vendredi 25 janvier 2013

Allez penser ailleurs !

"D’Attac aux Économistes atterrés, de multiples lieux de « pensée critique » ont vu le jour ces quinze dernières années. Inaugurent-ils une nouvelle forme d’organisation politique et entérinent-ils la délocalisation du « cerveau politique » ? « Ces nouveaux cadres de réflexion ont indéniablement comblé le vide laissé par la désertion des intellectuels, le désarroi idéologique provoqué par la chute du mur de Berlin. La gauche et le Parti communiste en particulier ont mis du temps à se relever pour assumer le débat d’idées qui se posait tout à fait différemment », analyse un dirigeant du PCF. « Le Front de gauche, avec la dynamique militante et intellectuelle qu’il a su faire naître pendant la campagne présidentielle, peut représenter ce lieu de convergences entre la culture militante des partis et une production intellectuelle autonome », poursuit-il.

« L’époque “des intellectuels organiques” est bel et bien terminée », ironise un historien, qui se félicite que l’intervention des intellectuels se fasse désormais hors des partis, dans ces structures « qui garantissent leur indépendance, tout en assumant leur démarche militante ». Pour d’autres, cette désertion illustre « la mort cérébrale » de l’ensemble de la gauche, piégée par la « professionnalisation politique » et la technocratisation du débat publique. C’est ce qu’avance Philippe Corcuff, pour qui elle confond « discours critique et pensée critique ». « La résistance aux stéréotypes néolibéraux » en a fait naître de nouveaux, relève-t-il, « refermant trop vite le travail de l’interrogation ». Et le philosophe de soulever ce paradoxe : la gauche vient de gagner électoralement alors qu’elle était en état de « décomposition intellectuelle ». Autrement dit, le chantier reste ouvert."


Cet extrait arrivait en conclusion de la série des quatre pages consacrées dans l'Humanité au passage du jour de l'an à l'enquête sur les "laboratoires d'idées", les "think tanks" qui nourrissent les discours politiques de droite comme de gauche aujourd'hui.
C'est bien là que sont posées les questions cruciales auxquelles il va falloir répondre : celles qui portent sur l'existence des partis politiques, de leur nature et de leur rôle.
Les débats qui naissent au chevet du Front de Gauche avec la distinction entre membres "partidaires" ou "apartidaires" ne sont qu'un épiphénomène du débat de fond sur l'organisation de la vie politique.
Le monde politique d'aujourd'hui s'est complexifié en singeant les modèles d'organisations industrielles qui ont vu les unités de production délocalisées à l'autre bout du monde tout en conservant localement la phase amont de la conception, recherche et développement et la phase aval de la commercialisation. Une filiale pour penser par-ci, une autre pour agir par-là... autonomisation et indépendance à l'ordre du jour comme vertus cardinales.
Les partis d'aujourd'hui ne sont plus que les unités de production "délocalisées sur place" bien utiles pour remplir à bon compte quelques salles de meeting. Pour ce qui est de la phase amont de la conception des orientations politiques, les "laboratoires d'idées" s'en chargent ; l'avis des "experts" renvoie bien vite les militants aux tâches ménagères, dans l'arrière cuisine, à bien suivre les prescriptions de la recette.
Quant à la phase aval de la médiatisation, les élus et leurs organisations spécifiques de toutes espèces, affinitaires ou fonctionnelles s'en chargent ; l'avis des élus, "confrontés aux exigences gestionnaires" renvoie bien vite les militants aux tâches ménagères, dans l'arrière cuisine, accessoirement au service.
Depuis quelques décennies, la pensée militante n'est plus considérée que subversive dans le rôle de faire-valoir, le fou du roi en quelque sorte, dont on accepte d'autant mieux la fantaisie caustique qu'elle ne remettra plus en cause l'ordre établi.
C'est sous ces auspices que l'éloge du pluralisme a pu servir de paravent au nouveau totalitarisme de la pensée unique, avec la gestion maîtrisée des "tendances", dans tous les partis.
La phase la plus récente de cette évolution touche désormais l'action ; et il est devenu beaucoup plus gratifiant d'agir ailleurs, dans des organisations extérieures aux partis qu'à l'intérieur.
Invités depuis longtemps à penser ailleurs, maintenant pour les plus déterminés agissant ailleurs, que restera-t-il des organisations politiques ?
Juste ce qu'il faut pour faire fonctionner une démocratie d'opérette avec un juste partage des tâches entre les "think tanks" et les élus ; le recyclage de Chérèque à la tête de Terra Nova, le "laboratoire d'idées" qui inspire la politique des socialistes bien plus que leur parti et ses militants l'illustre bien.
Pour ceux qui préfèrent les plats un peu plus épicés vous pouvez ajouter une pincée de Franc-Maçonnerie pour vous assurer des alternances douces à l'abri d'alternatives idéologiques redoutablement redoutées.

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