dimanche 31 octobre 2010

Certains pensent qu'on meurt deux fois

Merci à La Crix pour cette illustration
"Certains pensent qu'on meurt deux fois".


Cette petite sentence glanée au coeur d'une page est bien pleine d'humanité, elle me renvoie à la contemplation de la vie ordinaire de tous les jours.

... encore faut-il être vivant !

D'aucun pensent qu'au-delà de la mort biologique il en est une autre, celle qui fait disparaître tous ceux qui vous ont connu. C'est cette seconde référence à la pensée qui devrait aujourd'hui être revisitée par celles et ceux qui surfent sur l'illusion de leur pouvoir trop au large dans leur ego surdimensionné.
Dans le processus de l'action sociale, rien n'est pire que l'inconscience du fait que les limites de l'individu sont largement dépassées par la pensée en mouvement du collectif social.
Et pourtant c'est bien  dans le processus naturel de la pensée humaine qui gouverne l'action sociale que se détermine la spécificité de l'homme en tant que créature sociale.
C'est bien dans la production et la confrontation des idées, les échanges et les coopérations que se construit l'existence des uns comme des autres, l'animal social qu'est l'homme sur la terre. C'est dans se processus que se construit la conscience de soi, indissociable de la conscience de l'autre.
C'est bien dans ce processus que se fonde le fait social, que se construit la société des hommes.
Cette forme indépassable d'humanité fondée sur le respect et la reconnaissance de l'autre vit cependant des formes régressives dont les effets dévastateurs sont facilement observables dans les sociétés d'aujourd'hui.




La dérive populiste, démagogique des démocraties fonde les "élus" dans un rapport de sujétion aux intérêts qui les gouvernent, rapport qu'ils réinvestissent dans une forme d'assujettissement d'un peuple réduit au rôle d'instrument de leur mise en valeur. Heureuse fatalité du succès pour les uns, et fatal renvoi au mutisme du spectateur pour les autres, tout se passe comme si la seule pensée politique qu'on reconnaisse au citoyen se réduise au choix de la représentation qu'on lui propose. L'importance de la fortune et de la position acquise s'impose comme une fatalité. Les "affaires" emblématiques ou banales jonchent l'actualité du mélange détonant de l'intérêt privé s'accaparant la chose publique. 
La dérive sécuritaire fait resurgir la difficulté à concevoir l'existence de l'autre autrement que comme un autre soi; ce repli frileux sur soi, cette approche douloureuse de la différence ne produit que de l'exclusion, de la stigmatisation que l'on retrouve face à l'étranger, au handicapé, au présupposé faible ou défaillant d'une autre couleur de peau.
Cette dérive imposant une forme de séquençage social en provoque une autre tout aussi mortifère pour la société, le repli communautaire; si l'autre ne sait, ne veut ou ne peut me reconnaître que par ma différence, alors c'est cette différence qui fait sens et qui, cimentant le lien communautaire va dresser le rempart interdisant la rencontre et la percolation des pensées. 
Ces dérives destructrices du fait social sont identifiables aussi bien dans la micro société d'un groupe familial, que d'une communauté villageoise, d'une structure associative, d'une nation comme de la planète entière.
Ne doutons pas qu'il s'agit d'un des principaux moteurs des conflits, grands ou petits. Ces derniers deviennent inévitables dès lors qu'on transgresse le principe fondateur de la société des hommes, le partage de la pensée.
L'homme ne pensera toujours que par la pensée des autres.
L'inhumanité de la violence faite aux hommes, aux enfants soldats ou travailleurs, aux femmes battues, violées ou simplement sous payées, à l'immigré, aux juifs comme aux palestiniens... toutes ces tentatives de destruction de l'autre resteront vaines -et elles le restent - pour peu qu'il reste des hommes qui pensent à eux en manifestant leur connaissance. Bien au-delà de la solidarité, cette manifestation de celles et ceux qui "ne veulent pas laisser les victimes mourir deux fois" savent que c'est la condition même de leur propre existence sociale.


De la même façon que la précipitation de la mort physique n'engendre pas l'oubli et la perte d'influence dans la pensée humaine -ils ont bien assassiné Jaurès ! - les efforts des hommes pour précipiter l'oubli d'un vivant social avant qu'il ne disparaisse sont tout aussi vains puisque ses détracteurs réduisent leur fonctionnement social à une ré-action qui ne peut que légitimer et mettre en valeur sa propre action.

S'il est facile et réducteur de parler de crise pour expliquer la difficulté d'un temps de la vie, c'est aussi le signe de la difficulté qu'ont les hommes à être homme en société dès lors qu'ils acceptent de ne plus être maître de leur vie et/ou de contraindre celle des autres.
La crise appartient conjointement au bourreau et à sa victime. Il n'est pas de maître sans esclave et l'esclave ne s'affranchit pas en changeant de maître mais bien en s'en émancipant.

C'est d'ailleurs probablement ce qui avait fait écrire jadis à propos d'organisation démocratique de la société, que "ma liberté s'arrête là ou commence celle des autres".

Et ce n'est pas -comme voudrait le faire croire Sarkozy - la liberté pour la plupart d'être pauvre qui doit s'accommoder de celle d'être riche de quelques uns.



Debout les damnés de la terre ! nous ne sommes pas encore morts deux fois.

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