Pensez-donc !

Cette page va conserver précieusement les quatre volets du dossier consacré par l'Humanité aux fumeux "think tanks"... Tout pour dépoussiérer l'optimisme des voeux en révisant la conjugaison du CAC 40 !

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  • nous y croyons
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Enquête. Quel rôle jouent les laboratoires d'idées? 

Les Think tanks Une véritable sous-traitance de la pensée politique ?

En grande partie financées par les patrons du CAC 40, ces « boîtes à idées » importées des États-Unis sont devenues des laboratoires de la pensée unique qui aseptisent le débat politique et occultent la pensée critique.

« Ah, la France a besoin de ce type de débats de grande qualité ! », lâche un universitaire qui a convié ses élèves à boire les paroles des intervenants du Troisième Forum des think tanks, grand-messe annuelle censée permettre de croiser les recherches de chacune des vingt structures présentes et alimenter le débat politique. Au menu du matin : « Comment atteindre le bon équilibre budgétaire ? » Devant un amphithéâtre de la Sorbonne bondé, Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), Pierre-Mathieu Duhamel, ancien directeur du budget au ministère de l’Économie pour 
l’Institut Montaigne, et Michel Rousseau de la Fondation Concorde, se relayent pour dire tout le mal qu’ils pensent de « l’excès de dépenses publiques ». Pas un contradicteur à la tribune pour leur rappeler que l’effondrement du système financier a été évité par une intervention publique d’une ampleur inédite, dont les peuples paient la facture aujourd’hui. Qu’importe, puisqu’ils assument le job : créer du consensus politique qui corresponde aux besoins des multinationales qui les financent. Et rien ne leur échappe : emploi, retraites, santé, université…

La règle d’or ? Elle est née à la Fondapol. La primaire socialiste ? Une idée sortie du bureau de Terra nova, proche du PS. Le « coût du travail » ? Un marronnier de l’Institut Montaigne. Ces think tanks (soit des « réservoirs d’idées »), se donnent pour objectif « d’éclairer la décision publique », de livrer clé en main des propositions aux partis politiques. Contrairement aux fondations « classiques », qui assument une vocation scientifique, ces « boîtes à idées » directement importées des États-Unis, se sont imposées dans le débat public grâce à l’omniprésence médiatique de leurs « experts » interchangeables, au point d’influencer directement 
les programmes des partis politiques, voire même rédiger à leur place 
le contenu des lois.

En 2010, une cinquantaine des propositions avancées par la Fondation Montaigne a fait l’objet d’un débat au Parlement, vingt-cinq d’un projet de loi. Un constat qui fait froid dans le dos quand on connaît les desseins de cette structure dirigée par l’ancien patron d’Axa, Claude Bébéar. « Le débat public étant souvent le monopole des partis politiques et de l’administration, nous voulons donner la parole à des acteurs de la société civile venus de divers horizons et qui cherchent à s’affranchir des schémas de pensée préexistants », explique celui dont l’objectif serait « d’influencer utilement le débat public en apportant des idées pragmatiques et originales ». Alors, qui sont ces acteurs de la société civile aux idées originales de cet Institut qui bénéficie du plus gros budget, près de 3 millions d’euros, financés par des dizaines de grandes entreprises comme Areva, SFR, Vinci ou Total ? On a beau chercher, nul syndicaliste ou militant associatif n’apparaît sur l’organigramme de l’Institut Montaigne, où fourmillent banquiers, chefs d’entreprise, avocats et autres consultants. Car les grands patrons ont bien compris l’utilité de ces think tanks, nouveaux nerfs de la lutte idéologique, qu’ils financent allègrement comme un investissement pour l’avenir, Quitte à ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier, GDF Suez ou EDF finançant des fondations de droite et de gauche.

