dimanche 20 janvier 2013

seconde zone et troisième classe

Quelques indiscrétions filtrent à propos des intentions gouvernementales en matière d'intervention  territoriale, de rétablissement d'équité ou d'égalité territoriale. Le constat semble désormais partagé de la grande détresse de la France rurale, des "territoires ruraux" comme ils disent.
Pour faire simple il peut être commode de partager l'espace entre l'urbain et le rural sur le critère des activités économiques dominantes : la grande concentration des populations urbaine inspirée par les besoins de l'activité industrielle ou jadis d'extraction minière, et la faible densité des secteurs ruraux s'accordant avec les activités agricoles. L'arrivée de nouvelles population en milieu rural ne doit pas faire passer l'activité agricole à la trappe, tout juste secondée par le tourisme vert.

Depuis quelques décennies les secteurs primaires et secondaires ont subi une saignée considérable d'activité et d'acteurs au profit du gonflement parfois très artificiel du secteur tertiaire des services. Et de ce fait l'urbain et le rural entrèrent dans une phase de crise structurelle profonde régulièrement amplifiée par des crises conjoncturelles bien alimentées.
Des zones industrielles pas nécessairement vétustes ou dépassées ont cédé la place à d'immenses conglomérats commerciaux d'enseignes en chaînes. Les travailleurs des usines d'hier sont devenus les chalands d'aujourd'hui et au mieux vendeurs des articles qu'ils fabriquaient hier ici et qui font aujourd'hui la moitié du tour du monde en containers pour échouer sur leurs nouveaux étals.
Ce ne sont là que quelques propos de campagnard...

La campagne s'est vidée au fur et à mesure où l'industrialisation de l'agriculture s'est imposée comme une constante du progrès. Enclenchée avec la mécanisation soulageant la peine des hommes, elle s'est accélérée pour les chasser de leurs terres et et provoquer avec la seconde vague de mécanisation l'agrandissement des exploitations au prétexte de leur rentabilité. La pression des marchands en amont avec les machines et les intrants, la pression en aval avec le développement et les transformations monopolistes de l'agro-alimentaire et de la distribution ont presque parachevé l'oeuvre dévastatrice. L'arrivée récente des pratiques spéculatrices avec la mise sur le marché des récoltes à venir a emballé l'agonie agricole en mettant à mal les éleveurs qui n'en pouvaient déjà plus...
Le système bancaire, au travers de la financiarisation des activités industrielles ou agricoles, est le grand marionnettiste de cette tragédie qui précipite la misère des quartiers urbains et le désespoir des campagnes.
Il y a bien eu quelques frémissements quand on a constaté quels dégâts l'évolution des structures agricoles et la conduite des exploitations dévastaient les campagnes, haies, arbres et talus renvoyés dans les pages jaunies des albums photos argentiques de grands-parents désargentés. Sans oublier les nécessités nouvelles de la circulation avec des engins dont la démesure est plus souvent accordée à la prétention du client de la banque qui le conduit  qu'aux nécessités du travail. Certains voulaient faire des agriculteurs les "jardiniers de l'espace rural". Cette conception très urbaine d'une terre qu'il faudrait entretenir pour l'agrément de ses visiteurs d'un jour n'a pas manqué d'en séduire quelques uns, si peu capables de faire produire à la terre autre chose qu'un jus de prime dont ils goûtent aujourd'hui l'amertume. Il est à craindre que le lapin sorti du chapeau ne soit qu'un pansement sur jambe de bois, donnant l'illusion que l'action publique peut se substituer à tout.

Le point de délabrement atteint aujourd'hui avec des villes qui regorgent d'une population sans plus d'espoir que de travail au  milieu de territoires ruraux ne vivant que d'ailleurs... le travail est ailleurs, le loisir sont ailleurs, la santé est ailleurs, l'éducation est ailleurs, les services sont ailleurs et de plus en plus loin au fil des jours.
Il est donc urgent et salutaire de se pencher sur la question. Mais si c'est pour chausser les mocassins à pompons des technocrates qui ont déjà sévi par le passé pour mettre en scène leur miracles le remède sera encore pire que le mal.
Des solutions aujourd'hui à la mode mettent l'argent public en appui de l'initiative privée pour une sauvegarde aléatoire de services souvent  inappropriés. Les services publics y concourent également avec le déclassement de services confiés à des professionnels d'occasion. La poste va ainsi squater un morceau de mairie ou l'épicerie du village où la banque aura abrité l'ombre d'un vrai-faux guichet... L'école est un peu ici parfois et souvent plus ailleurs au bout du trajet des grands vieux bus du "ramassage". On ramassera aussi les vieux qui restent avec le transport à la demande pour les conduire à la ville chercher ce qu'ils trouvaient près d'eux auparavant... On dématérialise et on s'engouffre dans le tourbillon formidablement moderne du numérique qui anéantit tellement les distances qu'il fait travailler des centres d'appel sur d'autres continents pour répondre aux préoccupations d'ici maintenant.
Rien dans ce qui se pratique pour soit-disant corriger les misères des "territoires" ne produit d'autre effet que d'amplifier le mal dans une course à l’échalote où l'effet cliquet garantit  de toute réorientation ; quand la collectivité a pris en charge le bistrot du village, pourquoi ne prendrait-elle pas en charge l'épicerie et la Poste ? Sans compter que, toutes ressources épuisées il faudra bien confier la restauration scolaire à un grand marchand de soupe qui portera ses plateaux dans une cantine sans cantinière.
Comment s'en sortir ? A la ville comme à la campagne, la recette sera peut-être la même si l'objectif est vraiment de garantir un changement dont les effets soient perceptibles et bénéfiques aux populations d'aujourd'hui et d'après-demain.
Quelques principes de base devraient être examinés avec un peu de bienveillance par des décideurs qu'il va falloir désintoxiquer de leur recours à l'expertise extérieure et re-responsabiliser dans la formation de leur choix.
La richesse se crée au travers de l'activité d'hommes qui en sont propriétaires ensemble puisqu'ils sont chacun à leur façon, dépositaires du savoir, acteurs du processus de production et maître du savoir-faire mobilisé. La remise en cause de l'appropriation du travail et/ou du fruit du travail des autres est la pierre angulaire de toute reconstruction sociale. La production de la richesse par la spéculation hors de l'activité humaine est certainement la première à devoir être expropriée et réaffectée au bien commun (éducation, santé, communication, culture)
La satisfaction des besoins humains, vitaux d'abord, mais aussi accessoires, doit se concevoir dans un vaste espace d'échange et de coopération, un espace de socialisation des ressources et des moyens de production.
Pour ce qui est des espaces ruraux dont chacun ressent l'urgence de la revitalisation, trois grands axes de réflexion devraient être explorés :

