samedi 19 juin 2010

Démocratie "canada drye"



Mise en scène et communication ne sont pas de la politique, ce ne sont que des représentations de la politique.
Si des questions se posent régulièrement depuis quelques décennies au soir des consultations électorales pour déplorer l'accroissement régulier de la cohorte des abstentionnistes, jamais le moindre élu ne s'interroge à propos des effets de sa mise en scène sur le phénomène.
Et pourtant quand les supporters quittent le stade avant la fin du match il est facile de lire leur réprobation dans la trace de leurs chaussures.
Et plutôt d'analyser au fond les situations et les ressorts qui les activent, on invente un nouveau "machin" frappé au coin de la modernité du seul fait qu'on le propose. Il en est ainsi de tout ce qui tourne autour du concept "pléonasmatique" de "démocratie participative", autrement baptisée "démocratie active". Les citoyens se détournent des urnes, soit. Alors on recrée un dispositif qui va entourer les élus d'un peu de chair citoyenne. Et, pour mieux singer le processus démocratique ordinaire qu'est l'élection on fait appel à la diversité des approches pour mieux refonder autour de soi un vrai faux monde à l'image du réel qu'on suppose. C'est à ce stade que la démocratie s'efface sous la démagogie.
Les soubresauts qui animent les débats dans les organisations politiques -de droite comme de gauche- sur le fonctionnement des élus ne font qu'illustrer la crise de la démocratie représentative.


