mercredi 28 novembre 2012

Terres

Depuis des décennies, sinon des siècles, la puissance publique n'a eu de cesse de vider les terres pour remplir les villes. Et quand ça n'allait pas suffisamment vite, une grande guerre passant par là, la terre restait aux veuves et aux gamins... L'exode rural a longtemps été associé à la montée en charge de l'industrie qui, délaissant ses petites implantations campagnardes se concentrait, gonflant les agglomérations urbaines en passant du charbon de bois au charbon de terre.
Le temps a passé et la folie des hommes n'ayant toujours pour horizon que le profit de quelques-uns au détriment de la multitude poursuit son oeuvre destructrice. Dans le même temps les concentrations urbaines ont troquées leurs zones industrielles noires de bruit sous le fracas des fumées pour des zones commerciales rutilantes et proprettes avec l'emplacement de parking neutralisé pour l'accès des fourgons de transports de fonds. Jadis, ici, le peuple des femmes et des hommes venait gagner sa vie, durement le plus souvent, de sueurs et de privation pour que le demain d'hier soit moins dur aux enfants. Aujourd'hui il vient payer son écot aux multiples églises de la consommation en sacrifiant le peu de monnaie qu'on lui consent pour jouer à la marchande, sacrifiant sur tous les autels du chemin de croix du capitalisme. Il en est aussi prisonnier que ses lointains ancêtres fréquentant la messe du dimanche à l'ombre du château.
Le travail a déserté la campagne après que ses véritables travailleurs en aient été chassés pour cause de modernisme bien sûr. Plus de commerce ou si peu, plus d'artisanat, même pas tout le nécessaire, plus de paysan non plus d'ailleurs. De services publics, on en perd la trace et surtout le sens quand il est plus glorieux pour les élus d'aujourd'hui d'offrir le gite et le couvert aux professions libérales qu'aux instituteurs qui avaient eu le mérite d'apprendre à compter à leurs parents et à lire à leurs grands parents. Mais de nouveaux maîtres naissent pour une terre qu'ils n'emportent guère au talon du sabot. La vie des bêtes et des plantes n'étant plus rien sinon parfois qu'une valeur marchande, on élève des droits ou des quotas et on cultive intensément la prime, les yeux rivés sur l'écran du marché qui dit ce que vaut aujourd'hui la récolte d'après demain. La machine infernale du capitalisme, après avoir ruiné un siècle d'industrie gaspillant au passage aussi bien l'énergie que la matière ou l'intelligence humaine s'est enfin penché sur le tombeau des campagnes agricoles, écartelant ce monde jadis si laborieux et respectueux de la nature, et du temps et des hommes, entre les extrémités des deux spectacles affligeants : des plus grandes détresses et des pires étalage de prétentions. Pendant que certains se meurent à petit feu quand ce n'est pas dans le paroxysme du suicide, d'autres se pavanent juchés sur des machines aussi monstrueuses par leur prix que par leur peu d'usage et pour lesquelles tout ce qui reste de nature est un encombrement. Des centaines d'hectares ajoutés aux centaines initiales, des vaches transformées en usines à gaz produisant accessoirement du lait...
Jusqu'où peut-on aller trop loin ?
Les jeunes ne seraient plus "employables" par défaut de formation ou d'expérience jusqu'à la trentaine au moins ; il est vrai qu'une formation vieille de plus de dix ans est peut-être un peu décalée face aux attente du moment, et ce n'est pas une décennie de petits boulots et de galère qui nourrissent un CV d'expérience.
Les seniors, trop vieux la quarantaine à peine passée ne seraient plus "employables" non plus ; ils coûtent trop cher d'abord, et puis surtout avec le temps il n'ont plus l'échine assez souple pour passer sous les fourches caudines d'un patronat plus attentif à la tenue des dividendes qu'à la qualité du travail.
Les autres, entre deux âges, font les frais des "restructurations", délocalisation et autres coups du monopoly capitaliste, ballottés par la vie difficile à gagner.
Les victimes ne sauraient être coupables, même si, à force de souffrir leur résistance et leur conscience s'émoussent.
Elles le deviennent cependant parfois quand à force de lâchages et de compromissions elles en viennent à préférer mordre les leurs plutôt que les défendre.
Trop rares restent aujourd'hui celles et ceux dont la conscience, charpentée de savoir et de savoir-faire, est encore capable de la fierté du savoir être pour les autres avant que pour soi.
Les médias s'attarderont peut-être bientôt sur l’évènement électoral des chambres consulaires de l'agriculture. C'est à la mesure des combats des ardents syndicalistes bourbonnais dont la mémoire est aujourd'hui contestée et dont les héritiers légitimes sont injustement malmenés qu'il faudra juger la vanité des prétentions de beaucoup.

1 commentaire:

depoilenpolitique a dit…

Merci Daniel ... merci

Jean Claude