lundi 12 mars 2012

Bel ouvrage

France Télévision programmait hier soir les deux parties du film documentaire de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora, "La déchirure".
En première partie de soirée, c'est le parti pris de la mémoire et de l'histoire, de la culture et de la réflexion politique sur la tragédie des 8 années de la Guerre d'Algérie.
Les deux volets articulés autour de la charnière historique de 1958 vont faire référence dans le paysage audiovisuel français. 8 jours avant les commémorations du 19 mars, 50 ans après sa résolution cette initiative marque un tournant dans l'approche de la relation de la France au conflit colonial.
Le film est d'une grande richesse et d'une rigueur que la double signature Le Bomin-Stora marque fort justement. La violence insupportable de la guerre est présente sans ostentation morbide mais sans mise en scène voyeuriste non plus. Le travail minutieux sur les archives a permis de rendre là ce petit chef d'oeuvre pédagogique qui devrait satisfaire à l'enseignement des lycéens sur ce sujet.










"La déchirure", le titre du documentaire mériterait le pluriel tant il révèle 
DES déchirures :
  • celle des deux rives de la méditerranée partagée par la colonisation
  • celle de l'Algérie partagée entre ses peuples autochtones et les européens qui s'y sont installés en plus d'un siècle
  • celle de la France partagée entre tenants et opposants à la colonisation
  • celle de la gauche française dont une part a vu ses convictions ébranlées par l'épreuve de la confrontation
  • celle de la droite française partagée jusqu'à la plus extrême radicalité du terrorisme suicidaire de l'OAS
  • celle des soldats citoyens confrontés à l'abomination de la torture de le sale guerre
  • celle des Harkis abandonnés
  • celle des pieds-noirs déracinés
  • celle de la République vacillant sous une forme de coup d'état en 58 qui signe le changement de régime parlementaire en présidentiel sous la plume constitutionnelle de De Gaulle
  • celle d'une armée trois fois défaite en passant par la débâcle de 40, la cuvette de Diên Biên Phu au printemps 54 en Indochine, et l'arrêt des hostilités au cessez-le-feu du 19 mars 62 quand des chefs militaires avaient toujours pour objectif de conserver l'Algérie française.
  • celle d'une France d'aujourd'hui toujours partagée sur la commémoration de la fin du conflit entre ceux qui revendiquent le 19 mars (date anniversaire du cessez-le-feu) et ceux qui ont établi le 5 décembre au motif de l’inauguration du monument national érigé le 5 décembre 2003, quai Branly à Paris, à la mémoire de tous les soldats morts en AFN de 1952 à 1962.
  • et d'autres encore...
L'échange apaisé et respectueux des participants au débat qui a suivi le passage du documentaire à l'antenne de France2 montre bien qu'il est possible de cicatriser des blessures qui ne saignent que par la volonté de celles et ceux qui les rouvrent dans la nostalgie d'un passé que De Gaulle avait compris dépassé.

"... par-delà les faits historiques, le film se situe rigoureusement à hauteur d’homme…",
cette réflexion de Benjamin STORA, historien et co-auteur du film, illustre bien l'intelligence d'un angle humaniste qui veut dépasser le manichéisme réducteur d'une concurrence mémorielle qui n'a pas lieu d'être ; la colonisation et tous ses avatars appartiennent au passé, l'Algérie et la France ne se construisent pas d'avenir particulier ou commun sur l'oubli, pas plus que sur le ressassement des douleurs intimes. La vie a tranché en donnant raison à la paix.
Celles et ceux qui ravivent aujourd'hui les douleurs et les rancunes pour flatter quelques électeurs utiles à leur succès politicien oublient que ce sont les peuples qui font l'histoire.

Après, il n'est pas interdit de s'interroger sur les ricochets historiques du pétrole saharien qui justifiait la volonté un temps soutenu de partition de l'Algérie mais qui a par ailleurs initié d'autres conflits depuis au Moyen-Orient ou en Libye, sur la tactique de soutien encadrant des populations civiles qui avait été celle des petits paquets en Indochine et qui perdure aujourd'hui en Afghanistan sous couvert de maintien de l'ordre et de pacification... Le colonhialisme a vécu, le néo-colonialisme lui succède en vagues régulières au prétexte du progrès, mais saccageant toujours peuples et territoires au seul profit de la fortune capitaliste.
L'inscription de l'épisode algérien dans l'histoire de France peut utilement contribuer à la réflexion sur la vanité de l'asservissement des peuples pour l'accaparement de leurs richesses, le temps et la résistance viennent à bout de ces pitoyables entreprises.

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