jeudi 7 juillet 2011

Les Trissotin détricotent la République

Territoire et démocratie représentative, c'est la République qui est mise à mal.
S'il est un mot de notre vocabulaire qui fait flores dans le discours politique aujourd'hui, c'est bien celui-là qui souligne une forme d'appropriation plus concurrencielle que coopérative.
Dans sa définition ordinaire il désigne une étendue de terre qui dépend d'une autorité, état ou juridiction, un espace rapporté à quelque chose. Les entités territoriales sont aisément reconnaissables en France ; état, régions, départements, cantons et communes sont définis dans des frontières qui rassemblent et séparent en même temps des populations pour leur administration. A chaque niveau de collectivité territoriale correspond un panier de compétences qui caractérise son identité fonctionnelle. Parmi les éléments du découpage de notre géographie politique, il en est deux qui restent problématiques, le canton et la région.

Le canton n'a d'autre existence que d'être une circonscription électorale pour l'attribution des sièges des conseillers généraux en charge de la conduite des affaires départementales. Avec le mode de scrutin uninominal à deux tours qui régit l'élection cantonale, le canton figure un peu la survivance des différents fiefs des anciennes provinces, à ceci près qu'en dehors des comportements clientélistes, la couleur politique de l'élu cantonal n'a guère d'impact direct sur le canton en lui-même autrement que par l'effet de la conduite des affaires départementales qui peut le toucher plus spécifiquement en fonction de sa situation particulière ; de la même façon la circonscription d'élection d'un député qui lui, est élu de la nation toute entière n'est impactée par le choix du député que dans l'application de la politique générale, exception faite des effet d'un lobbying personnel de l'élu qui rejoint la pratique clientéliste peu conforme aux principes de la démocratie représentative.
Pour la région, collectivité plus jeune qui préfiguraient les autres formes de recomposition territoriale, les choses sont un peu différentes. Elles sont nées de la volonté conjointe de deux ambitions, celle du détricotage de l'Etat Républicain "à la française" et celle du pouvoir local. En même temps que l'Etat cédait du terrain dans ses prérogatives unificatrices garantissant l'égalité des citoyens et l'équité dans le traitement des différences territoriales il s'est trouvé des élus locaux avides d'un pouvoir supplémentaire hérité du désengagement de l'Etat sous prétexte de meilleur adéquation des compétences au niveau plus local. Force est de constater que l'opération n'a guère été concluante. Quand les régions se félicitent de leur action au profit des lycées dont elles ont la charge, elles soulignent d'abord le bénéfice pour l'Etat du glissement de la compétence accompagné de l'augmentation de la pression fiscale. Pour ce qui est des transports et en ^particulier des transports ferroviaire, c'est encore plus patents puisque le processus régional fait peser sur la collectivité le poids des parties les moins rentables du service pour confier plus facilement les liaisons nationales et internationales au privé. Les orientations récentes de l'ouverture à la concurrence des liaisons TER sont du même accabit en faisant financer aux collectivités la préparation des privatisations. L'usager citoyen y retrouve-t-il son compte ? C'est peu probable dès qu'on observe le retour en arrière de trois quarts de siècles du temps où les compagnies de chemins de fer se partageaient l'exploitation de réseaux particuliers.
Le prétexte de la proximité résiste peu à l'observation des pratiques sur le terrain de la gestion décentralisée.
Les frontières régionales sont aussi problématiques qu'elles sont pratiques. Nantes et sa Bretagne voisine en serait l'exemple emblématique si le territoire était défini par le nombre de bandes du drapeau breton. Certains découpages n'ont pas renversé les logiques comportementales des populations. D'Aurillac en Auvergne on va plus facilement à Toulouse, ou du Puy en Velay à Saint Etienne, qu'à Clermont-Ferrand pour les affaires comme pour les loisirs. L'autre signe de l'inadéquation du découpage et de sa fonction prétexte à d'autres transformations est facile à identifier quand les télévisions régionales s'affranchissent des frontières régionales pour satisfaire aux exigences d'économie de gestion. FR3 Rhône-Alpes Auvergne l'illustre aussi bien que Limousin Poitou-Charente.
Ce qui s'en est suivi n'est pas une meilleure irrigation des territoires et un rapprochement des centres de décision et d'action, mais tout le contraire. Le niveau local et départemental est éliminé au profit d'un niveau régional beaucoup plus facile à contrôler par le niveau supérieur et moins sensible à la contestation locale dont il s'éloigne. Les concentrations régionales d'organismes comme la MSA ou de services publics privatisés illustrent bien le processus de dépossession du pouvoir local.
De la même façon les communautés de communes ou d'agglomérations ont déshabillé les communes de leurs prérogatives pour les attribuer à des entités plus vastes théoriquement mieux à même d'exercer la "compétence" du pouvoir géstionnaire. Ce mouvement s'est accompli avec l'assentiment complice d'élus qui se désignent dans l'entre soi d'un système sénatorial sans référence au choix direct des citoyens. Etre associé à la gouvernance de l'échelon supérieur a toujours nourri l'illusion et la vanité du pouvoir. L'effet majeur constatable aujourd'hui est bien la dépossession politique des citoyens. Faire des majorités de majorités ne fait qu'éliminer les choix particuliers en les noyant dans la masse. Les oppositions locales sont depuis longtemps gommées des conseils municipaux. Elles le sont encore plus des conseils communautaires où la domination de la droite s'en trouve démultipliée.
C'est dans ce contexte que se présente la réforme territoriale prônée par la droite sarkozyste. Ce n'est qu'une nouvelle étape du même processus de détricotage de la république, de dépossession citoyenne des affaires publiques. Les frémissements des élus face à la création des "conseillers territoriaux" compilant les fonctions électives des conseillers généraux et régionaux ne pointent qu'un effet de la réforme avec le tarissement de l'échelon départemental. Au fond, c'est plus l'accentuation de l'isolement d'une classe politique dont le seul contact populaire se réduit aux échéances électorales, elles-même réduites à des choix de personnes plus que de programmes en phase avec les revendications et les attentes des populations.
L'élection présidentielle donne le la; les autres suivent en jouant la même partition de l'alternance du pouvoir plus que du changement véritable de politiques alternatives.
De ce fait les redécoupages des communautés à l'ordre du jour va nous faire passer d'une logique de petits fiefs politiques locaux à celle qui préside depuis longtemps au redimensionnement des entreprises pour le profit capitaliste. Sauf que là on va se céder ou acquérir des populations pour rendre son territoire plus compétitif dans une bonne logique maastrichienne de concurrence territoriale.
Ce n'est pas par hasard que les structures de coopération intercommunales sont défaites avec la complicité des élus pour en attribuer les compétences aux nouvelles formes d'intercommunalité.
Ce n'est plus l'objet de la coopération qui la gouverne mais la circonscription territoriale du pouvoir qu'on revendique.
La démocratie représentative et la vraie vie politique va prendre la poussière.

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