jeudi 14 juin 2012

Oui et non

Quelle question peut bien susciter cette réponse d'apparence normande ?
Si la question est simple, l'honnêteté intellectuelle et la rigueur morale lui imposent une réponse dont l'apparente ambiguïté s'explique.
Penser et dire... 
... Dire tout ce que je pense ? 
... Penser tout ce que je dis ?
A la première je réponds sans hésitation non, et tout aussi certainement oui à la seconde.
L'explication en est simple.
La pensée m'appartient ; et quand bien même elle naît de circulations neuronales aiguillonnées ou suscitées par quelques perceptions de l'extérieur, son agencement m'est propre.
Je pense tout ce que je dis, et même je m'y applique. Oui !
"Cogito, ergo sum" : dans son fameux "Discours de la méthode", René Descartes scellait la chose en 1637 en considérant que la pensée signifiait l'existence de l'individu.
Quant à lui, le dire suppose une destination ; dans la communication le locuteur a besoin d'auditeur, l'écrivain du lecteur, tout comme le cuisinier attend la réponse à la préparation de son plat de celui qui goûte à la table de son restaurant.
Et là, sans flatter ni contraindre, le respect de l'autre impose qu'on ne lui serve rien d'inaccessible, que la teneur et la forme du discours permette l'échange et autorise l'inscription dans le processus d'une construction partagée des idées qui fait l'intelligence.
Je ne dis pas tout ce que je pense, non, et j'y suis attentif. La qualité de l'interlocuteur, le contexte de l'échange et la teneur du propos imposent parfois la retenue dans l'expression pour bien s'assurer que sa compréhension n'en soit pas qu'interprétation fallacieuse.


Pour ce qui est de l'écrit, la chose est plus complexe. Non pas plus compliquée, car elle pourrait s'expliquer. Plus complexe est le mécanisme d'écriture car il met à distance l'écrit de sa lecture. L'écrit nécessite un plus grand développement, un enrichissement de l'expression qui fournisse au lecteur le choix de sa cueillette lui permettant de reconstituer la phrase qui fera sens pour lui. Et jamais celui qui écrit ne peut être assuré du résultat de sa lecture ; il n'est pas là pour réitérer l'argument qu'il sent mal perçu par l'auditoire, pas là non plus pour passer sous silence le morceau superflu dès lors que celui qui lit dans le regard de son auditeur l'assentiment de la compréhension.


En campagne électorale, et dans l'exercice particulier du "porte à porte", si le tract est le même, le propos de sa présentation, à l'évidence, ne le sera pas pour peu que l'objectif soit de déclencher le renforcement de l'adhésion, la déstabilisation nécessaire au gain sur le concurrent ou la neutralisation de l'argumentaire adverse. Le savoir-faire ne s'acquiert que la conjugaison bien conduite de l'apprentissage et de l'expérience. Il n'en est pas sans savoir. 


Le manque d'appétit d'apprendre n'est-il pas reproché aux plus jeunes que par des aînés prétendant s'en affranchir ?  ces derniers ne sont plus alors que des murs d'affiches peu regardant sur le papier qu'on leur colle au front, incapables de discourir autrement qu'en ânonnant le slogan qu'on leur confie. Efficacité ?


L'écart entre la pensée et la part qui s'en dit n'en mesure-t-il pas l'utilité.


Sans écart, sans "différence de potentiel", pas de circulation d'idées, ni fécondation, ni fertilisation croisée des intelligences. C'est ce qui fait souvent dire que la différence fait la richesse... qu'ensemble on est plus fort et qu'on parle parfois d'intelligence collective.


Au bout du compte, tout ça est éminemment contestable, mais c'est ce que j'en pense...
... et ce que j'en pense est éminemment contestable !

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