En lisant cette citation d'Yvon QUINIOU dans l'Huma Dimanche de cette semaine je me suis surpris à revoir plus de quarante ans en arrière mon petit cercle d'une demi douzaine d'étudiants autour d'un couple de profs, lui philosophe, elle plutôt psycho sociologue, Francis et Anne-Marie, à la fin des années 60.
C'est un peu avec eux aussi, avec la vie d'avant d'abord, et avec celle d'après aussi, que s'est forgée ma conviction politique révolutionnaire.
La vie d'avant, c'était celle de la métairie familiale avec ce formidable creuset du bonheur du travail et de la construction sociale qu'il soutenait, de la contestation nécessaire des inégalités et de l'injustice d'une société de classes sentie jusque dans la chair gelée l'hiver pour gagner ce que le bourgeois allait venir récolter l'été venu.
La vie des simples pour certains était d'abord une vie d'être et de savoir avant qu'elle ne forme le savoir faire propagé de génération en génération.
La vie d'après se consume dans un labyrinthe chaotique de beaucoup de métiers au service d'une même cause, celle de la connaissance et de l'éducation. Là aussi, dépassant les difficultés des moments gris, c'est bien du bonheur du travail et de l'utilité sociale qu'il procure que la mémoire retient. C'est là que la conscience de classe s'aiguise chaque jour avec ses révoltes corollaires pour sauver des gamins perdus, des collègues en perdition, une institution fracassée ; mais avec aussi ces gosses enthousiasmants encore innocents des fautes des grands, ces collègues chaleureux dans l'entraide et l'action qui peuplent une institution chahutée mais vivante.
Entre l'avant et l'après, quelques semaines de 1968... Un temps trouble et dérisoire pour ceux qui ne l'ont pas vécu. Au coeur de ce grand match d'improvisation les idées se frottaient jusqu'à allumer l'espoir, espérance vaine faute d'avoir trouvé le mode d'emploi de la révolution.
A l'époque, beaucoup d'organisations politiques et syndicales cherchaient à prendre le train en marche à défaut d'avoir organisé le voyage vers l'avenir pour la jeunesse et la classe ouvrière...
Le temps a passé. Aujourd'hui, les décideurs politiques ou sociaux ont-ils appris de l'histoire ?
Pas sûr... Ils me font plus penser aux révolutionnaires de 1793 imposant le troisième terme de notre devise, la fraternité, comme pour faire mieux supporter la difficulté à faire vivre les deux premiers termes, la liberté et l'égalité, dans une société qui voyait dans la même souffrance la domination bourgeoise remplacer le joug aristocratique.
Et c'est à l'usage immodéré de la démocratie qu'ils s'exercent, l'affublant volontiers de qualificatifs, citoyenne, active, ou autre baliverne. Quand les soulèvements populaires font des vagues sur les côtes méditerranéennes nos élites républicaines se perdent en conjectures sur l'attitude la plus appropriée, selon qu'il s'agit de pétrole ou de vacances au soleil. Ne faudrait-il pas les inviter à partager cette conviction d'Yvon Quinion qui écrit que "l'instauration, impérative, de la démocratie ne saurait, à elle seule, résoudre la détresse que cette révolution traduit."
Et, d'expérience, il n'est pas de combat politique qui s'exonère impunément de ses ressources idéologiques, de tout ce qui doit habiter les consciences de valeurs, de représentations et d'idées partagées par les femmes et les hommes qui veulent changer la vie pour changer de monde.
Le drame démobilisateur du jeu politique d'aujourd'hui est bien dans cette insolente domination de l'idéologie capitaliste que ses plus bruyants adversaires rêvent tout au plus d'aménager à défaut de la renverser.
L'utopie d'aujourd'hui peut devenir la réalité de demain. Et c'est dans la vie et dans les gestes que se forgent les idées de leur transformation. Dans la lutte idéologique, les aspects tactiques, plus excitants dans l'urgence de l'action et la réduction du temps au présent ne doivent pas faire oublier l'importance vitale des orientations stratégiques qui visent plus loin et plus large.
Le bon exemple de cet assemblage efficace est illustré par le Programme du Coseil National de la Résistance.
Avec l'unification des mouvements d'horizons divers qui contestaient l'occupation nazie et la collaboration pétainiste, le CNR créait les conditions d'une l'action libératrice victorieuse. Avec l'écriture de son programme, le CNR préfigurait l'avenir, donnait du sens à l'action immédiate en mettant en perspective le résultat victorieux de l'engagement de chacun.
Chaque résistant, dans son réseau, son organisation, à la mesure de ses moyens ne savait pas nécessairement qu'il se battait pour donner à l'humanité l'exemple des six grandes mesures économiques et des neuf grandes orientation sociales du programme du CNR ; mais il en avait intégré le sens qui le poussait à agir.
Et si c'était ça qui manquait aujourd'hui à la gauche française pour exister politiquement et mobiliser des citoyens acteurs...