Pour asseoir leur caution scientifique, ces think tanks brassent une armée d’« experts » consacrés, avec leurs animateurs vedettes, dont la parole doit faire autorité dans le débat public, dégainant à chacun de leurs passages télé une marée de rapports et de sondages. « Ces pseudos experts ont horreur de tout ce qui ressemble à de la réflexion critique », explique Louis Pinto, qui leur a consacré un essai, le Café du commerce des penseurs. À propos de la doxa intellectuelle. Citant l’exemple des rapports Minc ou Attali, le sociologue démontre comment toutes ces études prennent appui sur « le même logiciel idéologique », usent du même champ conceptuel pour imposer la vulgate néolibérale et sa valorisation des « réformes ». En tête de liste : la transformation des systèmes de protection sociale et des services publics sur le modèle de gestion du privé. « Le refus des extrêmes » est un autre marronnier prisé par ces think tanks, qui consiste à renvoyer dos à dos positions réactionnaires et révolutionnaires pour mieux valoriser « une troisième voie ». Pour Louis Pinto, la révolution conservatrice qui s’est opérée dans cette région du champ intellectuel s’est traduite par 
« la conversion de la gauche aux 
présupposés de la pensée néolibérale » et a renforcé le bipartisme.

« Les partis politiques ont le nez dans le guidon et ont du mal à produire des idées nouvelles », répète-
t-on dans les think tanks. Ces derniers seraient même devenus « les amphétamines intellectuelles de nos décideurs politiques », selon Stephen Boucher et Martine Royo, qui leur ont consacré un livre (1). Pour les auteurs, les think tanks serviraient à pallier l’impuissance et l’incapacité des politiques à imaginer des nouvelles solutions face à la crise économique et financière. Autrement dit, leur toute-puissance aurait accompagné « la délocalisation du cerveau politique ». Et offert aux patrons du CAC 40 un nouveau moyen de court-circuiter les démocraties et de « gouverner les gouvernements ».



(1) Les Think tanks. Cerveaux de la guerre 
des idées, par Stephen Boucher 
et Martine Royo, éditions Le félin, 2012, 
176 pages, 16,90 euros.





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Enquête. Quel rôle jouent les laboratoires d'idées ? 

Terra Nova. La fondation est-elle encore
 le nouveau monde du PS ?


Après avoir avec succès porté la primaire socialiste, 
le think tank fondé 
par le député PS Olivier Ferrand, disparu l’an dernier, peine à retrouver 
une même audience au sein du pouvoir.

Un monde nouveau, rien que ça. Ce n’est pourtant pas l’ambition contenue dans son nom même qui a fait le succès du think tank Terra Nova, qui s’affirme « progressiste », mais plutôt l’intuition géniale de son fondateur, Olivier Ferrand. L’intuition qu’il y avait une place à prendre, dont convient Bruno Rebelle, ancien conseiller développement durable de Ségolène Royal, qui souligne que « Terra Nova est né après 2007 du constat de manque, à la gauche sociale-démocrate, d’un outil permanent de réflexion ».

Son plus grand succès est connu : avoir porté la primaire socialiste et « pensé également des choses comme la transition énergétique », avance encore Rebelle. Lequel avoue : « Nous sommes allés très, très loin dans certains domaines, pour proposer des politiques et leur mise en œuvre, jusqu’à l’architecture des lois. » Au point d’en rédiger déjà les décrets ? Il ne dément pas. Et argumente : « Comme le dit Henri Weber, les partis politiques ne parviennent plus à réfléchir. L’homme politique est aujourd’hui en permanence en représentation. » Ce temps de cerveau qui n’est plus disponible, le think tank se propose de le restituer sous forme de prêt-à-penser. François Hollande a ainsi reçu les représentants de Terra Nova dans son bureau pour qu’on lui parle jeunesse bien avant la primaire. Pour Bruno Rebelle, l’essentiel c’est le cliquet : quand il y a un cran de gagné, plus de retour en arrière possible. Car « l’important n’est pas dans le résultat électoral, on est ambitieux et humble ».

