mardi 12 novembre 2013

Ne l'appelez plus jamais "grande".

La première guerre mondiale fait entrer la France, cent ans après, dans un cycle mémoriel qui va courir jusqu'en 2018. Telle que les choses commencent la célébration fait le choix très partial et partisan de la guerre gagnée, de la reconquête des provinces perdues, de l'union sacrée et de la gloire militaire...
Pour inscrire la première guerre mondiale dans son écrin historique, en débusquer les causes et en mesurer toutes les conséquences, le filtre de la gloire nationale et patriotique n'est pas des plus efficace. Mais c'est lui qui opère sur tous les médias présentant l’événement. Aucune omission n'est innocente et l'angle de vue détermine le "reste à penser".
Cent ans après ce ne sont pas seulement les 20 millions de morts civils et militaires qui manquent à l'appel ; mais aussi leurs familles impossible abandonnées à 3 millions de veuves et 6 millions d'orphelins, le fruit de leur travail et de leurs talents...
Le crime a fauché une part considérables de la jeunesse, des forces vives des pays belligérants.
Comme dans toutes les bonnes enquêtes criminelles, posons nous la question cruciale : "à qui profite le crime ?".
Dans l'histoire de l'humanité jalonnée de tant d'éruptions guerrières, la cause la plus évidente d'un conflit est souvent à rapprocher du règlement boiteux du précédent et des frustrations qu'il déclenche. La guerre de 14-18 n'échappe pas à ce phénomène et l'histoire rembobine son film jusqu'en 1871 quand la France fut défaite et amputée des départements d'Alsace Moselle par l'Allemagne désormais réunifiée sous la houlette de la Prusse avec Bismarck. Ce dernier avait auparavant réglé aussi par la guerre la concurrence avec l'Autriche en Europe centrale. Il ne serait pas inutile de retourner quelques pages et un siècle en arrière pour évoquer l'Europe napoléonienne qui, comme tous les empires qui l'avaient précédé -et vraisemblablement comme tous ceux qui le suivront- avait péri dans le plus grand désordre après être passé par une apogée guerrière dévastatrice. Les peuples sont un peu comme tous les éléments de la nature dans l'univers terrestre auquel ils appartiennent, ils gardent -parfois inconsciemment- des traces de la vie qu'on leur fait subir. Parfois ces traces sont exploitées et le sentiment patriotique en est un bel exemple quand la reconquête des territoires perdus fait chanter l'Alsace et la Lorraine... Parfois également c'est à un travail consciencieux de ré écriture qu'on assiste pour formater les opinions dans le sens que le pouvoir veut donner à l'histoire. Il est banal aujourd'hui dans le monde de l'histoire d'évoquer les deux légendes napoléoniennes ; légende dorée et légende noire, l'épopée napoléonienne peut s'interpréter d'une façon ou d'une autre ici ou là, du point de vue militaire ou à l'oeil civil, à l'échelle de la Corse ou à celle du monde...
Sans oublier que l'empereur a suivi le consul, que le consul avait succédé au jeune général  que le Directoire choya avant de s'en méfier...
De là à faire remonter la guerre de 14 aux difficultés post-révolutionnaires de la République Française il y a un pas ; mais on trouve dans le siècle qui précède le conflit ouvert en août 1914 tous les ressorts des problématiques croisées des états qui ne se gouverneraient que dans une perspective de croissance impérialiste en opposition avec des concurrents animés des mêmes ambitions. Cette loi du plus fort avait permis dans les temps plus anciens dès que les caravelle de Christophe Colomb l'avaient permis, de ruiner quelques civilisations américaines à force de barils de poudres et d'alcool sous le parapluie moral du goupillon des missionnaires. Les premières conquêtes avaient permis aux puissances européennes en particulier d'élargir leur empire chacun de son côté ; mais il fut un temps où les ambitions des uns ne pouvaient plus se développer qu'au détriment des autres et c'est ainsi que l'ère des conflits coloniaux a porté la guerre sur tous les continents. Ces conflits n'avaient rien à envier à ceux du millénaire précédent, la conquête des territoires étant indissociable de l'accaparement de ses richesses et de l'asservissement de ses populations au format du colonisateur. Après la poudre à canon du premier acte sous le signe du sabre, c'est au goupillon d'entrer en lice et la religion va parfaire et entretenir la camisole de force idéologique forçant la soumission.  Des épices d'avant-hier au minerai d'uranium du Niger aujourd'hui, la frontière est ténue.
Pour en revenir aux causes de la guerre de 14-18, sans s'en être trop éloigné dans ce raccourci du temps et de l'espace, l'Allemagne qui vivait sa crise de croissance d'état neuf ressorti du puzzle dont la reconstitution s'était accélérée avec l'unité requise autour de la Prusse en guerre contre la France en 1870, avait aussi un compte à régler avec les puissances coloniales établies en Europe,  Royaume Uni et France, en Afrique en particulier.
