Le Réveil Paysan à la maison, et la situation de métayer du grand-père laissée en héritage au fils m'avaient appris petit enfant une autre condition de paysan que celle des "agri-manager" d'aujourd'hui. C'était le temps dur d'une autre forme de respect de la nature, des bêtes et des gens, le temps d'une coopération à taille humaine... Au travail, dans la lutte ou dans la fête, le vivre ensemble avait du sens dans la campagne paysanne, sans qu'on ait besoin d'en faire un discours sur le "territoire". Le temps efface certainement bien des aspérités qui déchiraient la vie, des peines, des difficultés, des mésententes parfois aussi transmises de générations en génération... Le travail éprouvant ne se faisait pas trop dans la solitude d'une cabine climatisée sonorisée aux accents populistes des radios commerciales, un oeil rivé à l'écran et le téléphone portable à l'oreille...
La dentelle du givre qui décorait les carreaux de la fenêtre joignant mal s'était étendue au matin frisquet quand il fallait s'extirper du lit de plume sous le gros édredon...
Et le trou dans la glace de la mare était à refaire matin et soir pour aller puiser l'eau portée au joug avec deux seaux dans les baches des bêtes... Le rituel du pansage était réglé comme du papier à musique, dans l'ordre des choses, chacun jouant sa partition au fumier, au coupe racines, au foin ou à la paille... Un coup de balai de boule bien appliqué sur le trottoir, un coup dans le caniveau... le ménage était fait à l'étable et le bruit du foin tiré à travers les barreaux du ratelier continuait après que le loquet de la porte soit fermé...
La porcherie et ses cochons, le chaudron noir fumant de sa marmitte de patates dans la chambre du four, le poulailler et le clapier, le jardin potager et quelques rayons dans le champ pour les légumes en quantité...
La vie paysanne d'hier occupait bien du monde ! C'était un monde où le dur labeur aiguisait les consciences de toutes celles et tous ceux qui s'écorchaient dans une vie plus douce aux forts qu'aux faibles.
Les saisons rythmaient le calendrier des tâches et des rassemblements. Ici les foins se faisaient à la maison, mais dès que les moissons réclamaient qu'on ramasse la récoltes il fallait se rassembler au moins par deux exploitations pour disposer du matériel et des bras nécessaires à la réalisation du travail dans les temps et dans de bonnes condidions. Les gerbes des maillettes ou des treiziaux s'emplilaient dans le champ des mailles en attendant le passage de la campagne des batteuses où la bonne vingtaine des travailleurs nécessaire mobilisaiet pendant quelques semaines la compagnie laborieuse et fétarde qui suivait de fermes en fermes la tournée de la batteuse, travaillant dur et couchant tard !
Les aléas climatiques étaient féroces pour l'économie domestique des petites locateries, les maladies épizoothiques aussi ; nombreux sont encore ceux qui se souviennent de la cocotte dévastant les étables ou du rouget qui décimait une portée de nourrains dont on aurait gardé la plus belle femelle pour garnir le saloir...
De ces temps bien passés il faut aussi retenir l'acharnement des luttes qui ont permis de sortir les travailleurs de la terre de leur condition mal considérée face à la montée du prolétariat ouvrier et à ses luttes émancipatrices qui faisaient peu de cas de la ruralité. Les mouvement mutualistes, la coopération et l'engagement syndicalont fait que les travailleurs de la terre ont gagné en quelques décennies une forme de respect et de reconnaissance.
Las, les choses n'ont guère duré. Et s'il reste aujourd'hui quelques lambeaux en noms ou en sigles, mutualité, crédit agricole, coopérative... les mots cachent bien mal une toute autre réalité : celle de la reconquête de tout l'espace des activités agricoles par le marché, la spéculation, l'individualisme forcené et le massacre de l'espace naturel pour mieux en exploiter les ressources et les hommes.
Grand-parents et parents se seraient-ils échinés pendant plus d'un demi siècle pour qu'en moins de temps que ça tout s'efface et que le dur chemin de leur conquête se redresse avec les mêmes obstacles aux prochaines générations ?
Peut-être est-il trop tard, si nous n'y prenons garde. Mais il est sûr et certain que la moindre des choses à faire pour renverser un cours des choses dévastateur pour l'agriculture et plus largement la ruralité de demain, c'est de secouer le monde avec le Réveil Paysan.
En lisant le long article de mon ami Jean-Claude DEPOIL dans les colonnes du "Bourbonnais Rural" je n'ai pu m'emp^écher de jeter ce petit coup d'oeil dans le rétroviseur. Sans nostalgie aucune, mais nourri de l'expérience qui passe par les mains aux guides ou au manche avant d'être au volant, j'apprécie la richesse du propos, la rigueur et la justesse de l'analyse, et surtout la mise en perspective que Jean Claude dessine.
Aussi quand j'entends un élu fréquentant le dossier agricole prétendre que Jean-Claude est "dépassé", je ne ris plus, je grince.
Chacun reste libre bien sûr d'être d'accord ou pas, de diviser un peu plus le syndicalisme agricole dans l'Allier pour le plus grand plaisir de la droite à la chambre, de multiplier les fractions histoire d'être président de quelque chose à défaut d'être utile, de brocarder les ardents défenseurs de la FDSEA 03... Mais au moins prenez le temps de lire un propos que, pour ma part, je trouve plus réaliste que "dépassé".
2 commentaires:
Merci , de ton soutien, de cette façon de regarder dans le rétro (qui fait tant de bien et réveille de merveilleux souvenirs )sans pour autant verser dans la passéisme , reste que ce n'est pas le progrès qui est en cause mais bien son utilisation à savoir le profit , imaginons seulement une seconde que le progrès soit mis au service de l'homme , de tous les êtres humains et que l'argent ne soit qu'une méthode , qu'un outil d'échange et rien d'autre : que le changement serait radical mais voilà nous n'en sommes pas là!
JC Depoil
Le progrès n'est pas en cause, bien sûr que non. Ce qui est en jeu comme tu le dis si bien, c'est l'usage qu'on en fait. Le drame est bien là où certains, nombreux malgré tout, ont sucombé à la séduction des tenants du marché, des banques, et se sont jetés à corps perdu dans une logique de concurrence et dans l'illusion de leur sauvegarde individuelle au détrimentde leurs semblables...
De tous temps depuis que les hommes ont donné une valeur aux choses en dépassant l'échange élémentaire du troc, ils ont utilisé deux monnaies à des degrés divers :
. celle des valeurs d'échanges
. celle de la thésaurisation précautionneuse
Aujourd'hui et depuis quelques décennies le capitalisme essoufflé s'est doté d'une troisième monnaie, celle de la spéculation, c'est là qu'est le cancer de l'inhumanité du marché.
A extirper sans ménagement !
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