mercredi 22 septembre 2010

Liberté, Egalité, fraternitude

L'image que donne généralement la gauche française est celle de la diversité dans l'éloge de sa richesse et de la volonté affichée de toutes part d'en être à sa façon. C'est aussi l'image de la division renvoyée par une droite unie aux forceps sous la houlette autoritaire de Sarkozy (un président qui peine à tenir le couvercle sur son panier de crabes...).
La gauche renvoie plus souvent l'image d'un puzzle dont on aurait perdu des pièces que le bel agencement des jardins de Versailles. Pour beaucoup  qui s'obstinent à ne vivre qu'au présent, il n'est pas facile de savoir dire où on en est, et souvent plus difficile encore de présager où l'on va.
En fait, depuis plus de quarante ans le fonctionnement de la gauche française s'appuie sur le paradigme de l'union. Cette union se joue sur un modèle cyclique de rapprochements et de ruptures dans le modèle du "je t'aime, moi non plus", l'union ne valant que par la désunion qu'elle engendre.
Cette représentation du monde, cette manière de voir les choses, ne repose plus depuis des lustres sur  un constat de convergence ou de divergences idéologiques, mais plutôt sur les enjeux électoraux animant des jeux d'alliances opportunistes changeant au fil du temps.

La période du "programme commun de 1972 marque vraisemblablement l'entrée dans cette ère nouvelle.
Depuis, au gré des échéances, l'union des forces de gauche étant seule capable de lui ménager l'accès au pouvoir, des stratégies d'union ont été développées sur un éventail plus ou moins large de cette partie de l'échiquier politique. L'union de la gauche en était le modèle le plus rudimentaire avec les trois composantes porteuses du programme commun de gouvernement. Plus tard la "gauche plurielle" a permis de pimenter l'union d'une reconnaissance appuyée des différences qui ne cachaient guère la pratique hégémonique du PS qui a conduit à sa perte.
Plus tard encore le processus d'union lui-même est devenu pluriel, souligant la logique d'émiettement de la gauche. D'un côté le PS tente de refaire son unité malmenée par une pratique des tendances porteuse de luttes fratricides entre les écuries électorales  des éléphants roses. D'un autre, de collectifs antilibéraux en Front de gauche, les composantes de la gauche de la gauche que le PS avait asphyxiées tentent de s'oxygéner et de reprendre de l'audience. L'argumentaire tourne autour de deux grands thèmes, la conservation de l'idéal transformateur de la gauche que le PS aurait abandonné et l'ambition de le faire vivre en accédant aux reponsabilité, et de l'autre l'ouverture pour élargir l'assise de l'union et en parfaire la cohésion.
Aucune de ces stratégies ne s'est montrée porteuse d'ancrage solide à gauche dans le long terme. La dimension conjoncturelle des rapprochements calés sur les échéances électorales en est vraisemblablement la cause, car, quand bien même on s'en défend avec la dernière énergie, au bout du compte les tractations portent bien sur les "places"; les derniers soubresauts l'illustrent à merveille aussi bien au PS qui veut organiser des "primaires ouvertes" pour désigner son(sa) candidat(e) des présidentielles de 2012, qu'avec le Front de Gauche et les épisodes successifs de la déclaration de Jean-Luc Mélanchon se disant disponible pour cette même échéance de 2012 avant qu'André Chassaigne force la porte du "tournez manège" pour se mettre sur les rangs à la fête de l'Huma. Le tout bien entendu s'opère tout en affirmant haut et fort que la désignation du candidat du Front de gauche ne suppose pas de guerre des ego...
Dans cette situation, l'évolution de la mouvance écologiste après le succès d'Europe écologie aux européennes complexifie un peu plus le paysage, tout comme les tentations centristes du versant social-démocrate du PS dont il accapare la direction.

Avec Sarkozy au pouvoir la droite avait fait le pari de changer de république en l'espace d'un quinquennat. Les aspects les plus insupportablement régressifs de la politique de la droite, tout sécuritaire et ostracisme affiché, renforcement des privilèges de la fortune et casse sociale de grande ampleur, démolition des services publics, sape des fondements mêmes du pacte républicain, le pouvoir pousse les feux dans tous les sens à en donner le tourni et ne plus savoir sur quelle bataille s'engager.

Face à cela, la référence permanente à l'échéance de 2012 disqualifie les politiques qui accompagnent plus ou moins maladroitement le mouvement social généré par la frénésie régressive de la droite au pouvoir. Comme les députés communistes l'ont encore montré dans le débat sur les retraites, la lutte n'attend pas et les gesticulations embarrassées des dirigeants socialistes sur les mesures d'âges sont loin d'être à la hauteur des exigences populaires. C'est donc bien la lutte sociale qui va donner le la aux politiques.
L'aile gauche du PS avec Benoit Hamon acceptant d'approcher les autres composantes de la gauche pour envisager l'avenir sur les bases d'un projet progressiste serait de bonne augure. Encore faudrait-il que la clarté soit faire à l'intérieur du PS et que la sédimentation achevée d'une couche social-démocrate passe la main à celles et ceux qui ont vraiment le coeur à gauche. C'est au prix de ce changement que pourrait s'envisager une coalition  dont l'ampleur et la détermination serait gage de réussite.
Pour qui n'a pas perdu sa boussole, il n'y a pas plusieurs gauches, il en est une à construire de différents matériaux certainement, mais  surtout avec le liant d'un ciment idéologique solide et clair.
La candidature à une élection est primordiale pour signaler son existence, mais elle reste vide de sens si elle ne sert qu'à témoigner. Elle doit charpenter l'argumentaire de ses partisans pour en faire un outil de lutte et de progrès dans la conscience collective : on ne gagne bien et durablement que sur des idées mais pas sur l'incarnation très provisoire d'un candidat, fut-il le meilleur de tous les temps.
Le front de gauche, n ième forme d'union à gauche va-t-il surmonter l'épreuve des prochaines échéances électorales ? Le déséquilibre des composantes de sa formation reste une difficulté sensible à surmonter qui reproduit à une autre échelle la fragilité d'une union de la gauche dominée par un PS hégémonique.
L'union ne peut se réaliser que dans le respect de ses composantes et dans une logique de coopération. Pour peu que la concurrence s'installe entre les parties ou entre le tout et ses parties et les efforts seront vains.
S'il a été dit que le Front de Gauche n'avait pas vocation à devenir un parti, alors il faut trancher définitivement sur l'impossibilité d'adhésion directe (les expériences passées centristes autour de l'UDF sont éclairantes sur le sujet).
Le penchant naturel du fort à se goinfrer des faibles et la propension des faibles à s'imaginer que l'ombre des grands les renforce mériteraient d'être rangés au rayon des accessoires et l'appel aux citoyens doit bien porter sur l'engagement et les idées à faire vivre ensemble.
Ce ne sont pas, dans un grand consensus fraternel, des "primaires à gauche" réduites à l'appel des socialistes aux autres formations de gauche pour qu'elles décolorent leurs ambitions qui changeront quoi que ce soit. Les choses bougeront peut-être le jour où il deviendra imaginable que les socialistes qui réclament tant de fraternitude seront capables de soutenir un autre candidat que le leur... Ce serait le grand jour où le projet et son programme d'action prendrait le pas sur la binette médiatique des ambitions personnelles.
Et si c'était demain...

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