La période du début du XXème siècle est aussi celle d'une phase critique dans le développement de l'industrialisation et de la transition démographique qui l'accompagne à la suite de la Révolution industrielle née dans la vapeur et le charbon anglais de la fin du 18ème siècle et en France quelques décennies plus tard. L'accaparement du "progrès" dans les activités humaines par le capitalisme faisait dans le même temps de cette période celle de grands bouleversements. L'agriculture perd de son importance dans l'éventail des activités qui déploie l'industrie en première ligne et voit poindre l'importance conjointe des échanges commerciaux, mais paradoxalement elle gagne en importance dans ses capacités nouvelles à réduire le fléau de la faim (un siècle après ce n'est pas gagné à l'échelle de la planète !). L'économie, la politique, la société toute entière est en mouvement et ce n'est pas par hasard que les prémices du socialisme, ricochets des précurseurs de la Révolution et des analyses prophétiques de Marx et de ses compagnons aient accouché d'un Jaurès ou plus près de nous d'un Montusès.
La guerre arrive aussi sur ce terreau du pacifisme qui a compris que la guerre était d'abord l'outil des puissants pour préserver et accroître leur fortune et leur pouvoir, fusse au prix de la vie des hommes. La guerre de 14 n'est-elle pas le prototype de la "grande boucherie" dévoreuse de "chair à canon".
S'ils ont assassiné Jaurès, n'était-ce pas pour faire sauter le dernier verrou des empêcheurs de faire la guerre en rond en faisant de l'Union Sacrée l'arme fatale des bellicistes...
La complexité des causes de la guerre ne les rend pas pour autant compliquées à comprendre quand on regarde ce temps comme le tricot jacquart dont les motifs et les couleurs de fils sont indissociables pour former l'image contrastée de son dessin. Et comme sur le métier à tisser, il avait fallu monter les fils de chaîne sur les ensouples du métier de l'histoire pour la trame en soit tissée.
Tout se passe aujourd'hui -mais aussi depuis longtemps- comme si le mouvement pacifiste, trop conscient des enjeux du conflit, devait être évacué de la mémoire collective. 
L'assassinat de Jaurès qui voulait opposer la grève générale à la guerre pour bien signifier la volonté d'un peuple promis à être la première victime d'une conflagration d'intérêts qui lui sont étrangers va signer la perte de la paix trois jours avant la déclaration de guerre. 
Ce mouvement d'opinion contre la guerre n'avait rien d'un défaitisme poltron mais préfigurait d'autres formes de Résistance sur lesquelles le poids du tabou est encore lourd. Les mutineries ont existé et elles avaient leur justification jusque dans la hiérarchie sociale des troupes au front et à l'arrière.  Le gouvernement français et son état-major des armées n'ont pas hésité à sacrifier des morts vivants des tranchées pour ajouter la peur à l'anesthésie par l'alcool et l'aumônerie. Le seul fait que le Président  de la République ait répondu par une demi-mesure à la demande de réhabilitation collective, pleine et entière, des "fusillés pour l'exemple"  témoigne bien de la difficulté à lire l'histoire autrement que dans une logique d'instrumentalisation, s'imaginant que la gloire et la grandeur supposée d'un passé pourrait rejaillir sur un présent miraculeusement rebadigeonné...
Peine perdue ! 
La mémoire de la guerre de 14-18 est aussi celle de fusillés de Vingré et d'ailleurs. Elle est aussi celle de ceux qui s'y sont opposé corps et âme, même quand ils ne faisaient que trois avec Pierre Brizon pour refuser les crédits de guerre à l'Assemblée... Elle est aussi celle de la Révolution allemande qui conduisit à l'armistice. Elle est aussi celle des fraternisations. Elle est celle des millions de victimes dont le deuil fut impossible après que leur corps se perde avec le fer dans la terre ds champs de bataille. Elle est aussi celle des douleurs transmises en héritage des millions de blessés. Elle est aussi celle des listes trop longues des Monuments aux Morts qui signent l'arrêt de mort de 20% d'une jeunesse à jamais assassinée. Elle est aussi celle d'un Pétain dont on peut se demander s'il était tellement différent de celui de Montoire... 
L'histoire ne retient pas toutes les mémoires qu'elle déshabille des engagements qui en incarnaient les actions ; elle lisse, et ne peut guère qu'être partisane dans sa recherche d'objectivité. Pour Vercingétorix, Ravaillac écartelé ou Bertrand Du Guesclin, peu de polémiques bruyantes secoueront les mémoires, leurs cendres sont bien refroidies ; mais quand les répliques du séisme se font encore sentir la chose est bien différente !
Grande guerre, la Der des Der ?

Malheureusement pas plus grande qu'elle ne fut la dernière.

Toute ressemblance avec la  guerre économique d'aujourd'hui qui voit des Etats-Majors bouffis de profits sacrifier des bataillons de travailleurs ne saurait être totalement fortuite.

à suivre.

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