Tout think tank a bien entendu intérêt à dire qu’il influence. Terra Nova aurait-il plus d’influence qu’on ne l’imagine, mais moins qu’il le suppose ? Guillaume Klossa, fondateur du think tank EuropaNova (dont Cynthia Fleury, collaboratrice de l’Humanité, est vice-présidente), reconnaît à Olivier Ferrand le talent d’avoir « vu qu’il y avait au PS un trou que ne remplissait pas la fondation Jean-Jaurès, qu’il fallait s’en occuper à plein-temps, en s’appuyant sur tous ces jeunes gens qui avaient envie d’entrer dans les cabinets ministériels ». Ces stagiaires de longue durée qu’emploie la fondation, riche d’un budget confortable pour la France (autour d’un million d’euros, financé à 80 % par le mécénat d’entreprise : Areva, Vivendi, 
la SNCF, GDF Suez, Casino, EADS…) mais employant trois salariés seulement. Un trou pas encore comblé si l’on relève que, pour l’heure, à l’instar de ce que relève un observateur : « Seuls quelques Terra Nova purs sont entrés dans les cabinets ministériels, et encore, par d’autres réseaux que ceux de la fondation. C’est dire aussi la méfiance du politique à l’égard des think tanks. » Les cabinets ministériels se sont constitués largement encore par les voies classiques des énarques – et du personnel déjà là durant la période 1997-2002. Mais comme Terra Nova a commandé beaucoup de notes à beaucoup de monde, on finit fatalement par tomber sur un terre-neuvien.

Terra Nova a su s’assurer dès ses débuts des partenariats privilégiés avec des médias amis (Libération, Rue89, le Nouvel observateur, etc.) qui ont relayé sa production et assuré à Olivier Ferrand une présence dans les médias. C’en était même l’unique fonction, selon une enquête acide, publiée en février 2010 par le Monde diplomatique, de l’historien Alexander Zevin, brossant le portrait féroce d’un think tank lui semblant « en fait plus en compétition avec le PS », avec la volonté de « médiatiser ses animateurs » plutôt que d’être un véritable réservoir d’idées.

Les idées, justement. Des notes qui accompagnent la technocratisation de la politique, sans révolutionner : le think tank qui veut « favoriser la rénovation intellectuelle de la social-démocratie » n’a pas oublié ses racines strauss-kahniennes. La note conseillant d’abandonner l’électorat populaire, ou celle prônant un communautarisme dans la République : pour ses adversaires, ce qui est le plus novateur dans la production de Terra Nova, c’est sa capacité à habiller de mots de gauche des idées piochées à droite. La note sur les fruits de la croissance déconseillait toute « revalorisation volontariste du Smic », arguant que la pauvreté au travail est le fruit de « l’insuffisance du nombre d’heures travaillées ». La demande de tripler les frais d’inscription à l’université était formulée pour « remettre plus d’égalité dans le système ». Celle de se limiter à la simple transparence des rémunérations de dirigeants devait se suffire à elle-même, tant « l’exposition publique est un instrument classique de modération ».

Quand la fondation s’avance 
davantage, il lui arrive de se tromper lourdement. Thomas Chalumeau, directeur des questions économiques, écrivait dans le Monde à la fin de l’an dernier que la perte du triple A de la France serait « la fin d’une époque », dans une tribune qui, dans son titre, parlait même de « catastrophe » : on sait la suite. Avec la disparition brutale de son fondateur en juin 2012, le think tank peine à retrouver la visibilité médiatique qui a fait son succès. Il compte sur François Chérèque, l’ancien secrétaire général de la CFDT, pressenti pour sa présidence, pour regagner du terrain. C’est au fond, a posteriori, la validation de l’analyse de 2010, voulant que le véritable objectif de Terra Nova soit de « changer les règles qui président à la désignation des élites du PS ». La première étude de Terra Nova annonçait, il est vrai, la couleur, vantant la primaire comme le moment où « les leaders nationaux de la nouvelle génération, que leur talent qualifie pour la présidentielle (…), des outsiders comme Manuel Valls, Vincent Peillon, Arnaud Montebourg, puissent se présenter ». Tous sont désormais ministres.

