samedi 6 février 2010

Technologies dites nouvelles...

La roue fut en son temps une très nouvelle technologie !
S'il faut remonter 3500 ans en arrière du côté de la Mésopotamie pour en trouver les premières traces, elle est restée sans usage sur le nouveau continent pendant de  nombreux siècles !
Amélioration considérable du chemin de rondins qui permettait de transporter des charges lourdes, elle allait révolutionner la vie des hommes, et parfois même des bêtes et des plantes !
Avec la roue c'est un grand saut technologique qui relègue au rayon des antiquités les deux perches croisées accrochées au dos des bêtes qui portaient les charges d'un campement à l'autre.
Avec la roue on va plus vite, plus fort et plus loin !

Et puis un jour, les hommes, résolument inventifs, équipèrent de roues leurs canons pour la guerre ! Avec la roue, les canons tueront plus, plus vite et plus loin.
Il en va ainsi de beaucoup des inventions humaines. Le progrès technologique est à l'image de l'homme qui le propulse, il est comme la médaille, brillant de face quand on oublie l'ombre de son revers.
Il est aussi une autre dimension dans l'invention des hommes; c'est la capacité de réinvestissement divergeant d'un élément qui donnera ainsi naissance à une nouvelle chaîne d'inventions. Il en va ainsi comme dans le grand arbre du vivant qui différencie les espèces au fur et à mesure de leur évolution adaptative.


Et la roue devint engrenage en passant par le génie créateur de Léonard de Vinci !
C'est la grande aventure de la transmission, de la démultiplication des efforts qui va pouvoir s'envoler ! Surmultiplication avec la quatrième de la boîte de vitesses de la 2cv ou réduction dans le mécanisme du treuil, l'homme dispose désormais d'un outillage nouveau à mettre au service d'autres inventions.
L'engrenage induit la transmission d'un événement d'un lieu à un autre, l'application d'un effet à distance, il matérialise le mécanisme élémentaire de la relation de cause à effet. Il instruit dans l'intelligence humaine la réduction du fatalisme en générant la curiosité des causes.
Il en va ainsi de beaucoup des inventions humaines. Le progrès ouvre de nouveaux champs d'investigation et par là même il élargit le potentiel intellectuel des hommes.
Tout n'est cependant pas réduit à un jeu mécanique. La pensée se nourrit bien des perceptions véhiculées par nos sens; mais l'imaginaire actif génère aussi les idées et les choses qui paraissent parfois surgissant du néant, en particulier dans le domaine de la création artistique. L'engrenage des uns articulé à celui des autres sera constitutif d'une complexité de l'action et de la pensée collective dont les ressorts font la société, la vie et les relations sociales. C'est là que le jeu de la communication s'enclenche dans le triptique des trois personnes : Je, Tu et Il (émission, réception, observation). La parole tourne entre les différents interlocuteurs qui sont autant de pignons d'un engrenage. Attention cependant à ne pas oublier la roue libre dans ce mécanisme qui pourrait vite confiner à l'asservissement ! Ne parle-t-on pas parfois de l'engrenage de la guerre ?

Il suffira de disposer tout autour de la roue quelques petits aimants pour qu'en appliquant un champ électrique au pourtour de la roue on invente le générateur d'électicité rotatif ou son pendant consommateur le moteur électrique. Longtemps après le "moteur pas à pas" arrive avec la miniaturisation et l'électronique qui va bien pour une précision que les sens humains ne sont plus à même d'apprécier; les lecteurs de disques magnétiques ou laser vont exploiter au mieux cette avancée.

La roue tourne, et Il en va ainsi de toutes les inventions humaines. Non seulement le progrès a élargi le potentiel intellectuel de l'homme, mais désormais il en augmente les capacités naturelles comme celles de la mémoire, de la combinaison et de la conservation des informations. Et l'homme va pouvoir perdre de ses capacités devenues obsolètes avec ses prothèses technologiques, pour en développer d'autres... Lesquelles ? 
Les avancées technologiques d'aujourd'hui ne sont guère différentes de celles du passées en ce qu'elles constituent une augmentation des hommes à penser et à faire. Elle ne sont miraculeuses que pour celles et ceux qui en font un usage ignorant, subi sous la contrainte et sans curiosité. Et c'est bien toujours là le danger aujourdhui, car la logique du marché qui se préocuppe plus de la consommation des objets que de leur usage utile aux hommes aura bientôt mis dans tous les foyers, non sans avoir auparavant investi les bureaux, les ateliers et enfin les écoles, les petites machines informatiques qui vont bien... mais pour quoi faire ?
Lorsqu'on aura bien habitué les gens à l'usage de la webcam avec laquelle ils expédient à travers le monde les traits de leur binette, comment les fera-t-on s'insurger contre le délire obsessionnel des caméras de surveillance ?
Lorsqu'on aura bien habitué les gens à l'immédiateté de la réponse à leur demande, comment leur fera-t-on comprendre que le temps de la réflexion est aussi nécessaire à l'action, avant d'agir !
Lorsqu'on aura bien habitué les gens à l'illusion de proximité de la messagerie instantanée ou des centaines d'amis virtuels des réseaux sociaux, comment leur fera-t-on saisir la nécessité et mesurer le plaisir du temps passé avec les vrais gens dans la vraie vie sociale, celle des frictions et des émotions, celle qui fait grandir ?
Lorsqu'on aura bien habitué les gens à la consommation d'un flot d'informations indifférenciées, sans références, ni analyses, ni commentaires, comment fera-t-on comprendre, et aux plus jeunes en particulier, que la maîtrise des savoirs, des savoir faire et des comportements est d'abord affaire d'apprentissages généralement coûteux en temps et en énergie ?


C'est peut-être bien là qu'est en jeu la démocratie sociale et politique en même temps que la liberté des individus.

Avec la roue mésopotamienne des hommes ont pu tirer profit de la sueur d'autres hommes et des bêtes.
Avec les machines et leurs engrenages, des hommes ont pu exploiter plus encore le temps, la force et la vie d'autres hommes et les ressources d'autres terres que les leurs à leur seul profit.
Avec l'ère de l'électronique et du marché planétaire des capitaux, c'est la roue de la fortune qui s'arrête toujours sur la bonne case pour quelques uns, privilégiés de la fortune, qui affament et pillent la planète qu'ils ne voient jamais qu'en tableaux de chiffres derrière leur écran ou en points d'ombres vagues à travers les hublots de leurs jets.

La roue tourne, mais les peuples de la terre ne sont pas condamnés à tourner en bourrique sous le fouet du grand manège capitaliste.

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