samedi 30 novembre 2013

La mémoire se conjugue au pluriel.


Mémoire, histoire, grimoires expiatoires, attention avant de tourner la page, avec le temps le papier du passé est devenu fragile…
Des plus réactionnaires d’hier à d’autres aujourd’hui, l’éloge de la confusion fait toujours recette au prétexte de la disparition des témoins.
Aujourd’hui,  plus aucun « poilu » à afficher en cérémonie… Aujourd’hui les rangs des acteurs de la Résistance ou des survivants revenus des camps de déportation sont aussi clairsemés…
C’est dans ces conditions que certains aimeraient voir réunies toutes les mémoires de guerres sous le même fanion du souvenir indistinct de toutes leurs victimes. 
Au prétexte de l’affaiblissement de l’activité militante des organisations mémorielles dont les survivants faisaient l’outil du respect des victimes et de la reconnaissance des valeurs de leur engagement, certains préconisent l’amalgame dans un même objet de tous les souvenirs. Ce serait oublier que la mémoire et l’histoire ne se confondent pas. 
Chronique partagée -et autant que faire se peut commune- du temps et des peuples, l'histoire est une construction des hommes, inscrite dans son époque pour jouer un rôle social, ne serait-ce que par le biais éducatif ; et elle est souvent utilisée pour soutenir, accompagner ou juger des actions des hommes d’aujourd’hui à la lumière de celles du passé. L’historien construit son récit, sa description des faits, sur la base des sources de son enquête, en quête d’une vérité historique que l’évolution des méthodes, l’élargissement et la confrontation des sources lui permettent d’envisager.
La loi sur la mémoire historique en Espagne en 2007, et d’autres manifestations plus récentes comme le projet mort-né de la « Maison de l’histoire de France » montre bien combien l’usage public du passé par les politiques est important et risqué.
C’est bien là qu’il faut faire preuve de la plus grande vigilance sur le plan de la mémoire dont les citoyens doivent préserver le droit au même titre que le devoir d’histoire.
La mémoire de la Résistance dont les fondateurs de l’ANACR nous ont fait gardiens et porteurs exige que les valeurs de la Résistance soient à la fois le fond et la forme de notre action. La reconquête de la République, des instruments démocratiques de son fonctionnement et de ses corollaires économiques et sociaux qui charpentaient le programme du Conseil National de la Résistance ne saurait se satisfaire de l’écho mémoriel d’un 27 mai désormais reconnu.
Encore faut-il rester fidèle à l’idéal du CNR pour le servir ou se servir de sa mémoire. 
L’histoire a tranché ; et le geste de l’exécutif et des législateurs le prouve. Le 27 mai existe désormais au travers de ce que représente le processus unificateur des Résistances. Ce repère chronologique dans notre roman national sera bien identifié avec quelques autres entre le lâchage des Républicains espagnols avant-guerre et l’éviction des ministres communistes après-guerre.
Mais pour ce qui est de la mémoire, des idées incarnées dans la lutte des femmes et des hommes de la libération du pays occupé et de la reconquête de la République bafouée par les collabos de l’Etat Français, la confusion n’est pas possible avec le souvenir des guerres coloniales d’hier ou d’avant-hier, pas plus qu’avec les aventures gendarmesques d’aujourd’hui ou l’hécatombe de 14-18.
L’Histoire est faite d'évènements souvent liés dans une dialectique causale mais qui restent distincts dans leur production de conséquence ; la compréhension de la marche du monde passe par la discrimination des causes et des conséquences, elle exige la reconnaissance de la mémoire distincte des phénomènes qui en forment chacun des maillons.
Amalgames et fourre-tout réducteurs sont sources d’erreurs et de méconnaissance… Et chacun sait qu’un peuple d’ignorants est plus facile à conduire !

La mémoire est indissociable des hommes et des valeurs qui ont fondé leur action ; la mémoire est matière et fait leur épaisseur. Gardons-nous de ceux qui en feraient un instrument.
Autant l’histoire peut s’écrire en multiples chapitres du même ouvrage, autant la mémoire se forme en volumes distincts dont la dissociation garantit le respect…
Et dans un temps où la mode est au consensus mou, où tout le monde devrait être beau et gentil, obéissant dans le troupeau de Panurge tantôt précipité dans le précipice à droite, tantôt dans le ravin à gauche, la vigilance et la responsabilité citoyenne doivent s'exercer sans retard contre toutes les tentatives de manipulation des objets de la mémoire dont la conservation et la défense ne peuvent –et ne doivent- pas faire l’unanimité. L'opposition des valeurs d'hier ne peut disparaître que par l'abandon des défenseurs d'un camp ou leur extermination.
Le livre d’histoire peut présenter sur deux pages en vis-à-vis la collaboration pétainiste et la Résistance et la confrontation argumentée des deux options formera le jugement du lecteur.
Par contre on ne verra pas les mêmes, le même jour au même endroit déposer les mêmes gerbes pour commémorer le souvenir de Pétain à l’île d’Yeu et celui de Jean Moulin au Panthéon.
Chacun à sa place, les idées qui charpentent l’engagement d’une vie d’homme sont aussi celles qui supportent les valeurs qui forment sa mémoire.
La confusion des genres est un déni d’intelligence, elle va malheureusement bien dans l’air du temps qui voudrait que les hommes n’apprennent rien de leur histoire pour éviter qu’ils ne s’émancipent des tyrannies qui les oppressent.

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