La gauche française infestée du virus du pouvoir depuis plusieurs décennies en oublie le sens de son existence. Tant au plan général de ses mouvements internes qui ont imposée l'hégémonie d'un Parti Socialiste recentré sur le moins disant de gauche, que sur les errements tactiques des autres composantes de la gauche au gré des tempêtes électorales, la seule résultante serait la résignation et le fatalisme face au peu d'effet des contre-feux allumés pour contenir l'incendie ravageant les acquis d'un demi-siècle de luttes sociales.
Le Front de Gauche, opportunément nommé pour bien signifier que de ce côté ci on ne spécule guère sur le renoncement et la lassitude, a redonné un peu d'espoir le temps d'une campagne, un peu comme le largage des canadairs dans l'embrasement d'un après-midi. Mais sitôt passé la nuit des résultats, c'est la fumée qui reprend le dessus, étouffant les espoirs d'une accalmie, avec la reprise des "plans sociaux", avec les "pigeons" qui soufflent sur la braise...
Il s'est dit qu'on avait arrêté l'incendiaire...
Pour autant, a-t-on sur le front de l'incendie les pompiers qu'il faudrait, les renforts qui leur seraient nécessaires et le matériel législatif adapté à l'ampleur du sinistre ?
Pas sûr !
Alors, quand le "front de gauche" frémit de tensions internes entre le PCF et le parti de Jean-Luc Mélenchon, quand les "sans parti" du Front de gauche cherchent à se rendre utiles tout en restant "sans" et que les organisations qui le composent veulent s'affranchir des limites de leur taille pour trouver une "formule organisationnelle" qui dessine une nouvelle démocratie contraignant la voix du plus grand nombre à celle de quelques-uns... on peut se poser légitimement la question de son efficacité dans la lutte contre la droite et ses influences grandissantes au sein de la social-démocratie française comme européenne.
Le temps, l'énergie et les intelligences seraient peut-être mieux employées à la formulation de perspectives du changement et des bases idéologiques qui le portent pour tous ceux qui y aspirent. La question des alliances, pour nécessaires qu'elles soient, ne peut être le préalable. Leur périmètre et leur fonctionnement sont étroitement dépendants de leur "portefeuille idéologique".
Pour être au clair sur ce qui fait le commun d'un ensemble et les différences dépassables de ses parties, encore faut-il que chacun sache ce qu'il est et pourquoi.
Aujourd'hui le "projet" est plus à la mode que le "programme", encore mieux s'il est partagé.
Hier, une chose est sure, le front de gauche était uni pour chasser Sarkozy du pouvoir. Les qualités du candidat du Front de gauche en campagne ont mobilisé quatre millions de voix bien utiles à l'élection du candidat socialiste. C'est fait.
Pour autant, force est de constater que ce n'était pas suffisant pour satisfaire aux exigences de changement d'un peuple en souffrance.
Si on s'en tient aux déclarations de membres du Conseil National du Front de Gauche à Médiapart la semaine dernière :
"... si le Front reste un cartel et seulement un cartel, son avenir risque d'être, sinon compromis, du moins handicapé. Or le Front est "la formule organisationnelle" la plus adéquate, la plus adaptée à la période. Pour la préserver, il faut l'élargir, l'enraciner, ouvrir les fenêtres. Donc favoriser l'adhésion et le regroupement des sans-carte, des sans-parti qui veulent être parti prenante du Front de Gauche sans adhérer à l'une de ses formations.",
alors se pose clairement la question de l'évolution de la nature et du rôle des formations qui composent le Front de Gauche.
Les organisations politiques n'ont guère que trois modèles d'émergence, la fusion-concentration, la division et la création pure, ce dernier mode restant le moins fréquent quand il ne masque pas l'excès d'ambition personnelle de quelque gourou.
Au fil de l'histoire ce sont plus souvent les divisions qui ont fait naître des organisations se singularisant sur des points de divergence "indépassables" et permettant de nourrir la concurrence des candidats au pouvoir. Le mouvement socialiste ou le radicalisme en fournissent de bons exemples.
Le modèle des "fusions-acquisitions" cher à l'économie capitaliste qui vise à éliminer les concurrents en les absorbant pour mieux asseoir son monopole opère depuis quelques décennies. La mainmise de Chirac sur le RPR, celle de Sarkozy sur l'UMP ou le gommage actuel des tendances au PS peuvent l'illustrer. C'est aujourd'hui le modèle ordinaire de la conquête et de la conservation du pouvoir. En matière politique, la démocratie n'y trouve guère son compte et il ne faut pas trop s'étonner qu'une des principale issue de cette pratique soit du désengagement et de l'abstention face aux gesticulations d'appareil.
Le géant a parfois des pieds d'argile. Une défaite électorale peut l'ébranler et ré-ouvrir quelques déchirures mal cicatrisées puisque la défaite ne saurait être que de la responsabilité de l'autre comme on ne devra jamais la victoire qu'à soi.
C'est à ce point qu'il faut poser la question de la formation du "Front de Gauche" en parti, ou toute autre forme organisationnelle subterfuge.
Coopérative ou autre appellation n'y change rien, faire du Front de Gauche "UNE organisation" ne peut se concevoir autrement qu'en déshabillant les organisations qui le composent de leur qualité d'organisation.
Il en est ainsi, lorsqu'on parcourt les route de France et qu'on croise le panneau indicateur 'ICI, commune de LA-BAS". La commune de jadis n'est plus que partie d'autre chose et son identité partagée ne la préserve pas de son effacement du répertoire des communes.
Les prochains congrès du PCF et du Parti de Gauche verront vraisemblablement leurs débats bien occupés par ces questions.
Les "sans-carte" ou les "sans-parti" devront attendre le congrès fondateur du Front de Gauche en organisation "dépassant" le stade du cartel pour suivre Roger Martelli qui cherche "l'équation entre quelque chose qui serait plus qu'un cartel et moins qu'un parti".
Ce "moins qu'un parti" ne manque pas de m'interroger sur les aspirations de toutes celles et ceux qui s'agitent aujourd'hui dans le front de gauche après s'être affranchis du carcan du parti communiste, ou encore dans le PCF et qui rêvent de se séparer de quelques co-locataires pour ouvrir leur auberge espagnole.
Ce n'est pas de "Moins de parti" que le PCF à besoin aujourd'hui quand le peuple de France a besoin de "Plus de Parti Communiste" pour assurer la persistance d'une perspective politique à gauche, pour assurer le renouveau démocratique et un changement profond et durable.
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