mercredi 27 avril 2011

en groupe, en ligue, en procession...

Au hasard d'un passage par le Berry le week-end pascal, un spectacle des plus surréalistes nous fut offert. La ville s'animait dès le soleil levé, circulation, agitation sur les trottoirs, queue jusque sur celui de la boulangerie qui propose le pain béni en tête de gondole... La ville s'apprêtait à vivre en cette matinée la confluence de deux mondes, de couleurs et de gestes, de pensés et d'actions.

A l'ombre des tilleuls de la place l'affluence se presse ; du grand monospace siglé d'autocollants de la société de vénerie, du "laissez vivre les enfants" et de quelques autres congrégations s'extirpent une litanie de marmailles endimanchées à la suite de la mère. Les socquettes blanches et les petits cols Claudine s'accordent bien aux livres et aux images qui en marquent les pages. Tout près un vieux monsieur rabougri dans son habit couleur de terre laisse à sa solitude la statue de la sainte sur le siège passager. Le grand autocar venu de bien loin se vide des siens avec drapeaux et emblèmes qui se pressent vers la basilique toute proche. Pèlerinage et procession sont à l'ordre du jour.


A l'autre bout de la ville, sur le plan de foire inondé du soleil, les étals disparates de la foire à la brocante sont déjà assaillis par les badauds et les fouineurs en quête de bonnes affaires. Quelques professionnels se repèrent facilement au bon ordonnancement de leur étalage et à l'odeur de cire du vieux meuble exposé. Tous mélangés, les jeunes cherchant à tirer quels sous d'un vieux jeu et les habitués du bric-à-brac insolite sont là dans un indescriptible fouillis. C'est un peu le palais du Facteur Cheval de l'économie de marché !

Tout est prêt pour la rencontre improbable des deux mondes.

10 h 30 : la procession s'ébranle après moult ajustements du cérémonial. L'ordonnancement est impeccable et la hiérarchie des importances est bien lisible quand la grande famille à marmaille s'installe tout juste derrière les personnages en habit portant dais et reliques en tête du cortège. Tout est paré, le karaoké des chants sacrés démarre soutenu par la sono égrillarde portée sur un brancard sanitaire d'avant-guerre. L'odeur de l'encens précède de loin la fumée de l'encensoir et le thuriféraire qui l'agite. La procession est en marche sous la protection d'agents municipaux en gilets fluo, la sécurité impose cette concession à la modernité.

Les allées de la brocante se sont bien remplies et les transactions vont bon train quand l'autre monde s'invite au passage. Et c'est là une vision un tantinet cocasse qui s'impose, comme une histoire de fluide, un courant ordonné traversant un monde qui fourmille, une circulation étrange et étrangère qui s'insinue dans la foule, l'odeur de l'encens qui dispute la primeur au fumet qui s'exhale de la grande poêle d'andouillettes aux oignons ou qui se mêle à l'odeur des poussières de grenier qui règne à côté...

La procession passe et chante la mort et la résurrection, les badauds disputent au vendeur trois bricoles à cent sous. Les enfants de chœur marchent droit portant sur leurs épaules les attributs de la passion, couronne d'épines, clous et éponge plantée au bout du bâton quand sur le côté, dans le désordre de l'étalage d'autres se font houspiller de bon cœur pour avoir touché à tout, à quatre pattes dans la marchandise, au risque de casser la soupière ébréchée qui cherche désespérément preneur.

La procession est passée et la foule se referme derrière elle comme elle s'était ouverte, indifférente et incrédule, étrangère à l'étrange.

A la fête du village, la foule se forme en suite derrière la fanfare et les enfants portant les lanternes qui ouvrent la marche ; là non.

Les paroles des cantiques se perdent en s'éloignant vers la basilique qui attend leur retour à l'abri du monde. Le présent va retrouver son passé à l'abri de l'avenir et de l'espoir.

Les marchandages continuent de plus belle et les conversations s'affutent devant le marchand de kebab qui côtoie l'étal des crucifix et des bénitiers orphelins dès qu'ils ont quitté ceux qui croyaient les posséder.

La croyance et la religion ne relèvent-elles pas de la sphère privée ? Que la liberté des cultes soit garantie au même titre que la liberté de conscience ne suppose pas qu'on s'autorise à en imposer le spectacle au public de toutes celles et tous ceux qui n'y adhèrent pas. Et quand on s'insurge contre la prière musulmane reléguée sur un trottoir de Paris faute de place dans l'édifice religieux qui l'attend, on peut aussi peut-être s'interroger sur les pratiques d'autres croyants si pétris de religion qu'il leur faut le texte de leurs cantiques à la main pour les entonner en public.

La vie est là, dans la fête, sur le plan de foire, dans la diversité qui se frotte, se pique et se caresse, et qui garde par de vers soi plein de petits secrets, dont le partage est cher, bien réservé à ceux qui vous sont chers, et si souvent gardés. C'est bien ce partage et cette réserve mêlés qui font l'humanité de la vie en société.

L'affichage obséquieux de ses croyances en ruine l'intimité et la profondeur, et leur convocation dans la sphère publique n'a toujours été qu'un outil de la domination des plus forts imposée aux plus faibles.
L'opium du peuple...

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