mardi 4 mai 2010

Régionales, et après ?

Réapprendre le pluriel


Les citoyens engagés politiquement et habitués de l’internet ont fait chauffer les claviers ces derniers temps et une petite balade au gré des sites, des blogs de toutes les couleurs et des fils de discussion qui s’y tricotent est édifiante pour aider à lire la situation.


Pas d’illusion, il ne s’agit là que de l’expression d’une petite partie du corps social. Mais contrairement aux sondages il n’y a pas là de biais induit par le choix et la formulation des questions. Il ne s’agit pas non plus d’une « radio-bistro » où les propos sont d’autant plus préfabriqués qu’ils sont imbibés. Cet échantillon du corps social est particulièrement diversifié, fait d’hommes et de femmes, de jeunes et de vieux, de champs professionnels très ouverts… Et, ce qui n’est pas sans importance, on y rencontre des gens dont les expériences politiques sont très, très, très différentes. Certains ont un demi siècle d’expérience et d’engagement, d’autres, pas forcément bien plus jeunes se sont éveillés au débat politique avec les collectifs antilibéraux ! C’est dire… Certains propos trahissent une approche idéologique proche du néant quand d’autres tissent les références philosophiques dans leurs analyses. Certains viennent à la politique comme au cocktail du préfet, histoire d’être vu dans la belle couleur d’un costume qui ne leur va guère, quand d’autres ont la discrétion polie par l’expérience…
Bref, j’ai l’impression de voyager dans la vraie vie, ou presque ! Dans la diversité qui fait société et que je vois oubliée par le monde politique entre deux campagnes électorales. C’est une impression très voisine de l’expérience d’une semaine en apnée dans la vie parisienne, du métro qui grouille à la terrasse de café qui fait la pause, de l’œil aiguisé au volant à celui qui se perd en rêvant de la fenêtre du 27ème étage. 100 mètres plus bas les voitures et les bus sont autant d’autos majorettes qu’on a envie de guider du bout du doigt et sur la dalle les vrais gens font figurines tout droit sortie d’un œuf Kinder. C’est un peu la même chose à l’écran du web : on peut rentrer dans un collectif inconnu et être piégé par l’apparence, le titre du journal que lit son voisin de métro, le sac à dos qui s’accroche au hasard d’un trottoir encombré, la petite sacoche siglée du ministère des affaires étrangères (à ne pas confondre avec le ministère de l’intérieur qui lui, s’occupe des étrangers, de l’intérieur !)… Et on peut partir en réflexion au détour d’une phrase ou d’une image. C’est bien nécessaire de prendre de la hauteur, parfois, pour rester vivant dans la vraie vie !

Je retiendrai trois choses que ces voyages m’ont permis de confirmer :



Un monde singulier : c’est un peu comme si la conjugaison de la vie politique s’arrêtait aux trois premières personnes, celles du singulier. Un JE hypertrophié, gras à souhait, oublie d’autant plus sa petite pointure qu’il ne se voit plus la pointe du pied ; bien souvent orphelin il se cherche le TU qu’il peine à trouver. Quant à l’autre, il ou elle existe vraisemblablement, mais en creux dans un discours qui n’en fait qu’une collection d’autres JE, incapables qu’ils sont la plupart du temps de considérer que Je est un autre. Le NOUS qui fait société, le VOUS qui fait débat, ILS ou ELLES, ces autres qui aiguisent la conviction des militants, tous ces pluriels ont disparu. Quand on évoque la dérive individualiste de nos sociétés, en voilà une manifestation. De la même façon que tous les amateurs de foot sont sélectionneurs de l’équipe de France, chacun peut aujourd’hui se poser en chef de parti, ou plus modestement en acteur autonome en s’affranchissant du carcan organisationnel qu’impose un parti politique. Le NOUS n’est pas qu’une juxtaposition de plusieurs JE ; il impose quelques exigences en terme de reconnaissance et de respect trop souvent oubliées. Et que ce soit JE ou NOUS, pour s’adresser à VOUS utilement, encore faudra-t-il que JE fasse la différence, identifie et respecte ce qui fait l’autre collectif interlocuteur pour être écouté et entendu. Il est bien inutile et vain de faire l’éloge de la différence, de se féliciter de la pluralité, si c’est pour la mettre en coupe réglée sous une autorité. Dans l’expérience du front de gauche pour les régionales l’illustration du phénomène est éclatante à lire la forme et le fond des propos d’avant premier et d’avant deuxième tour. La belle unité affichée d’abord dans la phase euphorique de l’avant a vite fait de se lézarder et de laisser s’échapper l’amertume et le fiel. La Fontaine n’a pas toujours été préfigurateur de révolution dans la morale de ses fables épinglant les travers de sa société et des faiblesses humaines. Mais la grenouille a quand même voulu se faire aussi grosse que le bœuf, le renard s’est bien ri du corbeau et la besace n’a plus que sa poche de devant. Celles et ceux qui ont décidé de la stratégie, des candidatures, qui ont tout fait avaliser sous la figure emblématique d’André Chassaigne avaient pu donner l’impression aux invités par l’ouverture qu’ils devenaient maîtres de maison. C’est plutôt le désenchantement qui se lit dès lors que, même en sacrifiant des candidatures communistes la place qui reste aux invités du Front de Gauche s’est bien rétrécie. La prétention hégémonique du PS ne faiblit pas ; la place laissée aux verts d’Europe Ecologie avec plus de candidats que le Front de gauche.


Avec les pratiques dites modernes de « démocratie participative » ou « active » (le prêche serait utile s’il mobilisait la majorité qui s’abstient) on ne fait que demander aux autres de se reconnaître dans notre propre image au travers d’un miroir sans tain tout en lissant son image pour que chacun puisse s’y reconnaître. Pour ma part je préfère la démocratie populaire et la rugosité sans maquillage.




