vendredi 4 février 2011

Spéculations

Argent, or, billets ou billons(*) ?
Un article intéressant sur la spéculation monétaire au XIXème siècle en France...
La France du milieu du XIXème siècle est difficile à imaginer en rapport avec celle d'aujourd'hui, sauf peut-être à regarder plus largement l'image du continent européen. La France du milieu du XIXème siècle n'est qu'à deux générations de la Révolution Française, guère moins des aventures guerrières de Napoléon qui avaient mis l'Europe à feu et à sang. La restauration de la monarchie n'entravait que provisoirement la réinstallation de la République... Mais depuis 1793 l'accaparement bourgeois de la Révolution était consacré et le jeu du pouvoir s'établissait entre les restes nostalgiques de l'Ancien Régime et les titulaires prétentieux de la richesse. Encore balbutiant au milieu du siècle leur essor prodigieux va accompagner la Révolution Industrielle et en faire un formidable levier pour asseoir leur domination. 
De Gracchus Babeuf avant hier, Jaurès hier matin, Guy Mocquet et Maurice Audin hier soir, la litanie des victimes de la cause du peuple est trop longue. 
La justesse des analyses marxistes qui ne perdent rien de leur éclat sous plus d'un siècle d'histoire, les frémissements du monde aujourd'hui tout comme les combats titanesques de la Résistance ou de la décolonisation hier, tout nous invite à inscrire notre pensée et notre action dans l'histoire en visant loin devant. Le politique aujourd'hui a besoin, tellement le manque en est criant, d'une vue prophétique du monde d'après demain, pour dessiner plus justement celui de demain.



"Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde, ce qui importe c'est de le transformer", dans la 11ème thèse sur Feuerbach Marx mettait bien le doigt sur trois points fondamentaux :

  • la mise en perspective du changement
  • le caractère inopérant du seul discours sur le monde
  • la relation dialectique de l'objet à sa transformation
Pour ma part, je ne conçois pas la politique autrement que dans cette navette incessante entre le passé de l'histoire et le futur du projet; et ce dialogue du temps ne fait que nourrir la réflexion du présent.
Bien loin  d'emprisonner l'avenir dans les chaînes du passé cette posture est garante de la maîtrise du changement.

Les conservateurs n'éclairent le passé  qu'à la lumière de leur préservation particulière, personnelle ou communautaire..
Les progressistes l'interrogent constamment  pour y débusquer les obstacles à la construction du bien commun et les ressorts des ressources que le présent leur offre..

C'est dans cet esprit que je regarde la similitude des comportements spéculatifs à un siècle et demi d'écart.
L'histoire rapportée dans cet article de Guy Thuillier montre bien l'exigence paradoxale de l'unité territoriale et de sa diversité, l'exploitation de la seconde étant le levier de la prise de pouvoir sur la première.
Il suffit aujourd'hui de changer l'objet de la spéculation, de le porter sur les matières premières, plus particulièrement celles propres à l'alimentation humaine ou animale, et le mécanisme fonctionne à l'échelle de l'Europe et du monde comme il fonctionnait au milieu du XIXème siècle  d'une province à l'autre ou avec les colonies en devenir...
Mais on peut aussi conserver le regard sur les marchés monétaires et retrouver dans les relations du dollar et de l'euro ou du yuan, les jeux spéculatifs anciens de l'or et de l'argent... la monnaie de singe restant toujours l'apanage du service aux plus faibles.

Dans les programmes politique progressistes d'aujourd'hui, il serait utile de mettre en perspective le renversement des logiques spéculatives du capital, pas à la marge, pour les rendre moins douloureuses et dévastatrices, mais bien pour les éradiquer.

Il n'est pas possible de transiger avec l'économie de marché dans un système de "concurrence libre et non faussée".  C'est toujours la pierre d'achoppement dans une gauche partagée entre réformistes et révolutionnaires (confère les avatars des poussées de fièvres socialistes européennes, de Mansholt à Maastricht, de l'euro à Lisbonne...). Les concessions ne sont faites que d'abandons rendant à chaque fois plus difficile la reconquête du terrain perdu (voir toutes les expériences des trois dernières décennies).
En prendre acte, c'est déjà le premier pas vers la définition d'un projet qui ne soit pas auto mutilé pour satisfaire aux exigences du moins disant.
En parler, expliquer et convaincre, est bien sûr nécessaire, mais pas encore suffisant
Il reste à faire, à tisser les fils du changement en neutralisant bien les obstacles posant les fondations du nouvel édifice. Et c'est possible dès lors qu'on dispose d'une responsabilité publique, de l'action minimaliste d'une commune ou d'un service, plus encore dans de plus grandes structures; la mise en régie préférée à la délégation de service public, le refus de la privatisation, l'exercice de la coopération préféré à la mise en compétition des territoires, l'investissement public préféré au subventionnement de l'initiative privée... les occasions ne manquent pas de démarquer un engagement progressiste d'un accompagnement plaintif des desiderata de l'adversaire.

* : le billon était une monnaie d'alliage faite de cuivre et d'argent avec un peu de plomb. Avec 50% d'argent la pièce restait claire, mais quand le taux d'argent descendait à 25%, la pièce devenait sombre et de moindre valeur (billon noir). Cette monnaie servait aux transactions des plus pauvres.

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