Lionel Venturini




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Enquête. Quel rôle jouent les laboratoires d'idées?

Médias et experts

Quand l’information fait
la courte échelle au libéralisme


L’essor des think tanks correspond
à la multiplication 
des chaînes d’info 
en continu. 
Elles ont besoin de meubler leurs plateaux ? Les think tanks ont justement besoin de visibilité pour assurer 
la promotion gratuite de leurs idées.

Ce sont les enfants de la TNT. L’essor des chaînes d’information en continu correspond au début de l’âge d’or, à l’orée des années 2000, des think tanks, de plus en plus prisés à l’ère de l’information 24 heures sur 24. BFMTV, i-Télé, LCI et consorts ont besoin de remplir leurs plages horaires à bon compte. Ce fut donc l’ère du talk-show, bien moins cher que toute autre production. Un plateau, des invités qui viennent gratuitement, et c’est parti pour une heure de débat où chacun y trouve son compte : pas d’expert sans visibilité médiatique, pas de débat sans son expert… Plus les sujets abordés sont complexes, plus l’expert, en schématisant, se rend utile en remâchant une synthèse guère révolutionnaire. Un exemple ? La réduction des dépenses publiques : une évidence indiscutable. Tandis que de faux clivages sont suscités – sinon, pas de débat –, rares sont les journalistes à pouvoir porter la contradiction, voire la simple vérification. Splendeur de la pensée technocratique et misère du journalisme.

Puisque la plupart s’inscrivent dans une doxa libérale, employons leur vocabulaire : quatre poids lourds se partagent le gros du marché. Sur le versant libéral assumé, euphémisme pour ne pas dire « à droite », bien qu’ils se défendent de toute attache partisane, l’Institut Montaigne et la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol). Plus discrète, quoiqu’assez bien dotée financièrement, la Fondation Concorde, orientée vers les questions économiques. Sur l’autre versant, Terra Nova (voir l’Humanité de mercredi 2 janvier) et, dans une moindre mesure, la Fondation Jean-Jaurès, adossée au PS. Roger Lenglet et Olivier Vilain, auteurs d’Un pouvoir sous influence, ont mesuré le nombre de fois où les think tanks sont cités publiquement par les parlementaires et dans les médias. À ce jeu, les plus influents en France seraient Terra Nova, l’Institut Montaigne et l’Association française des entreprises privées (Afep).

Michel Rousseau, président de la Fondation Concorde (parrainée par Jérôme Monod, conseiller politique de Jacques Chirac, lui-même à l’origine de Fondapol), l’admet volontiers : le but est de « ramener les décideurs autour de nos idées ». Il se targue, avec les économistes libéraux de la fondation, d’avoir poussé le thème de la réindustrialisation dans la campagne présidentielle, en rassemblant, dès mars 2011, pour une journée d’étude à l’Assemblée nationale, « aussi bien Jean-François Copé que François Hollande », Louis Gallois ou Anne Lauvergeon. Si Michel Rousseau prend acte du nouveau pouvoir en place et du renouvellement des générations qui va s’opérer, il n’entend pas en être écarté, et compte pêcher dans les cabinets ministériels de futurs experts. Non pour intégrer une nouvelle pensée socialiste, mais… pour faire perdurer les idées de Concorde. L’objectif n’est ni plus ni moins que de « remplacer les idéologies d’ici dix ou quinze ans ».

