lundi 10 janvier 2011

Moins il y a de fond, plus il y a de forme

De retour de Villejuif où se tenait samedi dernier la "rencontre nationale des animateurs et animatrices de section du Parti Communiste Français", je vous livre ici quelques impressions et sentiments que l'événement m'inspire, à chaud... et quelques autres balivernes.


Pour avoir vécu une rencontre du même type à La Défense il y a un peu plus de deux ans, la première impression est celle du rétrécissement.
Le temps tout d'abord, puisque la rencontre de cette année se concentrait sur la journée du samedi alors que la précédente avait couru sur deux jours, ajoutant une longue soirée de travail au siège du Parti pour quelques uns. Samedi, de 10 h à 16 h 30 avec la coupure du déjeuner, ça faisait quand même un peu court !
L'Espace des Esselières, à Villejuif, en banlieue sud n'avait pas la dimension glorieuse de La Défense ! C'est une forme de modestie dont je me félicite, et pas seulement sous l'angle de la trésorerie !
Le nombre des participants était vraisemblablement moindre que celui de la précédente édition, peut-être diminué de moitié. La délégation de l'Allier, réduite à deux, contribuait à cette diminution. Sans que nous ayons eu d'information sur la participation les délégués devaient être environ 600.
La différence était aussi sensible à l'accueil. Lors de la rencontre précédente l'entrée sur le parvis de La Défense était marquée par la multitude des sollicitations de distributeurs de tracts des différentes tendances qui s'exprimaient. Samedi dernier seul un tract se faisait l'écho de la réflexion de communistes réagissant aux débats du Conseil National de la veille et réclamant la désignation d'une candidature communiste pour les présidentielles de 2012. Il est vrai que certaines des tendances s'exprimant en interne il y a deux ans ont vu leurs promoteurs quitter le parti pour d'autres horizons avec plus ou moins de bruit médiatique.


Étions nous pour autant dans une forme d'homogénéité retrouvée sur les trois thématiques offertes à la discussion ?

  1. élargissement du Front de Gauche et place du PCF
  2. Programme populaire partagé
  3. Ambition 2012



Au vu des échanges dans la "ruche" à laquelle j'ai participé sur le thème n°1 et qui se sont poursuivis à la table du déjeuner avec d'autres, la réponse est clairement négative.
L'éventail est largement ouvert entre les communistes de Vitrolles qui pratiquent un élargissement du Front de Gauche jusqu'au MODEM et ceux de la banlieue industrielle de Lyon qui se satisfont de faire vivre leur Parti dans l'ignorance du Front de Gauche. Les dégâts colatéraux des régionales version Front de gauche ont aussi été perceptibles dans les interventions des camarades de Bretagne, du Centre, du Limousin ou de Rhône Alpes. Et la proposition de la direction nationale de repousser le prochain congrès fin 2012 après l'épisode des présidentielles et des législatives ne manquent pas d'inquiéter des camarades de fédérations très divisées et qui attendaient le prochain congrès pour clarifier leurs positions. Certains n'ont pas attendu et j'ai entendu une expression qui m'a très profondément choqué dans la bouche d'une communiste déclarant que dans sont département "ils avaient fait le ménage". 
Quand bien même quelques interventions ont été marquées par des propos peu amènes vis-à-vis de la direction nationale sur certains points, cette opposition n'avait ni l'ampleur, ni la véhémence que nous avions pu voir à La Défense il y a deux ans dans les éclats de Marie Pierre Vieu ou de quelques autres.
L'impression qui me reste est celle d'un "cachez ces tensions que l'on ne saurait voir"; et la posture de Pierre Laurent n'en fait pas le dirigeant dont les communistes ont besoin aujourd'hui, l'intervention d'André Chassaigne rendue nécessaire pour tordre le cou à quelques propos sur sa candidature n'a fait qu'en amplifier la perception. Ce n'est pas tout à fait par hasard si l'allocution de clôture de Pierre Laurent ne s'est pas achevée sur les applaudissements d'une salle debout aux accents de l'Internationale.


