Le vote FN, en passant de père en fille aurait-il changé au point que les commentateurs le posent désormais dans la normalité ?
Avec les présidentielles le score, la répartition géographique, la sociologie ou la motivation des électeurs de l'extrême droite mérite d'être observés et analysés pour mieux les réduire.
Le score.
Globalement la fille ne fait pas mieux que le père dix ans plus tôt. Il n'est donc pas juste d'évoquer une poussée massive du Front National. Tout au plus il ne s'affaiblit pas. Sa progression sur trente ans est certes significative de l'ordre de 15% mais, sur ce point, la position des autres formations n'a que bien peu d'effet sur les accrocs de la haine.
Jean-Luc Mélenchon avait justement fait de la lutte contre le FN un axe déterminant de sa stratégie de campagne. Force est de constater que la réussite n'est pas au rendez-vous ; plus encore l'intention de faire avec le Front de Gauche un score plus élevé que celui du FN est balayé à la sortie des urnes avec un résultat quasi deux fois supérieur pour l'extrême droite. Le PS et les autres candidats de gauche n'ont guère appuyé dans le sens de Mélenchon, laissant à Marine Le Pen l'espace suffisant pour masquer ses insuffisances derrière son discours démago. Quant à Nicolas Sarkozy, grand prédateur des voix FN en 2007, en copiste zélé des thèses de la famille Le Pen, et pourtant aidé par une belle brochette de conseillers qui donnent la chair de poule, les Guéants, Hortefeux, Buisson, ou le transfuge Besson, il n'a pu conserver cet avantage sur l'original ; et les suffrages de la haine ont rejoint la maison mère sur la bonne mine de la blonde au sourire carnassier.
Un électeur sur cinq pour le FN, c'est beaucoup, c'est beaucoup trop, c'est même insupportable quand on le rapproche de ce qui se passe dans les autres pays européens où les mêmes sbires s'approchent dangereusement du pouvoir.
La répartition géographique.
Elle a évolué avec les mouvements des populations contaminées. Aujourd'hui le vote FN faiblit globalement dans les banlieues pour croître dans les campagnes. Et chacun de s'étonner de voir le vote FN grossir considérablement (nombre de voix multiplié par 5 ou 6 en quinze ans) dans nos petits villages. Des étrangers, cible fameuse du FN, il n'y en a point ; et le phénomène migratoire le plus conséquent qu'on connaisse est bien la migration de la misère des villes à la campagne, un phénomène accompagnant toutes les crises. Par contre un des moteurs de la conviction FN est bien dans la solitude assistée des médias. La perte du lien social, l'isolement dans la misère et la difficulté fait vite considérer tout autre comme son étranger. Et la responsabilité des médias est bien engagée, à la fois directement en instillant dans la conscience des gens des virtualités faites réalités dès lors qu'elles transpirent sur la dalle de l'écran plat. Désordres en banlieue, jeunes à la dérive, dérives religieuses ou communautaires, à travers les programmes d'info, dans les sit-com, les jeux débiles, tout concourt à entretenir dans l'imaginaire collectif cette peur confuse éprouvée par procuration dès lors que tous les faits divers dramatiques sont générateur de lois de circonstance. Dans les vraies banlieues où la vie n'est pas douce avec une jeunesse laissée à l'abandon et livrée à l'expérience des expédients d'une économie parallèle, la compréhension des causes de la misère et le positionnement des responsabilités ont progressé, en même temps que le vote Front de Gauche. J'y pense parfois quand, dans la file d'attente à la caisse de l'épicerie j'en entends fulminer contre "les gris qu'on n'a qu'à renvoyer dans leur pays dans des bateaux percés", "la peine de mort qu'on n'aurait jamais dû supprimer", etc. Et c'est plus fréquent que la rencontre d'un "étranger" ou du risque d'une agression !
La composition sociologique de l'électorat FN.
Sans trop caricaturer on pourrait considérer que l'indigence intellectuelle est le premier moteur de l'adhésion aux thèses du FN. C'est une observation d'autant plus facile aujourd'hui que la normalisation de cette option politique encourage ses supporters à démasquer leur choix. La seule argumentation réside dans la répétition maladroite des thèses des chefs emblématiques, comportements et mécanismes bien connus dans l'histoire du vingtième siècle et de ses régimes nazis et fascistes. Plus faible sera la capacité de réflexion et d'indépendance du raisonnement et plus le gibier sera facile à prendre au piège. Tous les phénomènes sectaires utilisent les mêmes ressorts et les esprits faibles sont bien les cibles favorites et les plus faciles à sortir de leur société naturelle pour les enfermer dans la communauté d'exclusion qui va finir de les décerveler. Il n'est pas exclu que des esprits plus fin se fourvoient dans l'aventure de l'extrême droite, il en faut quelques uns pour les emplois de maître en manipulation, quelques gourous en somme.
La force physique étendue du poing au feu des armes reste l'argument privilégié, des cagoulards du siècle dernier aux abrutis d'aujourd'hui.