Et quoi de mieux que les médias dominants comme vecteur de diffusion ? Le documentaire de Gilles Balbastre, les Nouveaux Chiens de garde, a listé scrupuleusement ces économistes qui disposent d’un rond de serviette attitré. « Nous avons, dit-il, décompté que des économistes hétérodoxes comme Frédéric Lordon ou Jean Gadrey sont invités vingt à trente fois moins sur les plateaux en une année que des personnalités libérales comme Alain Minc, Michel Godet, Jean-Hervé Lorenzi, Élie Cohen ou encore Daniel Cohen… Ces experts-là sont directement employés par les puissances financières, conseillers ou administrateurs. Savoir cela balaie la légitimité de leurs expertises. »

Et ils ne squattent pas seulement les plateaux télé : entre septembre 2010 et juin 2011, Jean-Hervé Lorenzi, l’une des têtes de Turc du documentaire, a eu à peu près une invitation tous les trois mois dans le Carrefour de l’économie sur France Inter. « Entre 1998 et 2011, la fréquence des articles du Monde renvoyant à des think tanks a été multipliée par 15 », relèvent encore Lenglet et Vilain dans leur livre. Ajoutons une distorsion supplémentaire, « 80 % des experts utilisés par les médias français sont des hommes », selon le rapport 2011 de la commission sur l’image des femmes dans les médias.

Le libéral Institut Montaigne de Claude Bébéar a même coproduit la diffusion sur la chaîne publique LCP de « débats de campagne » où, des clubs libéraux aux multinationales, l’entre-soi domine (excepté la présence de Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, opposé au PDG d’Atos, l’ancien ministre Thierry Breton).

40 % environ du financement des think tanks libéraux est issu de banques ou compagnies d’assurances, le reste provenant d’entreprises ayant largement profité de la mondialisation. On n’en discutera donc guère ses ravages. Entre les grands médias et les réservoirs d’experts, c’est donc audience contre influence. Le schéma voulant qu’experts issus des think tanks et médias se fassent la courte échelle a toutefois une faille : la crédibilité des seconds, en perte de vitesse. La résistance du public a ainsi pu se mesurer en 2005, lors du référendum sur le traité constitutionnel européen, que le non des Français a rejeté à 54,5 % quand la plupart des grands médias vantaient, à grand renfort de voix « autorisées », le oui.

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Enquête. Quel rôle jouent les laboratoires d'idées ? 

L’hémisphère Gauche : Les nouveaux lieux
 de la "pensée critique"

Des fondations aux Économistes atterrés, de multiples structurent existent aussi à gauche pour déconstruire le discours dominant et renouveler la pensée critique. Inaugurent-elles un nouveau mode d’engagement politique ?

« Il ne faut surtout pas déserter ces espaces », confie Alain Obadia. Dans le cadre du troisième Forum des think tanks, le président de la Fondation Gabriel-Péri participait, le 15 décembre, à un débat sur les « Dépenses publiques ». Au milieu d’une armée d’« experts » interchangeables issus des « laboratoires d’idées » les plus médiatiques, comme Terra Nova ou l’Institut Montaigne, une autre musique se fait entendre. Celle qui rappelle que le progrès humain devrait être la finalité, « à un moment où l’on n’offre d’autre perspective que la régression sociale au nom d’une vision “réaliste” de la mondialisation». « C’est un peu David contre Goliath », ironise un étudiant, lassé qu’on lui entonne toujours « la même chanson sur la dette et l’État dépensier ».