Je comprends aisément les exigences d'une situation difficile dans laquelle on doit jouer avec des partenaires et des concurrents sur des terrains électoraux minés  par l'enchainement pernicieux des cantonales, sénatoriales, présidentielles et législatives. Il y a une forme d'urgence à promouvoir une image d'unité et de cohérence, tout en donnant des gages à une base écartelée entre diverses préoccupations toutes rattachée au même constat de faiblesse. 
Ne pas reproduire la situation de 2007, là-dessus au moins tout le monde se retrouve. Mais dès qu'il s'agit de mise en perspective, les points d'appui divergent vite et les options se radicalisent avant même qu'on ait envisagé de se retrouver sur une même base programmatique. La pollution du débat pas les effets de la bipolarisation droite gauche réduite au couple UMP-PS est un obstacle pourtant bien perçu par tous qui réclament qu'on oublie pas la cause première de notre existence en tant que communistes, à savoir le soutien aux victimes du système capitaliste avec la mise en perspective de son "dépassement" dans la promotion d'un monde nouveau libéré de l'injustice de l'exploitation des masses au seul profit de quelques privilégiés.


Et alors ?
Il va falloir faire vivre les engagements pris majoritairement par le Conseil National dans un calendrier d'échéances à la fois très proches et beaucoup plus lointaines. Vouloir que les communistes restent maîtres de leurs choix est bien la moindre des choses. Mettre en pratique cette simple ambition ne va pas non plus de soi. Le débat est nécessaire, mais il doit être respectueux de la diversité qu'il doit réduire à une position partagée sans laquelle tout progrès serait illusoire. 


Après les élections européennes et les régionales qui ont vu l'expérimentation du Front de Gauche, les prochaines échéances ne se profilent que dans cette même configuration. Présentée comme la panacée électorale, cette stratégie n'est pas encore considérée par l'ensemble des communistes comme une des bases de la recomposition progressiste de la gauche. L'argumentaire pro Front de Gauche reste trop confiné dans l'exposition des quelques progrès électoraux enregistrés ça et là. C'est la stratégie de rassemblement qui pose problème au point que certains confondent la démarche du Front de gauche à celle de l'union de la gauche des années 70... Les hésitations à définir le périmètre de la gauche pèsent d'autant plus que le focus est centré sur les échéances électorales avec leurs lots de candidatures et de perspectives de résultats. Comment s'interdire l'élargissement du rassemblement à gauche aux socialistes si on a l'ambition d'une accession au pouvoir pour changer la vie ? Comment ne pas s'enfermer dans la condamnation a priori des dérives sociales libérales coutumières des mêmes ? Comment concevoir un élargissement du Front de Gauche sans bien identifier les fondations de l'édifice initial et en respecter l'existence ? 


Force est de constater que si le parti communiste français résiste et continue d'exister, les tensions internes, les  frictions récurrentes avec les voisins de lutte ne manquent pas de l'épuiser en rompant systématiquement les fils de son histoire. On ne peut pas vouloir fêter le 90ème anniversaire du congrès de Tours en occultant les débats qui l'animaient. On ne doit pas non plus proposer pour tout projet aux nouvelles génération la seule vénération nostalgique d'un âge d'or dont on masquerait aussi les ressorts de la facilité.
Il est facile de constater que le courant d'adhésions à notre parti a été beaucoup plus important dans les vingt ans qui ont suivi la deuxième guerre mondiale que pendant les cinq années d'occupation qui furent autant d'années de martyre pour nos camarades résistants. Le courant qu'ils avaient suscité, trop souvent au prix de leur vie, avait d'autres ambitions que celles d'un ralliement facile un peu plus tard. 
Si les communistes d'aujourd'hui ont un héritage à assumer comme il est souhaitable qu'ils en laissent un utile aux générations futures, il n'a guère de sens aujourd'hui pour celles et ceux qui s'emploient à le dilapider face à d'autres qui s'en voudraient conservateurs dans la naphtaline.


Réformiste ou révolutionnaire, des petits pas ou du grand soir, on peut remonter aux discours des deux méthodes qui opposaient Jaurès et Guesde il y a plus d'un siècle. Il n'est pas inutile de connaître et comprendre ce qui a fait notre passé à gauche, de luttes communes et de divergences, de déchirements et de convergences; mais les circonstances du présent ne nous interdisent pas les erreurs commises par le passé, pas plus qu'elles ne nous encouragent à reproduire simplement les succès à l'identique. 




