Pourquoi ?
Le temps a commencé d'être apprivoisé par les hommes aux temps très anciens où nos lointains ancêtres ont pris conscience que la vie avait une fin. C'est de cette formidable découverte que sont nées les croyances les plus folles fondatrices des religions.
Et il en reste quelques poussières dans la vie moderne d'aujourd'hui.
Le monde est depuis longtemps partagé entre deux grands espaces, celui des autres dont la finitude est certaine et le sien propre qui au contraire confine à l'infini de l'immortalité.
C'est sur ce modèle qu'il faut analyser les voeux du président de la République hier soir.
Pour en parler bien, il suffit de ne pas l'avoir entendu. C'est même la condition essentielle. Je suis sûr qu'il aura évoqué tous les tracas que ses auditeurs auront identifiés comme une forme de reconnaissance de sa part de leur vie difficile. Chômage, maladie, violences de toutes sortes... L'inventaire exhaustif est compliqué mais tout y est. Ce volet là est celui de la finitude des autres ; le seul fait d'en parler suffit à laisser entendre que ces choses ne sont attachées qu'à l'aujourd'hui. Demain sera un autre jour, une autre année, un autre mandat... Mais pour être convaincu de notre capacité à la métamorphose qui nous fait abandonner au bord du chemin la vieille peau des difficultés d'hier, il faut une référence fixe, une permanence qui sera juge de l'évolution et de la différence.
Et c'est là qu'intervient le second rôle du même personnage : le président a certainement égrené quelques poncifs sur la nécessité de la continuité, celle de son action, celle de son mandat et de sa reconduction. Là le message est peut-être plus subliminal, mais il n'en est pas moins présent. Le seul fait de dire qu'il n'est pas encore candidat est la forme la plus sîmple de la déclaration de candidature. Et c'est la forme la plus efficace puisque le personnage renvoie à la conscience de ses observayeurs -soutiens ou adversaires- la constitution de son image de candidat.
Alors après, si on se pose la question de la différence entre le discours des "voeux" d'un président de la République ou d'autre chose, des "voeux" du maire ou n'importe quelle autre discussion de comptoir, on peut aisément concevoir le rôle du discours comme celui du simple outil d'assurance du pouvoir du maître sur ses sujets. Et dans son discours comme dans ses pratiques "managériales", le maître a bien conscience qu'il ne peut rester le maître qu'à la seule condition d'imposer la conscience de sa domination à ses sujets. La domination est histoire de posture et de comportement ; elle est dissociée du sens qui la porte et c'est le stigmate de sa violence. Le consentement des victimes repose sur l'acceptation A priori d'une situation de différenciation hiérarchique, toute procédure de candidature passe par là pour corrompre le sens de la démocratie.
Pas plus à l'Elysée au soir du 31 décembre que dans les salons des assemblées ou dans toutes les salles des fêtes municipales de France dans les premières week-ends de janvier vous n'entendrez le moindre échange, la moindre amorce du dialogue républicain que supposerait la pratique démocratique.
Au mieux vous assisterez pour satisfaire à l'option qui renforce l'image du maître, celle du don ou de l'octroi, à la remise des décorations, là ce sera la grande noblesse d'une légion d'honneur, ici la plus prosaïque récompense du concours des maisons fleuries. Et là le plus banal des gestes devient celui, symbolique de la reconnaissance de sa sujetion à l'ordre établi : recevoir et remercier.
Si l'égalité n'a pas encore été gommée des frontispices de nos édifices publics il est peut-être utile de se se poser la question de son exercice dans le monde d'aujourd'hui.
Quelle égalité peut on instituer entre les SDF en HLM de carton sur le trottoir de la ville et les traders qui jouent la richesse du monde en en confiant la construction à des machines qui fonctionnent à une échelle de temps inaccessible à la perception des hommes.
Les millionnièmes de secondes qui séparent deux opérations financières sur les réseaux des ordinateurs bancaires générant des milliards de profits ou de pertes ont-il quelque chose à voir avec les heures interminables du SDF, refroidi sur les pavés de la rue derrière la boîte de conserve qui lui sert tantot de sébille, tantot de cendrier ?
Toujours est-il qu’aujourd’hui le divorce social est consommé entre ceux qui se jouent du temps pour aller de plus en plus vite et ceux qui le prennent par nécessité ou le perdent sans savoir pourquoi...
