lundi 6 février 2012

Civilisation(s)

Depuis que son usage est entré dans notre histoire au milieu du XVIIIème siècle sous la plume du père de Mirabeau, le terme a subi des sorts variables selon qu'il nommait un état ou un processus.
Dans sa signification d'état de fait il recouvre un ensemble d'éléments caractérisant le stade de développement et d'organisation d'une société humaine, ses connaissances et ses savoir-faire, ses croyances et le mode de relation sociale dans son collectif, sa culture et son art... Dans cette acception du terme il est aisé de différencier des civilisations et même pour les plus hardis prétentieux d'établir une hiérarchie de valeurs en considérant que la tradition orale vaut moins que la tradition écrite par exemple ou que les société patriarcales supplantent celles qui conservent la domination matriarcale... 
C'est cette différenciation qui caractérise l'étranger.
C'est ce modèle qui va comme un gant aux racistes de tout poil qui vont deviser sur leur supériorité naturelle opposée au retard de développement de l'autre différent. C'est ce qui autorisait Sarkozy à discourir à Dakar sous la plume de son nègre Guaino sur le fait que les africains ne seraient pas encore assez entrés dans l'histoire. C'est aussi  qui autorise malheureusement le dérapage contrôlé dans le caniveau de Guéant ces derniers jours.
Dans sa signification de processus, la civilisation recouvre un phénomène qui n'est guère plus glorieux puisqu'il a supporté toutes les grandes aventures coloniales qui à coups de canons, de crucifix et de bénédictions ont tenté d'imposer aux peuples du monde le modèle barbare des sociétés occidentales toutes esclaves des puissances d'argent et qui cherchaient en gagnant de nouvelles terres à consolider la fortune de leurs commanditaires.
Peut-on hors de ces visions peu glorieuses trouver un sens utile aux hommes d'aujourd'hui au terme de civilisation ?
Les grandes problématiques qui agitent le monde aujourd'hui tournent autour de l'habitation de la planète par une humanité tiraillée par les peurs.
La faim, la paix, la préservation de la nature, l'exploitation raisonnée des richesses naturelles , l'évolution et le partage des connaissances, l'expression du génie humain, et beaucoup d'autres sujets peuvent charpenter la réflexion sur ce que peut être le contenu et le sens porté par la ou les civilisation.
Portée au singulier le terme de civilisation renvoie nécessairement au processus évolutif de l'organisation et des perspectives d'évolution partagés dans les sociétés humaines. La vie est ainsi faite qu'elle produit naturellement la ressource de son renouvellement en suscitant chez les hommes la création de richesses dans l'exercice de leur savoir-faire, la création d'idée neuves dans l'exercice de leur intelligence, la création de nouveaux modèles relationnels, etc. C'est ainsi qu'aujourd'hui certains prétendent que nous serions rentrée dans l'ère de la communication, après avoir vécu des décennies sinon des siècles dans une ère de production... Il faut, pour apprécier l'évolution de ces états successifs de nos sociétés dépasser la dimension d'une génération, et embrasser un vaste temps historique. C'est à cette échelle que l' processus civilisationnel peut prendre son sens. Dès lors on peut percevoir ce processus comme celui d'une forme d'accumulation et d'enrichissement que certains appellent le progrès. Dans cette acception du terme la civilisation en terme de processus invite les hommes à la modestie de leur contribution ponctuelle et très limitée à cette évolution. L'homme n'est ni victime ni principe divin dans cette affaire, il n'est qu'acteur parcellaire du processus qu'il maîtrisera d'autant mieux qu'il en connaît les ressorts et qu'il en partage les objectifs. C'est à ce niveau que les politiques peuvent produire un discours et un système d'action utile à la société qu'ils encadrent en délivrant à la fois le message qui fait corps pour leur projet de société et qu'ils en dispensent les moyens pour atteindre les objectifs partagés. C'est à ce niveau aussi que se situe le débat idéologique qui fera de la "civilisation" l'orientation du bout de chemin que les peuples font ensemble.
Dans cette acception la comparaison des civilisations n'a aucun sens puisqu'elles ne sont pas figées, que le cycle de vie qui s'y applique  peut en être à un stade différent, de sa naissance au stade de son apogée ou plus tard à la phase avancée de son déclin. L'établissement d'une échelle de valeur pour ces processus vivant n'a non plus guère d'intérêt pour peu qu'on considère que les ressources mobilisées^pour un développement sont très souvent héritées des constructions précédentes qui ont été remises en cause. Combien de monuments ont servi de carrières de pierres pour des constructions nouvelles.
L'ancienne construction pouvait avoir sa cohérence et sa validité en son temps au même titre que la construction nouvelle saura se faire apprécier avant de dépérir à son tour.
La seconde approche du terme de civilisation en ferait un état. Cette vision ramène l'homme à son pire travers, celui qui en fait l'unité de mesure universelle. C'est un peu comme si on arrêtait les aiguilles en considérant avec un peu de vanité dans l'instant ou de nostalgie dès qu'on est dépassé qu'il existe un "âge d'or", un temps de l'accomplissement.
C'est oublier un peu vite que, si le temps passe, il se passe toujours quelque chose pendant ce temps. Figer un état n'a rien d'anormal, ni de coupable en soi, c'est même la condition de l'examen, de l'observation, de la mesure et de l'évaluation. Mais ce n'est pas tout.
La civilisation réduite à ce qui ne bouge plus ne peut plus être celle des communautés humaines. Elle n'en figure qu'un aspect, une phase ou un résultat temporaire.C'est ce regard qui fait qu'on peut utilement deviser des Egyptiens et de leurs rites funéraire, des débuts de la démocratie en Grèce avant qu'aujourd'hui les fascistes de l'extrême droite ne soient entrés au gouvernement, ou du siècle des lumières de la France inspirant la démocratie américaine qui fait aujourd'hui la guerre au monde entier pour mieux entretenir la misère de son peuple et la fortune de ses élites... Travailler sur l'état des civilisations permet effectivement de les comparer, mais plus sûrement avec elles-mêmes qu'avec les autres. Plus sûrement avec leurs évolutions qu'avec les états d'autres constructions humaines tout aussi valeureuses dans leur contexte et en tout cas en elles-mêmes tout aussi respectables.
La seule exception qui vaille ne vaut pas que pour les civilisations, elle est pertinente pour  juger de toutes les actions humaines, c'est la confrontation d'une réalité à notre propre système de valeur.
Je peux revendiquer le droit de juger la religion dominatrice dans une foultitude de sociétés comme un facteur de régression sociale et d'empêchement élémentaire de l'exercice de liberté. Je peux juger la tolérance vis-à-vis des armes aux Etats Unis comme une des manifestations du retard de leir civilisation par rapport à leur voisin de Cuba. Je peux insupporter les roucoulades de "l'humain avant tout" quand elles sont d'autant plus denses qu'elles doivent couvrir des comportements où la conjugaison est réduite à sa première personne. 
Mais en aucun cas la hiérarchie des civilisations peut s'afficher au cadran d'un humanitomètre. 
Si Sarkozy, Guéant et Le Pen prêchent pour les racines chrétiennes de l'occident et de l'Europe en particulier, je doute à la fois qu'il subsiste assez de membres de tous les clergés réunis pour les recevoir en confession et que la barbarie religieuse des guerres très anciennes et de la Saint-Barthélémy, du supplice de Jeanne d'Arc mise au bûcher par l'évêque Cauchon, de l'inquisition espagnole, des silences coupables de l'église face au nazisme ou des soutiens honteux aux criminels échappant à leur juge, puisse être mise au crédit d'une "grande civilisation".

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