Etre communiste aujourd'hui, c'est au moins trois choses indissociables :


Etre.
Etre plutôt que paraître dans l'exercice intelligent de la pensée et de l'action qui fait des hommes des êtres sociaux en capacité de reconnaître en l'autre le faire valoir de sa propre existence de citoyen libre et non de simple contempteur. Etre plutôt qu'avoir dans l'insupportable prétention qu'ont beaucoup à croire légitime que le pouvoir doit leur être donné  de posséder les choses ou le destin de leurs semblables asujettis. Etre communiste n'est pas un état mais bien une pratique, un comportement, une pensée en action, en interaction avec l'autre. N'est-on pas communiste d'abord pour les autres ? 


Communiste.
Sa philosophie politique engageant la transformation d'une société déchirée par des intérêts de classes, par l'appropriation des biens ou du pouvoir au détriment du plus grand nombre, se nourrit de la pensée de Marx, Engels et de leurs précurseurs, mais aussi et surtout de l'expérience de la vie. La logique du partage et de la solidarité, de la liberté individuelle indissociable de l'utilité sociale de tous,  de la coopération respectueuse architecture la pensée communiste. L'appropriation collective des moyens de production et d'échange ne fait que garantir à chacun l'exercice de son droit sans le priver de rien, si ce n'est d'exploiter les autres à son profit particulier.


Aujourd'hui.
Si la philosophie communiste peut exister hors du temps, l'exercice de sa pratique ne peut s'affranchir du contexte dans lequel des hommes et des femmes ont l'ambition de la faire vivre dans leurs actes et d'en concrétiser les principes dans leur organisation sociale. Le degré d'accession des peuples au savoir, la circulation des idées et des biens, la valorisation des produits ou des services, la disponibilité des richesses naturelles et les moyens de leur exploitation, etc. tout élément du contexte induit une approche corrigée de l'idéal communiste. 
C'est peut-être là au présent que se construit l'identité révolutionnaire des communistes, dans cette capacité de rupture maîtrisée du modèle politique, économique et social, bien ancrée dans la vie, la vraie vie, celle de la raison et non de la croyance. Pas plus d'au-delà partagé d'enfer en purgatoire ou paradis que de lendemains qui chantent, les communistes doivent proposer aux hommes et au femmes, au jeunes et aux plus vieux, à celles et ceux d'ici ou d'ailleurs, de construire ensemble un nouveau monde en extirpant de l'ancien ce qui en fait la misère et la faim, la guerre et ruine, et pour s'en partager justement la richesse.
L'affirmation d'une identité communiste aujourd'hui n'est pas plus compliquée qu'elle pouvait l'être à l'aube de la révolution industrielle. L'ambition dominatrice des maîtres de forges de l'époque était aussi éloignée du monde rural qu'elle aspirait dans la poussière des mines que peut l'être aujourd'hui celle d'un banquier spéculateur engageant le paysan à vendre sa prochaine récolte avant même d'avoir semé.


La première nécessité réside bien dans ce que d'aucuns appelleraient "diagnostic partagé" et qui consiste simplement dans l'examen attentif des situations, des relations et des productions pour établir les bases communes de la description du monde dont nous appelons la transformation.
La seconde phase devrait porter sur l'expression des objectifs de changement qu'on assigne à notre action.
Ensuite viendra la détermination des moyens appropriés à la réalisation de ces objectifs dans le contexte décrit auparavant.
La mise en oeuvre de l'action transformatrice  ne peut s'affranchir des étapes précédentes au risque de ruiner les chances de succès dans une action inappropriée dans le contexte, d'une impossibilité d'agir faute de moyens, ou d'un défaut de mobilisation des acteurs sur des objectifs inaccessibles.


C'est de ce fond idéologique bien construit dont nous avons besoin, plutôt que de formes qui ne sont plus qu'autant de formalités conjoncturelles qu'on jette sitôt après qu'on les ait glorifiées. 
Le rassemblement, présenté comme une stratégie, n'est accessible qu'à ceux dont la posture est propice à la mise en relation. Et ce n'est pas son intitulé, d'Union de la Gauche avec Programme commun de gouvernement, en rassemblement populaire majoritaire, en passant par des collectifs anti libéraux pour arriver au Front de Gauche, qui fait la réussite ou l'échec du rassemblement. Les mots disent l'intention, mais l'intention ne se suffit pas.



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