Certains débats d’actualité illustrent bien cet éclatement de la société qui la détruit, ce sont ceux qui touchent à la communication et plus particulièrement les infrastructures. RCEA pour la route, Ligne à Grande Vitesse pour le rail, réseau à très haut débit pour la couverture numérique, et d’autres peut-être, mettent en lumière des “enjeux de territoires”. Or, les populations de ces territoires les vivent de façon tellement différentes que seule une petite élite peut s’engager à les affronter avec un véritable intérêt, la masse des avis sollicités n’est là que pour l’illusion du décor. Les populations les plus fragiles sont éparpillées dans l’espace après avoir quitté un espace urbain par trop coûteux. Les grands réseaux ne font pas de l’irrigation de fond, ils ne produisent pas de vascularisation fine des espaces ; ils jouent plus généralement au tunnel ne délivrant que de très rares accès. Leur conception a toujours été faite pour renforcer les grands pôles sans même beaucoup d’égards pour leurs périphéries.
Dans un tel contexte, inutile de parler fraternité, tous les modèles conduisent à l’isolement individuel ou collectif avec le renforcement du communautarisme qui va polluer le sens même des solidarités sociales en les confinant dans les groupes communautaires. Les grandes “entreprises” du secours économique et social permettent la survie de populations massivement victimes de ségrégation dont le sort est susceptible d’être impacté par les “grands chantiers” emblématiques des responsables politiques et économiques.
Egalité et fraternité mises à mal dans une société qui n’en n’est plus une, la question de la liberté ne se pose même plus avec l’usage des “forces de l’ordre” qui portent si bien leur nom pour monter la garde de l’ordre établi.
A y regarder de la sorte, les vœux de l’an neuf perdent beaucoup de leur éclat pour rejoindre le rayon qu’ils n’auraient jamais dû quitter, celui des convenances des forts adressés à leurs obligés pour que perdure leur domination et leur main mise sur les gens comme sur les choses.
De la même façon que l’auto censure ne saurait faire excuser la censure, l’autosuggestion par les autorités politiques des solutions démocratiques court-circuitant les débats d’orientation n’est pas une solution durable.
La nuit du 31 décembre au 1er janvier n’est pour tout cela en rien différente de n’importe quelle autre qui la précède ou qui la suit. Le débat politique, comme la vie, est de tous les jours, sans trêve ni repos. S’imaginer qu’on peut le réduire aux gesticulations bruyantes des veilles d’élection comme autant de nuits festives de Saint Sylvestre constitue une erreur.
C’est cette réappropriation banale et quotidienne du fait politique par les citoyens qui est au cœur des enjeux de la reconstruction sociale d’aujourd’hui. La dérive démocratique qui conduit au taux d'abstention qu'on connait maintenant doit être corrigée pour rétablir l'unicité d'un corps électoral fonctionnant en "société" et non en communautés ségréguées, c'est le sens du suffrage universel (cf. avatar de la consultation des primaires socialistes).
A plus d’un demi-siècle de distance, la période de la Résistance peut faire référence en la matière, à la fois pour illustrer la possibilité du “faire” sans “fait majoritaire” et l’importance du cadre idéologique et des convictions qui l’alimentent dans des contextes particulièrement hostiles.
Le temps de la Résistance n’est pas simplement l’issue de l’indignation, il est aussi celui de la réappropriation citoyenne du temps et et de l’espace pour rétablir une démocratie républicaine en France.
Les intitulés des grands chapitres d'un nouveau "programme de "Conseil National de la Résistance" ou d'Assemblée Constituante listeraient sans doute :
- Le retour à la maîtrise budgétaire et monétaire des Etats et des Communautés d'Etats (rôle des banques centrales et du système bancaire...)
- La définition du bien public et des services qui le servent aux populations (éducation et formation, santé et protection sociale, communication, eau, énergie...)
- Les fondements d'une démocratie à la fois politique, économique et sociale
- Le cadre de relations internationales fondées sur la coopération.
- La représentation proportionnelle et les systèmes de représentation élective.
- L'organisation territoriale des collectivités
- etc.
Rendez-vous sur le chantier !
1 commentaire:
Avec une plume extraordinaire , tu nous emporte dans une réflexion salutaire aux antipodes de la machine à laver les cerveaux qui fonctionne quasi sans interruption , avec des pointes d'activité à 13 et 20 heures ; si les politiciens se sont glaussé de la désinformation soviétique , ils l'ont dépassée depuis longtemps , avec des dégâts autrement plus graves pour cela il suffit de tourner son regard du côté de l'Afrique du nord ou du Moyen Orient , ou encore à la périphérie des grandes métropoles ; mais que dis-je ,il suffit de regarder autour de soi.....
Mais tu l'écris mieux que moi !
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