Aux antipodes des « boîtes à idées » en grande partie financées par les patrons du CAC 40 (voir l’Humanité du 31 décembre), la Fondation Gabriel-Péri assume sa vocation scientifique. Créée en 2004, à l’initiative du PCF, elle est l’une des cinq fondations reconnues d’utilité publique et financées par l’État. Ce projet, porté par Robert Hue, reposait sur deux objectifs : « travailler à comprendre l’histoire récente, et en particulier celle du mouvement ouvrier et communiste en France », mais aussi créer « un espace de rencontres et de confrontations intellectuelles utiles au progrès social ». « Au moment où s’accentue le fossé entre les lieux de décision politique et les réalités populaires, où seules les idées libérales exercent leur lobbying sur les politiques et sont surreprésentées dans les médias, la fondation avance des objectifs en lien étroit avec les dynamiques en œuvre dans les mouvements sociaux et dans les mobilisations populaires », rappelle Alain Obadia, à sa tête depuis mai dernier. Basée à Pantin, totalement indépendante financièrement, la Fondation Gabriel-Péri assume de ne pas livrer des « kits de prêt à penser » en vue d’échéances électorales, comme le font Terra Nova, pour le PS, ou la Fondation pour l’innovation politique, pour l’UMP. « Les fondations ne doivent pas être en concurrence intellectuelle avec les partis politiques. Nos activités se veulent à la fois utiles à la société tout entière, mais aussi un outil de réflexion privilégié pour les militants de gauche, et en particulier communistes. La bataille des idées, nous la menons sans être soumis au rythme infernal de l’actualité, ni aux impératifs électoraux », précise celui qui est également dirigeant du PCF.

Fondation Copernic

Depuis 1998, la Fondation 
Copernic, entièrement financée par les cotisations de ses adhérents, travaille elle aussi à « remettre à l’endroit ce que le libéralisme fait fonctionner à l’envers », dans une démarche qui se veut beaucoup plus militante. « Face à la domination des idées libérales, notre objectif était de déconstruire le discours dominant et de proposer des alternatives en mélangeant les cultures et les origines de nos contributeurs, en faisant débattre des gens qui n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble », explique Pierre Khalfa, son coprésident. La Fondation 
Copernic assume vouloir « construire des cadres unitaires larges, comme sur les retraites ou le référendum européen, créer des ponts entre syndicats et partis », comme l’affirme le syndicaliste. Mélange des genres ou recomposition des modes d’engagement politique ? La candidature de l’économiste Yves Salesse (alors coprésident de la Fondation) à l’élection présidentielle de 2007 n’a pas manqué de soulever la question. Preuve qu’une certaine confusion règne encore sur l’articulation entre la production intellectuelle de ces structures, leurs liens aux partis politiques, et la nécessité pour la gauche de construire des batailles unitaires.

Attac et les atterrés

D’Attac aux Économistes atterrés, de multiples lieux de « pensée critique » ont vu le jour ces quinze dernières années. Inaugurent-ils une nouvelle forme d’organisation politique et entérinent-ils la délocalisation du « cerveau politique » ? « Ces nouveaux cadres de réflexion ont indéniablement comblé le vide laissé par la désertion des intellectuels, le désarroi idéologique provoqué par la chute du mur de Berlin. La gauche et le Parti communiste en particulier ont mis du temps à se relever pour assumer le débat d’idées qui se posait tout à fait différemment », analyse un dirigeant du PCF. « Le Front de gauche, avec la dynamique militante et intellectuelle qu’il a su faire naître pendant la campagne présidentielle, peut représenter ce lieu de convergences entre la culture militante des partis et une production intellectuelle autonome », poursuit-il.

« L’époque “des intellectuels organiques” est bel et bien terminée », ironise un historien, qui se félicite que l’intervention des intellectuels se fasse désormais hors des partis, dans ces structures « qui garantissent leur indépendance, tout en assumant leur démarche militante ». Pour d’autres, cette désertion illustre « la mort cérébrale » de l’ensemble de la gauche, piégée par la « professionnalisation politique » et la technocratisation du débat publique. C’est ce qu’avance Philippe Corcuff, pour qui elle confond « discours critique et pensée critique ». « La résistance aux stéréotypes néolibéraux » en a fait naître de nouveaux, relève-t-il, « refermant trop vite le travail de l’interrogation ». Et le philosophe de soulever ce paradoxe : la gauche vient de gagner électoralement alors qu’elle était en état de « décomposition intellectuelle ». Autrement dit, le chantier reste ouvert.

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