Le pouvoir politique appartient le plus souvent à celui qui en réussi la conquête, y compris et d'abord contre son propre camp en se l'accaparant au nez et à la barbe de ceux qui l'ont construit pour le réduire à "sa chose". Dans la 5ème République française les exemples sont nombreux en passant par Mitterrand qui va métamorphoser les restes de la SFIO en Parti Socialiste pour gravir les marches de l'Elysée, ou Sarkozy qui fit de même avec le RPR phagocytant du centre à l'extrême droite pour dérouler le tapis bleu de l'UMP jusqu'au bar du Fouquet's.
L'évolution de la société vers plus d'individualisme et de consumérisme n'est certainement pas étrangère à cette dérive mortifère de la démocratie. Mais peut-on nier le fait que les grandes tendances des évolutions sociales sont aussi conditionnées par la conduite des affaires de l'Etat qui va privilégier l'appropriation collective et le développement des processus coopératifs, ou au contraire renvoyer au particulier et à l'initiative privée dans l'univers de la concurrence. Force est de constater que depuis plus d'un demi siècle, à grand renfort de privatisations et de décentralisation, c'est le second modèle qui domine et s'incruste, sous l'impulsion de la droite comme de la gauche guimauve social-démocrate.
A cela s'ajoute l'évolution de la représentation élective et de son fonctionnement.
Peut-être faudrait-il chercher de ce côté, dans la mise en scène du pouvoir, les racines du divorce citoyen d'aujourd'hui.
Se donner à voir est la préoccupation nécessaire et vitale du pouvoir. Sinon comment voulez-vous qu'il "puisse" exister ? Un pouvoir qui ne se voit pas n'est qu'impuissance. Et le rôle de la mise en scène du pouvoir vise trois publics différents : ceux qui sont la coupe, les gouvernés, les autres détenteurs du pouvoir de la même "espèce", les pairs ou les alliés, et les rivaux figurant l'opposition.
Du côté des gouvernés les marques symboliques sont importantes; le pouvoir doit monter son décor avec une bonne dose d'élévation (perron de l'Elysée, bureau du PDG en duplex dernier étage et terrasse...) pour que le quidam n'entre pas de plain pied -ou sur un pied d'égalité- dans la zone du pouvoir. Le second élément du jeu porte généralement sur le degré de disponibilité. Le sens commun et surtout la loi du marché voudrait que ce qui est rare est cher. L'illusion du pouvoir sera d'autant plus entretenue que la disponibilité sera faible vis-à-vis de ses gouvernés. C'est la grande litanie des agendas trop pleins, des journées trop pleines, de la fatigue obligée.
Plaint-on jamais l'opérateur à la chaîne en poste trois-huit qui va faire souffrir sa famille d'un rythme de travail peu compatible avec la disponibilité utile aux enfants ou à la vie sociale ordinaire ?
Il est donc utile d'organiser la visibilité -certains parlent d'inaugurer les chrysanthèmes ou plus sereinement de couper les rubans- pour que le pouvoir s'exhibe et justifie le rôle qu'il s'assigne dans une logique de différenciation sociale (décorum, véhicule et service de fonction, etc). Le modèle est plus proche de la monarchie que des pratiques plus discrètes de certains pays nordiques.
Concernant les pairs ou les alliés, le jeu et la mise en scène sont bien différents. Le modèle privilégié est celui du cercle et de l'entre soi pour renforcer le processus d'identification. C'est ainsi que se sont constituées des myriades d'associations toutes aussi spécifiques les unes que les autres et qui, dans leurs recoupements permettent d'en gratifier beaucoup de responsabilités diverses comme autant d'accessoires du mandat initial.. Les clés d'accès ne sont pas celle du Jockey-club, mais on ne mélange pas les maires des communes de plus de 30000 habitants et ceux des petits bourgs ruraux. Chacun se doit de siéger dans les rangs de l'association correspondant à ses indemnités. Et si parfois la logique discriminative semble s'effacer avec les associations d'élus partisanes, elle ressurgit dès lors qu'un de leurs moteurs principaux est justement de travailler en concurrence avec les partis qui les supportent -accueil et soutien des dissidences, lobbying stratégiques...- pour mieux les contrôler au détriment de la base des adhérents.
Envers l'adversaire, la posture n'est pas nécessairement celle de l'affrontement. Depuis que les joutes électorales se gagnent plus en contre qu'en pour, chacun s'astreint à l'exercice de séduction de la marge fragile de l'adversaire et qui peut lui garantir l'ascendant sur son concurrent. C'est ainsi que depuis des décennies, le débat politique s'est affadi, recentré en s'éloignant des positions les plus radicales (l'exception du second tour de présidentielle avec l'élimination de la gauche et la présence de Le Pen en est à la fois le contre exemple et l'illustration). D'un côté ou de l'autre, la visée consensuelle décourage de tout engagement partisan pour concentrer le débat politique ou ce qu'il en reste dans une logique clientéliste de club de supporters. La mise en scène porte essentiellement sur la désignation de l'adversaire tel qu'on le veut voir se présenter.
La fonction d'opposition est le plus généralement déléguée à l'organisation politique dans un rôle de méchant dont se démarquera habilement l'élu pour ratisser plus large et rendre son offre politique moins clivée et plus partageable à sa marge.
Cette hiérarchie dans la vie politique qui surélève le socle électif et disqualifie l'organisation politique plus partisane est en grande partie à l'origine de la crise du politique qui rejaillit sur la démocratie qu'elle écorne.
l'autorité des politiques est le plus souvent stéréotypée en fonction des cibles visées. Elle a toujours vocation à rassurer les partisans, à les impressionner au même titre que les adversaires, et plus généralement à entretenir une image gratifiante de soi détachée de l'action qui pourrait la justifier.
La mise en scène du pouvoir politique traduit la nature de ce pouvoir aux yeux.
Cette mise en scène peut aller du plus banal des comportements d'élu local dont le retard habituel souligne l'arrivée et le dispense de la prise de contact initiale engageante au plus lourd dispositif de communication de la présidence de la république :
sept millions et demi d'euros dépensés en 2009, avec une équipe de 51 personnes, dont la dernière recrue, maître de conférence en littérature comparée, doit préparer les "petits discours" du président.


à lire : cet article en dit long sur les moyens mobilisés par l'Elysée pour la communication présidentielle; être toujours à la une, surmédiatisation et peopolisation à outrance, ça coûte !


Mise en scène et communication ne sont pas de la politique, ce ne sont que des représentations de la politique. Et l'abus de cette dérive ne contribue-t-il pas activement au désaveu citoyen de l'abstention ?

Aucun commentaire: