lundi 27 septembre 2010

Temps perdus

Parmi les derniers soubresauts qui ont agité les restes décharnés de l'école de la République, la rentrée marquée par la mise en fonction des nouveaux enseignants sans formation professionnelle initiale est certainement le plus grand choc qu'elle ait jamais connu. Et ça passe presque inaperçu !
Désormais le métier d'enseignant n'existe plus !
Pour occuper les loisirs des enfants au centre de loisirs ou à la garderie, on exige bien un personnel formé... et c'est heureux ! Et voilà que pour leur apprentissage scolaire point n'en serait besoin.
Au-delà de l'indécence de la situation et de ses motivations économiques exigeant de l'Etat qu'il trouve les millions d'euros nécessaires au remboursement des impôts des plus fortunés, c'est bien au fondement social de l'école qu'on s'attaque ici.
L'école ne serait plus qu'un banal objet de consommation; le zapping des parents entre écoles pour peu qu'un enseignant ait le malheur de déplaire (réprimande à l'enfant roi, menace de redoublement...) est chose courante, entre établissements publics (assouplissement de la carte scolaire oblige) ou entre public et privé...
La crise ne menace plus l'école; la crise et les pouvoirs de droite comme de gauche qui ont eu à l'affronter après l'avoir déclenchée, ont déjà détruit l'école.

Désormais il ne s'agit plus de réformes dont l'école  à besoin mais de FORME, de la redéfinition du cadre de son exercice, de ses objectifs et de ses missions avec en regard les moyens nécessaires à son fonctionnement.
Trois grandes problématiques me semblent charpenter la réflexion sur le système scolaire à REconstruire :