  • celui de l'agriculture en elle-même dont la finalité première de l'alimentation des populations doit être reconquise et conjuguée à une exploitation raisonnée de la ressource naturelle au carrefour de la terre et du climat pour satisfaire des objectifs d'emploi et de qualification, de qualité et de quantité de production, de débouchés valorisants sur la transformation... La question des structures devrait-être abordée autrement qu'au filtre d'une pseudo-rentabilité imposée par des bailleurs de fonds bien indifférents à la production, à ses méthodes et à son usage et tout entiers orientés sur la performance en retour sur investissement.
  • celui des activités connexes de l'agriculture, en amont comme en aval avec le souci de la proximité et de la réactivité à l'échelon local dans un maillage plus vaste pour asseoir des coopérations régionales ou nationales. Il est temps de ré-installer le modèle coopératif sur la base de l'engagement des acteurs.
  • celui des autres activités et des services qui viennent en appui des deux précédents pour en garantir la pérennité  Des activités industrielles ou de services ne sont pas nécessairement soumises à un ancrage territorial imposé si les ressources logistiques sont suffisantes pour assurer les approvisionnement et les expéditions. Les territoires ruraux gagneraient à héberger de telles activités pour s'assurer du bénéfice de la mixité sociale et du dynamisme qu'elle engendre. C'est dans ce cadre que la réflexion sur l'accueil des néo-ruraux doit s'articuler avec les autres problématiques sans les occulter.
Partant de là on peut penser que la puissance publique à tous les échelons territoriaux aurait à coeur d'accompagner le changement par des politiques incitatives qui échapperaient à la logique de substitution dont la limite est atteinte.
Penser qu'il n'y a pas de clientèle pour quelque commerce que ce soit sans solvabilité doit aussi rappeler que la campagne n'est pas l'espace où "la misère serait moins pénible au soleil" ; vivre à la campagne impose des contraintes différentes de celles de la ville, mais tout aussi nécessaires à assumer. La garantie de la circulation des biens et des personnes est primordiale ("ramassages" divers, des  élèves, du lait ou des déchets...). Celle de l'accès à l'eau et à l'énergie l'est tout autant et permet d'illustrer l'impérieuse nécessité de la péréquation des coûts pour garantir l'égalité des citoyens et corriger l'inégalité des territoires.
C'est l'opportunité d'une relance du débat sur la nationalisation/socialisation des biens de production et leur distribution ouvrant la possibilité d'une tarification unique et équitable.
Dans un premier temps la mobilisation de tous les profits spéculatifs, financiers en priorité, et des fonds  camouflés au fisc devrait suffire au financement de cette petite révolution. C'est ensuite au fonctionnement du cercle vertueux enclenché que reviendrait l'alimentation de son développement.

Jouer la complémentarité et la coopération en lieu et place de la concurrence serait certainement le meilleur refrain de la chansonnette accompagnant le changement.

Les mêmes perspectives pour les villes passeraient par la ré industrialisation de nos régions sur des perspectives de productions utiles à la satisfaction des besoins locaux et extérieurs, à l'exploitation raisonnée de nos ressources tant naturelles qu'humaines, à l'encontre de la mondialisation qui tient les peuples en esclavage. La mesure emblématique du changement résiderait vraisemblablement dans la réduction de la rémunération rentière à un niveau moindre que celle du travail. Dès lors qu'il sera plus profitable de valoriser sa force de travail que son patrimoine, les rapports sociaux en seront automatiquement réformés. Le passage obligé par la contrainte des possédants récalcitrants à leur dépossession est-il plus violent que la spoliation dont les travailleurs sont de plus en plus victimes au fur et à mesure qu'on détricote les acquis de leurs lutte. Le passage obligé de la révolution impose le bénéfice de tous au détriment de quelques uns. La loi du nombre serait-elle plus injuste que celle du privilège de la fortune ? Que risque-t-on à essayer ? 

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