de la formation des enseignants plus longue avec sa phase universitaire (et ce serait très bien de mieux former ) conduit aussi la plupart des personnels de l'éducations'installant plus tard au travail à écarter très volontairement leur lieu de vie de leur lieu de travail. De la sorte l'école, quand elle subsiste est devenue une activité hors sol, une sorte d'atelier auquel on confie la jeunesse pour un temps afin qu'elle en sorte la moins inadaptée possible à un avenir qu'on est incapable de dessiner puisqu'il ne s'inscrit plus quelque part. De la même façon que les paroisses et les exploitations agricoles se sont regroupées, les écoles se rassemblent aussi en RPI et réseau d'écoles dont le premier but non avoué bien sûr, pour l'administration est l'économie d'échelle. Au bout du compte, on a fait rentrer dans les consciences qu'une commune sans école n'est pas une aberration sociale et politique. Dans le même temps la coopération décentralisée va s'employer à s'enorgueillir d'équiper chaque village de brousse de son école… en Afrique !
Le bistro.
 ... Ou plutôt les bistros, buvettes, restaurants, hôtels et salles de danse jalonnaient les rues de toutes les petites bourgades ; et les jours de foires ou de marché les remplissaient à ras porte. Je ne suis pas convaincu que leur disparition ait beaucoup diminué le degré d'imprégnation alcoolique des populations rurales, les excès réguliers se sont plutôt installés dans des lieux sans licence, arrière boutique, rendez-vous de chasse ou vieille ferme désaffectée, tribunes ou buvettes de stades peuvent aussi bien l'affaire à côté des initiatives associatives en salles polyvalentes. La frénésie répressive et sécuritaire de la lutte anti tout, en l'occurrence anti alcoolique, avec la législation et les contrôles routiers a sonné le glas de l'âge d'or du bistro comme lieu de socialisation, de rencontre et d'échanges. Aujourd'hui ne s'y retrouvent guère que quelques piliers de comptoirs et le week-end en salle à côté du bar, la clientèle du restaurant, le plus souvent venue d'ailleurs.
Pour sauver le dernier attribut communal avec le cimetière, beaucoup de municipalités ont investi pour fournir au tenancier du bistro les murs et les outils qui vont avec. Il y a deux matins en conseil municipal on peinait à décider de refaire les papiers vieux de trente ans dans le logement de fonction de l'instituteur… Aujourd'hui on va recevoir l'architecte à la mode au chef lieu qui a dessiné le projet du restaurant et pourquoi pas de l'épicerie, qu'on va financer avec les fonds publics des collectivités territoriales, quelques dotations d'Etat et quelques subsides européens généreusement accordés avec l'appui du député du coin. Et sans avoir fini de bien assimiler le montage financier du projet en question les élus municipaux bénéficieront d'une information rapide sur l'avancée du chantier de la maison médicale offerte pour un loyer « raisonnable » aux professions libérales de la santé qui vont y loger leur cabinet.
Chacun comprendra qu'il faut bien effectivement réduire significativement le nombre des fonctionnaires, qu'ils soient d'Etat, de la territoriale ou de l'hospitalière, si on veut qu'il reste un peu d'argent public pour "soutenir l'activité économique" et servir les intérêts privés.
Que reste-t-il à la commune, sinon quelques guenilles de compétences pas nécessairement gratifiantes à assumer ? Que reste-t-il à la commune qui, comme toutes les autres collectivités s'est souvent empressée de précipiter sa perte en fixant les yeux sur le miroir aux alouettes des agencements communautaires dictés par le pouvoir et qui échappaient complètement aux populations.
Et après ?
Après, les larmes peuvent venir aux yeux, et même la colère gonfler la gorge, c'est peut-être trop tard pour découvrir que la démocratie qu'on a détruite en la pratiquant de travers n'était pas assez « participative », pas assez ouverte aux jeunes, à la diversité, pas assez soucieuse de maintien, du développement ou de la création de services publics, etc.
C'est bien vers le terme d'un processus engagé depuis fort longtemps que l'on s'achemine. Les différentes vagues de décentralisation ont servi d'anesthésiant en donnant l'illusion du pouvoir aux politiques locaux quand ils n'ont plus de marge de manoeuvre et qu'ils se réveillent aujourd'hui conscients qu'ils ne font plus qu'exécuter ce que le pouvoir central les autorise ou leur enjoint de faire.
C'est la République qui est mise à mal, et les larmes de beaucoup des crocodiles du marigot politique d'aujourd'hui sont bien indécentes. Au mieux arroseurs arrosés, au pire pompiers pyromanes, la plupart des élus qui crient aujourd'hui au scandale de la réforme territoriale se réveillent bien tard avec la gueule de bois en oubliant qu'ils ont participé au festin. Les citoyens qui grossissent à n'en plus finir les rangs des abstentionnistes depuis des décennies n'ont pourtant pas manqué de les alerter, surtout si on considère que ce sont les électeurs des milieux les plus défavorisés qui votent avec leurs pieds.
Je ne suis pas sûr que ce soit d'une réforme territoriale que la pays ait besoin; plutôt d'un renversement des processus dévastateurs qui ruinent nos territoires en rendant les citoyens véritablement acteurs de la transformation, certains diraient une révolution !
Pourquoi pas ? 

1 commentaire:

depoilenpolitique a dit…

Tu as bien dit , et je ne suis pas certains que quelques camarades élus n'aient pas joué les chiens crevés au fil de l'eau Hélas , mais toi comme moi et bien d'autres n'avons pas le droit de se taire , le capitalisme ultralibéral a foncièrement engagé la machine infernale mais si les gens se sont mis à voter avec les pieds ,il ne faut pas les prendre pour des demeurés , ils n'ont pas trouvé leur compte ailleurs ,,et là c'est la responsabilité de toute la gauche , il ne faut jamais tricher avec le peuple , mais les yeux dans les yeux lui dire la vérité , et la vérité, : c'est la force du nombre face à un capital arrogant , la vérité c'est aussi ,prendre conscience de la désinformation ambiante de tous les grands Médias , outils à la discrétion des pouvoir ultra libéraux , la vérité c'est aussi reposer le rôle de la gauche , c'est à dire des progressistes dans le monde , et bien faire que le peuple est acteur à party entière de sa destinée , il suffit de lui en faire prendre conscience!
Fraternellement
Jean Claude