lundi 16 novembre 2020

L’humeur chagrine du confiné

Glas et tocsin. 

Insécurité générale, n’importe qui, n’importe quand et n’importe où… 
Terrorisme et virus, deux plaies, entre traitement et soins palliatifs, en traite-t-on les causes ou les effets ? 

La France se réveille chaque matin avec les chiffres des contaminations tartinés à la table du petit-déjeuner et se couche chaque soir dans l’incertitude inquiète des résultats du lendemain… 

La France s’est à nouveau réveillée, pétrifiée par l’horreur, depuis la basilique de Nice. Un lieu de culte théâtre d’un acte de barbarie motivé par un l’instrumentalisation mortifère d’une autre religion… 

Radicalisme islamique et islamisme radical, islamisme politique… Dans ces déchainements aussi barbares envers les citoyens qu’ils sont dévastateurs pour la démocratie dans les Etats qu’ils constituent, tous les observateurs voient bien les agissements de fanatiques dont l’intolérance dogmatique justifie tous les crimes. 

A chaque nouveau crime, la société se renferme un peu plus derrière les hauts murs sans cesse rehaussés de son « Etat d’urgence » … À la façon de la fuite éperdue à l’abri des fossés, d’une cour de château, pont levis relevé, herse baissée et soldatesque postée aux créneaux devant l’invasion barbaresque. 

Fossés et pont-levis, herses et sentinelles des temps modernes ont-ils mis à l’abri les valeurs de la République, la liberté, l’égalité, la fraternité, dans une République sociale et laïque, et tous ses citoyens ? Un peu comme jadis la Ligne Maginot, grande débauche de moyens et de discours, véritable chef-d’œuvre d’une défense qui prétendait dicter sa stratégie à l’adversaire s’est évanouie sous la déferlante hitlérienne venant d’ailleurs et autrement… Les dernières forteresses n’ont jamais protégé personne dès lors que l’adversaire, eût-il été connu, n’est pas tel qu’on se l’imagine. 

Faut-il se souvenir du soutien américain aux islamistes instruments de la reconquête de l’Afghanistan avec les talibans… 

Faut-il passer par pertes et profits l’incapacité qui persiste en France à solder dans le discours raisonnable et apaisé de l’histoire ce que fut son siècle d’aventures coloniales dont les mitrailles continuent de ricocher aujourd’hui ? 

Notre nouveau siècle serait-il définitivement voué à l’affrontement sanglant des croyances comme l’humanité en avait déjà tant connu par les siècles passés sur tous ses continents. 

Le développement des intégrismes religieux au début du siècle dernier s’était manifesté chez les catholiques français dès 1907 ou chez les protestants aux Etats-Unis une douzaine d’années plus tard… L’intégrisme islamiste fonctionne sur les mêmes ressorts du repli idéologique d’une confession qui prétend étendre l’application intégrale des textes religieux à la vie publique. 

Et c’est bien là que se noue l’origine du drame, dans la confusion du religieux et du politique, du champ de la croyance installée dans l’intimité de la sphère privée et qui vient s’immiscer dans le domaine du collectif social, faisant fi de la laïcité régissant la vie publique dans notre République en lui imposant le passage sous les fourches caudines d’une loi divine particulière. 

Le seul fait de se revendiquer adepte d’une foi n’autorise en rien qu’on en impose le partage à tout un chacun. La laïcité reste la seule garante du respect de toutes les croyances que seule la puissance publique peut et doit garantir. Elle garantit même, et c’est aussi important le respect de la non-croyance. 

Par ailleurs les innombrables variantes déclinées dans chacune des grandes religions monothéistes soulèvent autant de conflits internes en querelles de chapelles quelles nourrissent la prolifération d’extrémistes dont l’intégrisme se justifie sur la fidélité au dogme originel que d’autres trahiraient… 

La spécificité française de l’Etat laïque ne doit pas nous faire oublier que ce n’est pas la chose la plus partagée autour du monde. 

Nombre d’Etats ont une religion officielle, ce qui par nature exclut les autres d’une reconnaissance équitable et les conduit à une existence plus ou moins clandestine, voire à des persécutions. 

Nombre d’Etats, sans avoir de religion officielle en favorisent ouvertement une, au détriment de toutes les autres là aussi mises en difficulté. 

En frappant la France les « islamistes radicalisés » qui mettent leur interprétation du Coran au-dessus des lois de la République visent la division de notre société sur le critère religieux encourageant les replis communautaires et la cristallisation des tensions. 

Que se soit avec le projet de loi initialement dit « contre les séparatismes » ou avec les mesures « anti-terrorisme » le pouvoir privilégie les gesticulations politiciennes qui relèvent plus des agissements du pompier pyromane que d’une responsabilisation rassembleuse de la nation tout entière face à l’agression. 