Point n'est besoin d'une majorité à priori, d'un consensus initial comme semblerait l'imaginer les promoteurs de "primaires". Ce qu'il faut dans un premier temps c'est faire l'inventaire de points de résistance, des organisations, des mouvements, des manifestations qui peuvent débouche sur de réélles perspectives de changement. Ensuite viendrait le temps de la conffluence des tous les courants et de l'unification dans la lutte par delà les esprits de boutiques, les ambitions personnelles, les exigences catégorielles. Aucun de ces pièges n'est jamais conjuré, mais tous doivent être détendus pour créer les conditions de l'action efficace.
L'émiettement syndical d'aujourd'hui avec les tendances à la consolidation des ruines du syndicalisme d'accompagnent grand promoteur du moindre mal et l'émergence d'organisations plus radicales qui tentent de faire du neuf avec du vieux, n'est guère porteur d'espoir. L'échec de la lutte pour les retraites l'illustre assez bien.
La gauche politique éparpillée d'aujourd'hui n'est pas mûre non plus pour l'entrée dans un processus d'unification et de mise en perspective programmatique de la contestation radicale du modèle capitaliste.
L'examen des forces en présence inciterait pourtant au changement de braquet pour ne pas sacrifier plus encore les générations qui montent.
Chez les socialistes, combien de divisions ? Toujours plus puisqu'il en nait quasiment tous les jours dès que l'une ou l'autre se met à rêver à une position de pouvoir à gagner chaque matin en s'épilant ou en se rasant... Dans leur armée peuplée de généraux en surnombre à l'arrière, les troupes s'épient et se surveillent plus qu'elles ne combattent un ennemi dont elles ont des peines à se distinguer.
Chez les radicaux, c'est du pareil au pire. Le centre de l'échiquier politique est le lieu de toutes les incertitudes, tantot à droite, tantot à gauche ; à tel point qu'il a fallu étiquetter ceux de droite pour bien les différencier de ceux de gauche.
Plus à gauche, la voie lactée rouge compte aussi ses étoiles, PCF, NPA, GU, PG, etc. Là aussi les entités d'hier perdent des morceaux qui s'étiquettent pour exister à côté. Le Parti de Gauche est parti de la gauche du parti socialiste pour constituer en parti une tendance socialiste. Gauche Unitaire a fait de même en sortant du NPA. Quand aux communistes rénovateurs, refondateurs, re quelquechose de toute façon pourvu que ce soit en dehors de l'organisation, ils s'activent pour que leur nom soit gravé au panthéon des utilités.
Le Front de gauche saura-t-il être autre chose qu'un outil politique électoral visant à contester l'hégémonie socialiste dans le paysage politique de la gauche ? La diversité de ses formes, de ses approches et des perspectives qu'il dessine le relègue pour l'instant au rang des accessoires, tactique pour renverser la logique du vote dit utile qui revient d'autant plus fort qu'on agite le spectre de l'extrème droite.
Quand De Gaulle s'est déterminé à envoyer Jean Moulin en mission pour unifier les mouvements de Résistance intérieure, c'est qu'il s'était résolu à les reconnaître. C'est par cette forme de respect que devra passer celle ou celui qui aura l'ambition de donner une chance à la gauche face au déchaînement capitaliste. La base idéologique de cette perspective existe, Marx l'avait scientifiquement fondée il y a bien longtemps, mais elle n'a pas pris une ride !
L'avenir à gauche passera par Marx ou ne sera pas. Non par dogme, mais par nécessité, de ces nécessités qui font loi.
Au menu on peut commencer d'écrire :
"a) Sur le plan économique :
- l'instauration d'une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l'éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l'économie ;
- une organisation rationnelle de l'économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l'intérêt général et affranchie de la dictature professionnelle instaurée à l'image des États fascistes ;
- l'intensification de la production nationale selon les lignes d'un plan arrêté par l'État après consultation des représentants de tous les éléments de cette production ;
- le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d'énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d'assurances et des grandes banques ;
- le développement et le soutien des coopératives de production, d'achats et de ventes, agricoles et artisanales ;
- le droit d'accès, dans le cadre de l'entreprise, aux fonctions de direction et d'administration, pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l'économie.
b) Sur le plan social :
- le droit au travail et le droit au repos, notamment par le rétablissement et l'amélioration du régime contractuel du travail ;
- un rajustement important des salaires et la garantie d'un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d'une vie pleinement humaine ;
- la garantie du pouvoir d'achat national par une politique tendant à la stabilité de la monnaie ;
- la reconstitution, dans ses libertés traditionnelles, d'un syndicalisme indépendant, doté de larges pouvoirs dans l'organisation de la vie économique et sociale ;
- un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l'État ;
- la sécurité de l'emploi, la réglementation des conditions d'embauchage et de licenciement, le rétablissement des délégués d'atelier ;
- l'élévation et la sécurité du niveau de vie des travailleurs de la terre par une politique de prix agricoles rémunérateurs, ...
- une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ;
- le dédommagement des sinistrés et des allocations et pensions pour les victimes de la..."
Jusque là c'est facile, c'était déjà contenu dans le programme du Conseil National de la Résistance ! Ne faudrait-il pas commencer par la récupération du terrain perdu depuis plus d'un demi-siècle pour l'étendre ensuite et garantir la pérénité des conquêtes nouvelles ?
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