  • le temps (temps de l'élève et temps de l'enfant, temps de l'enseignant ou temps des parents et temps des travailleurs citoyens, temps de l'établissement et temps de la cité...)
  • L'espace (lieu de l'école et lieu de vie, l'école dans ou hors des murs...)
  • Les savoirs et les objets d'apprentissages (évolution des périmètres des savoirs, les pratiques d'apprentissage, le partage éducatif et la collaboration professionnelle...)
Il avait fallu presqu'un siècle à l'école de la République pour caler chez tous les protagonistes de l'école des représentations du temps communes.
Le temps des vacances scolaires inscrites sur le calendrier agricole d'une France rurale ne souffrait guère de discussion. Le temps de l'instituteur secrétaire de mairie et quasi écrivain public était aussi naturellement défini comme celui du notaire de sous préfecture réglant les successions. Celui des parents déléguant à l'école le soin de préparer leur progéniture à la vie qui s'ouvrait dans une logique de progrès était aussi bien défini; point besoin de réunion institutioonnalisée dites "parents-professeurs", la vie de tous les jours y suffisait au fil des rencontres fortuites dans un commerce local, à l'occasion de quelque festivité ou, pour les plus familiers, sur le coin de la table en cassant la croûte...
Aujourd'hui le temps de l'enfant prend le pas sur le temps de l'élève au plus grand bénéfice de la progéniture des beaux quartiers qui va trouver ailleurs qu'à l'école ce que les pauvres bougres ne goûteront jamais.  L'école dans sa marchandisation du savoir et de la "réussite" est devenue un des premiers agents de la ségrégation sociale en donnant de moins en moins de temps professionnel enseignant à tous les petits, équitablement. Heureux ceux qui vont pouvoir, comme pour l'école "parallèle" payante en fac de médecine, s'acheter les compléments qui distinguent; c'est à ce prix qu'un peuple décérébré peut accepter sa servitude au profit d'une minorité privilégiée tout aussi décervelée. Il suffit de comparer les emplois du temps des petits qui vont être conduits par papa ou maman du cours de danse à l'entraînement de tennis, du rendez-vous avec le professeur de piano à l'équitation du samedi après midi... complètement exténué d'un bout de l'année à l'autre comme il le sera plus tard dès sa sortie d'école de commerce, en ski et club Med ou stage de golf... il suffit de regarder celui des gosses des "cités" qui tuent leur temps dans les hall d'immeubles et dans les caves dès qu'il fait froid avant de sortir effrayer du citoyen dehors, désoeuvré comme il le sera plus tard, chômeur.
Schématisation excessive ? non, puisque ce qui forme les classes moyennes ne s'imagine échapper à la déchéance dans les difficultés  qu'en singeant les apparentes facilités des privilégiés : les banquiers et autres gourous du commerce sont là pour les y aider. C'est le temps de l'apparence.
Aujourd'hui le temps de l'enseignant ne colle plus au temps de son école. Des heures de trajet pour rejoindre une école qui n'est plus dans le meilleur des cas qu'un lieu de travail, en tout cas pas un lieu de vie et la vie de la personne, elle, est ailleurs, loin du professionnel. L'enseignant n'est plus une personne de la société commune avec un statut construit dans la société qu'il habite. Il est devenu aussi impersonnel et interchangeable qu'une caissière de supermarché. L'école a besoin de ses enseignants au-delà du simple temps de prise en charge des élèves dans la classe. Et c'est bien compliqué pour peu que l'enseignant citoyen soit parent d'enfants qui sont aussi parfois élèves, ailleurs, loin, confiés aux mains d'autres enseignants qui viennent aussi de loin, ailleurs... L'école est devenue peu à peu étrangère à son monde au point que les deux problématiques majeures du moment sont paradoxalement sa fermeture et son ouverture. Instrumentalisées par le délire sécuritaire ambiant, quelques violences incitent à dresser de hautes barrières tout autour de l'école pour la préserver des fautes et faiblesses de la société qu'elle est sensée nourrir. Mais par ailleurs on ne manquera pas de prôner une ouverture qui fait tellement défaut depuis que le peuple des professionnels de l'école s'est tant éloigné du peuple de ses usagers.
Le temps de l'école n'est plus. Tout comme l'agri manager a enfin fait démolir les murs de la vieille grange dont le toit effondré faisait pitié au profit de constructions industrielles plus loin, la maison d'école s'est effacée du paysage communal, désaffectée qu'ils disent. La maison de la ferme, elle, est transformée en gite, la porcherie et ses dépendances font le bonheur de citadins en mal de verdure qui viennent s'échiner quelques week-ends à la belle saison pour en entretenir leur espoir de résidence... Et de là il ne partira plus d'enfants sur le chemin de l'école.
Aujourd'hui le paysan, ou plus exactement celui qui occupe l'espace rural, peut vivre en appartement, la conjointe n'a plus besoin de basse cour, professionnelle travaillant à l'extérieure elle est généralement la seconde fonctionnaire de l'entreprise.
Aujourd'hui l'enseignant a perdu le lien au temps et à l'espace professionnel au même titre que le paysan.
L'école du village a fait son temps, elle n'est plus. Transformée en logements ou en bistro communal, elle peine à conserver le souvenir des rires des enfants.
C'est tout juste s'il reste quelques turbulents de la génération "abri-bus" à réprimender, dès leur plus jeune âge on leur a appris à partir ailleurs.
à suivre.


1 commentaire:

depoilenpolitique a dit…

Oui , mon ami , l'école laïque , publique et gratuite , est le seul endroit ou l'être humain se construit en homme libre , loin d’être là pour apprendre bètement elle était là d'abord pour réfléchir, et apprendre à réfléchir ,, mais là s'en est trop , et la droite comme la gauche caviar n'en veut pas plus car des être qui réfléchissent sont dangereux pour le système !
La vérité est là , on veut la mort de cette école , comme on veut la mort de tout ce qui permet émancipation humaine .
Il nous reste à nous battre pour reconstruire tout cela : un travail titanesque en vers et contre tous mais possible si nous le voulons!
Amitiés et fraternité