Un monde sans grand-mère : et parfois même sans père ! Tout se passe comme si les jeunes pousses politiques, qui ne sont pas nécessairement de première jeunesse, étaient issues de génération spontanée. Pas nécessairement qu’ils aient honte de leur lignée génitrice, mais plutôt parce qu’ils croient prendre de l’ampleur en considérant qu’ils se sont faits, tout seuls. La perte du modèle familial qui inscrivait la suite générationnelle comme un fondamental structurant n’y est certainement pas pour rien. Parler d’héritage aujourd’hui devient indécent avec la vie que le libéralisme ou la social démocratie ont fait aux peuples dépouillés de tout. Le patrimoine et les valeurs à transmettre (dans tous les sens du terme) n’ont plus de signification aujourd’hui que dans le microcosme des grandes fortunes choyées par le pouvoir. Pour le reste on a des peines à imaginer que des enfants pensent et puissent aider à une survie digne de leurs parents prenant de l’âge. Dans des familles décomposées, recomposées, monoparentales, les jeunes ne peuvent plus s’appuyer sur la même architecture implicite qui obligeait à inscrire simplement sa vie dans la vie des autres. Aujourd’hui la référence à ses pairs est plus présente, et pas seulement chez les « loubards de banlieue ». Et c’est aussi vrai pour les adultes avec d’autres ressorts. Ne voit-on pas souvent maintenant invoquer la nécessité d'actions dites "intergénérationnelles" ? C'est bien le signe de la dilution des liens intergénérationnels naturellement tissés hiers. Comme dans beaucoup de domaines il faut maintenant réintroduire l'espèce par l'artifice, l'original n'ayant plus sa place qu'au musée. De cette façon on voit se perdre la conscience politique qui nait du temps, de l’héritage des acquis et de la mémoire des luttes ; en réduisant tout à son petit présent il est difficile de projeter l’avenir autrement que dans l’illusion de ce qui trouve un écho autour de soi. Plutôt que l’échange et l’enrichissement des idées, on force l’assentiment et le réflexe communautaire. Le Front de Gauche est exemplaire de cet oubli du passé dont on a fait table rase ; les communistes qui s’y inscrivent ne peuvent qu’être ouverts contrairement à ceux qui gardent la maison du Parti auxquels il manquerait cette générosité de l’ouverture aux autres (Si tant est qu’on ait besoin de conserver un parti communiste).


Une politique de l’iceberg et la fonte des glaces : le principe est simple...


La densité de la glace étant inférieure à celle de l'eau, celle-ci flotte en surface, une petite partie émergeant, le reste restant soustrait à la vue, imergé ! Le Titanic s'en souvient... Voir ce qui est au-dessus, c'est bien quand ce n'est pas trop tard... ça ne préserve pas du danger qui vient de la partie cachée sous les flots !


Les politiques de tous bords ont alimenté depuis quelques décennies un modèle du même type. N'ont droit de cité et voix au chapitre que les élus, dans quelque parti que ce soit. Un dessus du manier qui s'érige en partie émergée de l'iceberg, ce qui en trahit l'existence dans tous les sens du terme puisqu'il donne l'illusion d'être, alors qu'il ne serait rien sans ce qui est "dessous", caché, un peu comme une honte, l'organisation, les militants, et à peine les électeurs qui n'ont de mérite que de se réveiller de leur hibernation tous les 5 ou 6 ans.


Tout se passe comme si, aujourd'hui, la partie émergée de l'iceberg oubliait qu'elle aurait les yeux dans l'eau sans la masse qui rame en-dessous en per-ma-nence.


Ce fonctionnement est d'autant plus amplifié aujourd'hui que les candidats aux élections ne se recrutent pas nécessairement aujourd'hui parmi celles et ceux qui ont le plus mouillé leur chemise pour leur cause, ce qui encourage des pratiques de castes complètement étrangères à la démocratie ordinaire. Résultat : dans un premier temps perte d'adhérents, dans un second perte de militants, dans un troisième perte d'électeurs... Et c'est là que nous en sommes rendus chez les communistes aujourd'hui.


Moins d'adhérents et de militants encadrés, c'est moins de moyens d'influence dans le corps social. Des élus très consensuels et ouverts peuvent se satisfaire en nourrissant la voie démagogique de l'assentiment, ils autorisent surtout la formation de courants de supporters où la rigueur et l'exigence idéologique n'ont guère de place affaiblissant encore leurs organisations dans une logique de concurrence.



L’iceberg ou l’agora ?


Pour ma part je choisis l'agora. La tribune est aux tribuns certes, mais au moins sur la place chacun est à sa place à l'égal de l'autre. La démocratie ne supporte guère qu'une masse soit promise à l'ombre éternelle quand seuls quelques uns pourraient s'accaparer la lumière, oubliant trop souvent qu'ils y sont, perchés sur le dos des autres qui les supportent.

1 commentaire:

depoilenpolitique a dit…

Si tu savais à quel point je te comprend dans ton raisonnement !
Les militants qui ont tenu , comme tu dis "mouiller la chemise" , sont laissés sur le bord de la route et dans la tourmente ambiante , resteront comme les dégats collatéraux obligées à chaque bataille sauf que ceux ci manqueront à l'appel lors du prochain affrontement , leur cas feront reculer ceux qui auraient eu envie de s'engager , mais encourageront les carrieristes près a utiliser la chair à canon ,fraiche et innocente ; ce n'est pas ainsi que se construit un mouvement révolutionnaire , ce n'est pas ainsi que l'on fait honneur à tous ceux qui sont mort pour ces idéaux , de la Commune , au comité national de la résistance
Amitiés et fraternité

Jean Claude