Le dernier avatar en est certainement le développement du concept de « l’islamo-gauchisme ». La droite et son extrême, parti de « l’ordre » comme disait si bien De Gaulle, affuble la gauche d’une complaisance avec le terrorisme. En étiquetant une frange plus ou moins définie autour du soutien à la cause palestinienne elle contraint celles et ceux qui sont plus largement visés à se départir d’une traitrise vis-à-vis de la République et de la protection de notre société citoyenne qui n’est pas la leur. 

La ficelle est grosse, mais elle tire un peu plus loin le char de la discrimination, de la ségrégation, et dans l’amalgame terrorisme-islam-musulman-arabe fait bouillir la marmite mortifère du racisme. 

Au prétexte de la sécurité que l’Etat doit garantir à ses citoyens, l’action gouvernementale donne l’impression, tant dans la lutte contre le terrorisme avec l’Etat d’urgence de novembre 2015 prorogé jusqu’en 2017 qu’avec l’Etat d’urgence sanitaire dans la crise du Covid, que la protection des populations est d’abord résolue par la privation de liberté qu’on leur impose. Mesures de surveillance généralisée, développement de la vidéo-surveillance, patrouilles militaires, élargissement des moyens d’investigation des forces de l’ordre, limitation des déplacements dans le temps et dans l’espace, limitation des contacts sociaux, limitation des activités culturelles, syndicales, associatives en tous genres… Toutes mesures qui peuvent se montrer efficaces aussi bien pour déjouer un projet d’attentat que pour limiter la propagation d’un virus, mais qui, astreignant le plus grand nombre peuvent générer un sentiment d’injustice dès lors que la règle est aussi déterminée par les exceptions qu’elle supporte. Il en est ainsi des contrôles policiers qui peuvent être vécus comme autant de vexations par tout un chacun qui n’a rien à se reprocher dès lors qu’ils deviennent trop systématiques. Il en est ainsi des exceptions faites à l’ouverture de la grande distribution quand les petits commerces sont fermés… ou de l’autorisation donnée aux chasseurs quand les promeneurs sont enfermés dans l’heure-kilomètre… ou l’usage de transports en commun bondés pour aller au travail permis quand la visite de petits-enfants à grands-parents ne l’est plus… 

Il est vrai qu’on ne sera jamais mieux protégé qu’en prison et qu’on ne constate plus de morts accidentelles sur une route fermée à la circulation. Et ceux qui nous gouvernent prennent bien souvent le costume de garde-chiourme culpabilisant un troupeau tout entier présumé coupable des mauvaises intentions de quelques-uns. 

Cette religion de la méfiance et du contrôle est un marqueur assez constant de la droite au pouvoir depuis que ce clivage existe. 

La grande différence repose d’abord sur la représentation qu’on se fait du réel, donné d’un côté, construit de l’autre, à conserver d’un côté, à transformer de l’autre, à vénérer d’un côté, à questionner de l’autre, à implorer dans la croyance et l’éternité ou à explorer avec la science et l’histoire… C’est aussi sur la représentation qu’on donne de soi que le clivage s’exprime quand la soumission obéissante satisfait aussi bien le fidèle que son directeur de conscience dans une communauté d’individus ou quand une éducation citoyenne construit le libre arbitre indissociable de la tolérance, la liberté partagée en société. 

Malraux n’avait jamais dit que ne nouveau siècle « serait religieux ou ne serait pas… ». 

Par contre quand Montusès écrivait « la fin des religions » en 1906, un an après que notre République ait déclaré son Etat séparé des églises, dans la marmite où les socialistes cuisinaient les ingrédients de Marx et Hegel, de Proudhon et de tant d’autres il ignorait encore qu’on assassinerait Jaurès pour décimer les peuples paysans et soumettre un peu mieux le peu qu’il en reste à l’appétit capital de l’industrie puis à l’appétit industriel du capital. 

Et Dieu dans tout ça ? goupillon du sabre, missionnaire des colonies ou aumônier des troupes coloniales, maison d’hôtes pour quelques rescapés vert-de-gris en Amérique latine après 45… 

Mais il serait bien injuste de ranger toute une communauté religieuse complice d’abominations ; chez les chrétiens, comme chez les juifs, les musulmans ou les bouddhistes, et même chez croyenrienistes, on peut faire l’hypothèse que la grande majorité des individus forme un peuple bienveillant et respectable… 

Le tout pour être juste est de refuser l’amalgame tout en identifiant et en caractérisant bien les choses. Les terroristes d’aujourd’hui peuvent être différents de ceux d’hier, mais ils relèvent toujours du même modèle : 

Une violence qui frappe à l’aveugle et sans rationalité apparente.
Une forme de légitimation de la lutte contre un ennemi intérieur
Un objectif de déstabilisation
Un mécanisme enclenché entre deux forces A priori disproportionnées 
… mais qui fonctionne aussi bien du fort envers le faible (terrorisme d’Etat pour 

Si tant est que la Paix reste telle, le terrorisme menace et tue en temps de paix aussi bien qu’en temps de guerre. 

Il peut être le fait d’individus (voir les attentats anarchistes en France à la fin du XIXème siècle, avec le mouvement nationaliste Irlandais au siècle dernier, ou plus largement associés aux processus de décolonisation contrariés, Algérie par exemple avec la France). 

Il peut être le fait du plus fort, le pouvoir en place, qui conforte sa domination par la force en réduisant toute velléité d’opposition ; la répression sanglante de la Commune de Paris, les fusillés pour l’exemple de la guerre de 14, les pratiques staliniennes ou celles de la gestapo et de ses supplétifs pétainistes, les exemples n’en manquent pas dans l’histoire ! 

Il peut être le fait du plus faible qui veut desserrer le carcan oppressif de contraintes irréductibles au dialogue comme les Brigades Rouges en Italie ou la Bande à Bader en Allemagne, ou encore le conflit Irlandais. 

La composante religieuse n’est pas toujours présente, mais elle s’invite assez systématiquement depuis quelques décennies dans les mécanismes terroristes. L’opposition catholiques – protestants en Irlande du Nord, juifs – musulmans dans le conflit israélo-palestinien… 

Les musulmans sont persécutés avec la répression des Ouigours en Chine, des Rohingyas en Birmanie, mais aussi en Ouzbékistan, en République Centre-Africaine, au Tadjikistan ou en Thaïlande… 

Et, à défaut de se trouver suffisamment de persécuteurs chez leurs mécréants, les communautés religieuses sont friandes de dissensions internes génératrices de principautés particulières. A côté d’une chrétienté dont l’arborescence des déclinaisons n’a cessé de se diversifier en une dizaine de siècles l’islam n’est pas en reste partagé entre sunnites, chiites, alaouites, alévis, druzes… 

Pour ce qui est des persécutions envers les chrétiens, si on s’en tient à la douzaine des pays les plus affectés, Corée du Nord, Afghanistan, Somalie, Libye, Pakistan, Érythrée, Soudan, Yémen, Iran, Inde, Syrie, Nigéria ou Arabie Saoudite, on peut noter une forte majorité de pays musulmans, mais pas seulement… Et les intégristes catho ne manquent pas de se manifester encore aujourd’hui pour réclamer leur messe à la République autant que pour faire pression sur une révision de sa laïcité… 

L’étymologie de la « religion » renvoie au « lien » qui relie… En fait elle ne relie bien des individus qu'à la représentation divine de leur croyance particulière ; et c’est bien là l’origine des divisions qui en émanent. Toutes les croyances ne conduisent évidemment pas à l’intolérance et à la barbarie… Mais l’irrationnel de la croyance leur ouvre un champ du possible ; les croisades parmi toutes les « guerres saintes » jalonnent l’histoire de l’humanité… Quelle ambition aussi peu respectueuse et raisonnable que citoyenne que de vouloir faire de sa croyance une contrainte universelle ! 

Sur le terrain de la barbarie terroriste, la « nouveauté » avec le phénomène actuel autour d’Al Caïda ou Daesh porte sur la dimension transnationale de l’action terroriste qui vise à déstabiliser l’ensemble de la planète en s’attaquant aux puissances dominantes repérées par leurs interventions dans des zones de tensions extérieures qui peuvent menacer leurs intérêts (Etats-Unis au Moyen-Orient, France en Afrique…). 

Une constante subsiste avec la symbiose du politique et du religieux qui contraint la cible visée par le terrorisme à se hasarder sur le terrain du religieux, pour soutenir la confession visée et par ce biais être entraîné par son adversaire dans une zone de fragilité suscitant amalgame et confusion des genres. 

C’est ce qui fait la particularité du cas Français autour du concept de laïcité qui en vient à être mis à mal dans ce contexte. 

L’objectif du terrorisme est toujours de déclencher un sentiment d’insécurité générale qui doit pouvoir atteindre n’importe qui, n’importe quand et n’importe où. C’est cette psychose généralisée que cherche le terroriste, qu’il soit au pouvoir ou qu’il le combatte. Seule différence : le terrorisme contre l’Etat cherche à déstabiliser le pouvoir, alors que le terrorisme d’État cherche au contraire à le stabiliser tout en déstabilisant la population. (Voir travaux de Gérard Chaliand et Arnaud Blin dans « Histoire du terrorisme de l'Antiquité à Daech »). 

Avec le Covid 19, la crise sanitaire et son traitement, nous retrouvons des mécanismes aux ressorts comparables dans la genèse de la psychose et dans la gestion de crise liée au terrorisme… 



Penser avant de communiquer. 

Pour en réchapper, dans une situation comme dans l’autre, ne faudrait-il pas s’en remettre à la raison en travaillant dans le champ de la science, des sciences humaines, de l’anthropologie sociale et de l’histoire, plutôt que de grenouiller dans le bénitier des croyances à force de réactions conjoncturelles déstabilisantes et imprévisibles dans leur devenir ?

Attention à ne pas se laisser berner par les discours démagogiques de l'extrême droite et de quelqques autres qui profitent de la gestion chaotique de la situation pour flatter des souffrances qu'ils ne sauraient qu'aggraver s'ils exécutaient leurs intentions premières. 

L'Etat d'urgence, sanitaire ou pas, est par nature privatif de libertés...
La liberté n'est pas plus celle d'un "petit" commerçant irrité par les faveurs faites aux grands qu'elle ne serait celle de catholiques réclamant leur retour à la messe au prétexte que les fidèles fréquentent bien les grands marchands du temple... 

Liberté, Egalité, Fraternité, Laïcité.
La liberté, premier terme de la devise républicaine est la condition de toutes les autres, comme toutes les autres en sont aussi consubstancielles... 
Ni absolue, ni particulière, elle est "sociale", elle n'est pas réductible à la personne autrement que dans la garantie qu'elle offre à chacun de l'exercer parmi tous les autres pour "faire société".

Ensemble

 

« Qui suit tout le monde fait mal ; qui ne suit personne fait pire. »
Le proverbe semble condamner la terre entière ! Et pourtant n'est-il pas très juste dans ses deux extrémités...
Combien de fois peut-on vérifier les effets délétères du suivisme aveugle des troupes béates derrière la bulle d'apparence de quelque chef de file. Et c'est bien à cette illusion construite que s'accroche la troupe.
Que vous les appeliez "fidèles", "fans" ou "supporters"...
Qu'ils se signent en rentrant à l'église ou qu'ils se prosternent à la mosquée, qu'ils se pressent devant les murs de son des scènes dont les projecteurs grillent aussi vite les vedettes éphémères qu'un tue-mouche électrique occit bruyamment les insectes, ou qu'ils vocifèrent des insanités depuis les tribunes d'un stade au doux nom d'un grand groupe capitaliste, tous ne sont là que parce qu'ils y sont tous, liés par la croyance et l'icône.
De la raison dans tout ça, nul n'en a besoin pour être gouverné à l'émotion.

Du sens, de l'esthétique, du geste ou de sa valeur à partager ? Les foules panurgiennes n'en n'ont pas besoin ; pire, elles les piétinent dans l'ombre de leur aveuglement.

Curieusement la foule des "qui suit tout le monde" n'est qu'un amas d'ego s'imaginant chacun qu'il n'est important que d'y être soi.


dimanche 15 novembre 2020

Elu ou militant ?

La chaîne parlementaire fait écho à l'initiative d'un eurodéputé socialiste qui fait une grève de la faim pour obtenir du parlement (et de l'exécutif) européen la mise en place d'une taxe sur les transactions financières pour alimenter le budget consacré à l'emploi, à la lutte contre le réchauffement climatique et à la santé.

Prise de conscience tardive dans un courant politique qui, en France, a choisi le camp de l'argent contre celui des travailleurs depuis son revirement de 1983 ! Le mandat présidentiel de François Hollande en est la plus dérisoire des caricatures qui le fait passer de son discours du Bourget à la loi El Komri... une telle "performance" qu'il ne peut même pas proposer sa candidature à sa succession...

Passons sur ces éléments de contexte pour s'arrêter sur le propos de plusieurs journalistes et élus commentant l'initiative du gréviste de la faim : il se comporterait "comme un militant plutôt que comme un élu" !

Quel aveu !

Les grands intérêts financiers qui gouvernent le monde capitaliste auraient-ils plus besoin d'élus à la merci de leurs lobbyes que de militants engagés dans l'organisation politique des partis ?

Les convictions les embarassent ; y compris parfois même celles de leurs soutiens qui peinent à comprendre les acrobaties des équilibristes du pouvoir pour qui le plus important est de rester sur leur fil, bien au-dessus de la vraie vie, là où convergent tous les regards des spectateurs...

Militer, c'est agir, combattre pour ou contre quelqu'un, quelque chose, constituer l'argumentation, le raisonnement qui va soutenir un point de vue, une parti pris... 

Comment l'engagement politique d'un élu peut-il l'exonérer du militantisme ?

L'élu n'est-il pas (ne devrait-il pas être) justement le plus militant des militants puisque c'est lui qui, portant la voix de ses mandants est comptable de leur soutien pour faire passer dans les faits les promesses de son programme s'il est dans la majorité, ou s'opposer utilement et résolument à une majorité contraire...