La forte proportion de vote FN chez les agriculteurs, artisans et commerçants accompagne et renforce la part rurale de ce vote. Cette évolution suit l'évolution de ce monde malmené par la crise et les politiques dévastatrices conduites depuis plusieurs décennies. La paupérisation du milieu rural, le vieillissement de ses populations, la déstructuration sociale qui s'amplifie, tout concourt à fragiliser les consciences. L'affaiblissement de la conduite politique des collectivités locales bousculées par la recomposition de leurs espaces et de leurs compétences n'a fait qu'accélérer le phénomène. Car, s'il était vrai que la commune était le premier échelon de la démocratie dans notre tradition républicaine, force est de constater qu'il n'en est plus rien aujourd'hui avec un personnel politique sans capacité militante et dont la médiocrité gestionnaire laisse le champ libre à toutes les exigences des technocrates de l'échelon national ou européen. A défaut d'avoir réduit d'autorité le nombre des communes, les politiques de décentralisation associées à l'émergence des communautés ont spolié les municipalités de leurs prérogtives intéressant les populations de la même façon que les Etats sont devenus marionnettes dociles de l'Europe. Cet éloignement dans la perception du pouvoir est tout à fait propice au développement des thèses de l'extrême droite qui flattent l'ignorance et l'amalgame du "tous pourris". Beaucoup des zones rurales d'aujourd'hui ne disposent plus du moindre élément d'activité et les dernières années de crise les ont même vidé des actifs qui avaient pris de la distance avec leur lieu de travail. La population s'en trouve radicalement partagée entre les deux mondes assez étanches des autochtones et des nouveaux venus qui ne sont plus guère aujourd'hui que des exilés de la misère. Ce n'est pas du tout par hazard que naissent ici et là des vélléités de rétablir le "vivre ensemble" ; Les campagnes qui jadis étaient, comme les quartiers populaires, les lieux privilégiés de cette expérience au travers de l'entraide, de la coopération sont aujourd'hui gangrenées par l'isolement et le chacun pour soi dans tous les termes de la vie, activité professionnelle, culture ou loisirs. L'individualisme enferme chacun dans sa bulle consommatrice en même temps que les esprits dans la fatalité des catégories. c'est un terreau fertile de l'extrême droite.
La motivation du vote FN.
Entrer dans la boîte noire de la décision du vote FN n'est pas chose facile dans la mesure où il ne s'agit pas vraiment du terme d'une réflexion dont on pourrait démonter la logique des articulations argumentaires. Mais le débat ouvert aujourd'hui sur l'alternative entre vote de protestation ou vote d'adhésion ne fait guère avancer la cause de la lutte contre le mal. Vote de protestation, pourquoi pas ; et le vote FN l'est nécessairement et par nature puisque c'est un vote contre, contre ci, contre ça et même le reste. Il est plus simple de fulminer en prétextant que "rien ne va plus" que de s'appliquer à comprendre ce qui ne va pas et d'en identifier les causes pour contribuer à la solution. La haine de l'étranger reste le fond de commerce hérité des branches anciennes de l'extrême droite ; et ce postulat épargne à tous les supporters au nom du père ou de la fille la moindre réflexion. C'est le front bas des abrutis.
La fréquentation de l'église avait modelé pendant des siècles la conscience collective et garanti à la bourgeoisie la reconnaissance et la soumission des peuples à son pouvoir comme elle l'avait modelé sous la férule féodale et monarchique. Après le cataclysme de la seconde guerre mondiale le mouvement d'émancipation des consciences, l'affirmation des consciences politiques attachées à la liberté et aux droits de l'homme, héritage glorieux du siècle des lumières et des révolutions cultivé par Marx et relayé par Jaurès ou Guesde, le Front Populaire ou la Résistance... Tout conduisait dans la tourmente de la décolonisation à légitimer l'encadrement progressiste des communistes, véritable charpente des attentes populaires. Les générations ont passé et cette légitimité s'est érodée sous les pressions réformistes débarrassées des exigences éthiques et intellectuelles de jadis. Cet afadissement de la gauche laisse à la droite et à son extrême proliférer le poison de la haine et de l'exclusion en remplaçant l'engagement juste de la lutte des classe par le réflexe mortifère de la chasse à l'étranger.
Dans un tel contexte, point n'est besoin d'en côtoyer ou d'en souffrir le moins du monde, le principe se suffit à lui même.
La réduction du vote FN n'est pas qu'une affaire électorale, c'est un enjeu politique qui devrait mobiliser toutes les énergies des partisans de la démocratie républicaine. Si cet enjeu n'intéresse pas la droite qui a alimenté la dérive autoritaire et antidémocratique de la république au point d'en favoriser leurs plus fervents complices de l'extrême droite, il n'a pas toujours motivé l'action des socio-démocrates qui jouaient avec le feu en faisant de l'extrême droite l'instrument de la division de la droite afin de mieux garantir leur conservation du pouvoir.
C'est donc bien dans le débat d'idées que le poison de l'extrême droite doit être combattu, tout comme le danger de la droite ou les insuffisances réformistes ; cette éradication des germes du fascisme suppose qu'on n'abandonne aucune cellule du corps social et que chaque citoyen soit armé pour résister. C'est ce que savaient faire les communistes et qu'ils devraient parfois réapprendre aujourd'hui plutôt que de s'abandonner à l'homéopathie compatissante des moindres exigences.
Il faudrait peut-être prendre les mesures radicales permettant de lutter efficacement contre le chômage en donnant du VRAI TRAVAIL dans de VRAIS EMPLOIS au travailleurs qui en sont aujourd'hui prévés, qu'ils soient sans formation ou surdiplomés. Relocalisation, maîtrise publique des secteurs vitaux de l'économie, banque, énergie, santé... Reconstruction d'un système scolaire accessible à tous de 3 à 18 ans pour libérer la jeunesse de sa dépendance... Lancer un grand programme d'infrastructures pour redynamiser les productions et les échanges à l'échelle des "territoires"... Retisser une couverture sociale en évitant de la confondre avec les pansements des plaies que le capitalisme ouvre sur tout le corps social... Réinventer une démocratie... etc.
C'est possible, pour peu que l'envie soit là, l'envie d'avoir envie.
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