mercredi 24 novembre 2010

La bourse ou la vie

La mort est au rendez-vous sur la RCEA. Il ne se passe guère de mois sans que les pompiers soient appelés à extraire une victime de son cercueil de tôles broyées.
S'en suit le long et insupportable cortège de l'information, des gendarmes au maire de la commune... et puis la famille, l'entreprise... c'est la chaîne inhumaine de la souffrance qui s'enclenche, nouant les gorges et détournant les regards... et qui fera le lendemain la une du quotidien régional.
Toujours le même spectacle de désolation, la sciure sur le bitume, les épaves éclatées, les silhouettes des sauveteurs trop souvent impuissants face au drame, et qui se repassent le film de la fois d'avant à l'appel du bip...
Un instant d'inattention et l'écart à gauche est fatal...
Une seconde d'assoupissement et c'est le rétroviseur du 38 tonnes qui vole en éclat, l'effroi réveille, et pour cette fois la vie n'a tenu qu'à quelques centimètres sur les centaines de dizaines de millions de centimètres de la route quotidienne.
La fureur du vacarme de la collision, les soupirs et les pleurs qui s'en suivent doivent-il faire taire quarante années de bruit ?
NON.

Ce bruit, c'est la parole qui réclame toujours la mise en sécurité de cet axe routier. Prévu dès le départ au début des années 70 pour être une route à chaussées séparées, qu'on l'appelle voie express ou autoroute, qu'importe ! ce ne sont que modalités d'encadrement de la réalisation.
Personne de celles et ceux qui en parlent depuis presque un demi siècle n'ignore que la conception du tracé, ses courbes et les dévers qui les accompagnent était faite pour deux fois deux voies avec chaussées séparées, interdisant qu'on se retrouve nez à nez au moindre écart avec la circulation d'en face. Les problèmes de visibilité posés par le profilage des reliefs et des courbes ne peuvent pas n'être découverts qu'aujourd'hui. Les conducteurs de camions perchés dans leurs cabines avec les yeux à deux mètres cinquante du bitume doivent souvent percevoir en face d'eux des automobilistes engagés dans un dépassement avant qu'ils n'aient perçu celui qui vient en face, et qui vont paniquer pour trouver l'espace vital pour se rabattre à temps entre deux des camions qu'ils doublent...
Il suffit souvent de faire une pause accoudé à la rembarde d'un pont enjambant la RCEA pour observer les "trains" de poids lourds qui s'y succèdent sans cesse; 7 ou 8, le plus souvent une douzaine sont lancés à 90 km/h le nez dans la bâche du précédent pour profiter de son aspiration ou pour être prêt à dépasser dès que le premier faux-plat ralentira un peu le plus chargé... 
Les véhicules légers restent prisonniers du flux, et bien souvent à l'aveugle, il tentent de s'en extraire dans des manoeuvres de dépassement très risquées.


Quarante ans ont passé, et la puissance publique annonce une échéance à quarante ans pour l'achèvement des travaux de mise à deux fois deux voies de la RCEA ! et la seule voie d'accélération du projet passerait par la case concession au privé !
Comment peut-on supporter une telle perspective ? Comment supporter qu'à la charnière du XXème et du XXIème siècle on ait besoin de près d'un siècle pour réaliser ce bout de route qui reste à neuf cents millions d'euros ?
Les travailleurs qui ont taillé les routes franchissant les cols à coups de pioches et de barres à mines, le manche de pelle à la main et la sueur au front avec boeufs et tombereaux pour tout équipage, ceux qui ont creusé les canaux et bâtis les écluses, ou ceux qui ont creusé les tunnels ferroviaires aujourd'hui transformés en caves à fromage,  devraient se retourner dans leurs tombes devant un tel spectacle.
Les morts de la RCEA doivent bien l'issue de leur dernier voyage à l'incurie d'un état qui privilégie les valeurs de la bourse aux valeurs humaines.
Les choix budgétaires sont d'abord des choix politiques et les équipements ou les services d'intérêt général à la dimension du pays ne doivent être pris en charge que par la puissance publique à l'échelle de l'Etat. C'est bien cette évidence qui a toujours été remise en cause par la droite au pouvoir plus soucieuse de privatiser les profits que de servir l'intérêt général. Dans les rares moments de responsabilité gouvernementale de la gauche, la situation n'a pas été bouleversée, en particulier avec les coups portés à la solidarité nationale dans les processus de décentralisation et de concentration de l'Etat. 
Les routes, comme l'éducation, la santé et l'ensemble des services publics (SNCF, Poste et télécom...) ont été impactées par une politique toute orientée au service du capital  contre l'intérêt des population et des territoires.
Faut-il se résoudre à cet état de fait et s'en accomoder pour accepter des solutions qui tournent le dos aux intérêts bien compris du pays.
NON.


Si l'Etat est en capacité de ristourner plus de 30 millions d'euros de cadeau fiscal à Mme bettencourt - dont la seule fortune paierait 17 fois la réalisation immédiate de la RCEA -, alors je ne me pose pas la question de la concession à une des  sociétés d'autoroutes aujourd'hui privatisées. 
Je refuse cette concession faite au capital, pour exiger fermement que l'Etat récupère légitimement les milliards dont la collectivité est spolliée dans les coffres trop pleins des grandes fortunes et des banques gavées de profits financiers.


Ce n'est pas en flattant le capitalisme qu'on lui fera rendre gorge. 
C'est en mobilisant les citoyens sur une perspective républicaine de justice sociale, d'égalité et d'humanisme que de véritables changements pourront se dessiner, comme avaient pu le faire ceux qui affrontaient le "mur de l'argent " et sa perspective belliqueuse de la guerre au début du siècle dernier.

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