La veille un vieux parent...
Et plus tard un ami...
Et sitôt lendemain un parent un ami !
Las, arrêter la vie, arrêter le temps, pour éviter la fin...
Non la vie lasse, passe, casse...
C'est à l'automne qu'ils s'en vont comme autant de feuilles qui tombent de mon arbre.
De vivre près d'un siècle à la moitié guère plus, toujours trop peu.
Nous avions toujours tant de choses à nous dire...
Et toujours tant à faire ensemble...
Aux vivants qui restent restent les souvenirs
Le Grand Livre à feuilleter page à page,
à l'arrêt sur image
Jusqu'au bout de son âge.
Au revoir.Participation à l'hommage rendu à Robert FALLUT le 18 octobre à Buxières les Mines au titre de l'ANACR et de la complicité d'une longue et riche amitié.
" Monique, et Michèle, aux enfants, et à toute votre famille je
présente, au nom de l’ANACR, nos plus sincères condoléances dans le deuil qui
vous frappe.
Votre peine, même partagée par tous ceux qui vous
accompagnent aujourd’hui n’en est pas amoindrie, mais je vous assure de tout
notre soutien dans ces moments difficiles.
A ma parole de vice-président du comité départemental de
l’ANACR je voudrais surtout ici ajouter le propos d’un ami et vous faire
partager quelques bribes de l’expérience d’une vie croisée par celle de Robert.
Certains d’entre vous l’ont connu plus longtemps que moi,
mais notre première rencontre remonte déjà loin au siècle dernier, à quarante
ans passés… Robert avait entrepris son œuvre de Grand Témoin et venait apporter
à mes élèves la dimension humaine de
l’histoire et initier à cette belle dialectique des hommes qui font l’histoire,
cette histoire qui fait les hommes…
C’était le début d’un chemin que depuis nous avons parcouru
ensemble, d’un long parcours d’apprentissage pour moi, d’échanges et de
partage.
« C’est mon ami et c’est mon maître… » dit la
chanson…
Cet ami, Robert l’a toujours été dans cette forme de franche
camaraderie qui peut s’affranchir des générations et qu’il avait heureusement expérimentée
dans les épreuves de sa jeunesse : avec lui savoir pouvoir compter sur
l’autre avait son importance. C’est un joli nom camarade, entre nous Robert le
portait haut.
Le maître qu’il a été n’était pas celui qui dit ou qui dicte,
mais celui qui ouvre le chemin de la connaissance avec vous. Ecoute attentive,
rigueur et exigence, confiance… en bon pédagogue, Robert savait mettre la juste
pression.
Robert ne parlait pas d’hier, il parlait d’aujourd’hui dans
le présent des autres avec cette constante exigence de nouer les fils du passé
aux ressorts du présent pour mieux projeter l’avenir.
Avec Robert la place était rare pour ceux qui prennent
quelque liberté avec l’histoire. La mémoire de quelques-uns doit toujours
trembler de ses justes emportements sur
des ré écritures approximatives ou mensongères de l’histoire… Tout comme il
raillait sans complaisance les prétentions de ceux qu’un autre ancien baptise
les « naphtalinards », résistants de la 25ème heure !
Avec Robert on ne s’endormait jamais sur Radio Nostalgie et
l’avis de tempête était assuré dès qu’un journal télévisé distillait son
chapelet de nouvelles propres à l’alimentation des révolutions de comptoir. Son
expérience, sa vie et la vivacité de son jugement en faisaient un commentateur
extraordinairement pertinent. C’est un plaisir que nous sommes quelques-uns à
avoir eu le privilège de partager sur tous les sujets possibles, de la
politique internationale à la vie locale, des problèmes économiques ou de tout
ce qui fait la vie sociale. De la pensée bien claire, de celle qui fait dans
l’incontournable et qui permet d’afficher modestement sa certitude.
Pas peu fier de ses gènes rebelles, Robert ne manquait pas de
rappeler la mémoire d’un de ses ancêtres déporté sous Napoléon III en Nouvelle
Calédonie…
Mais parfois sa confidence devenait douloureuse qui rouvrait
la cicatrice du retour de déportation, des wagons à bestiaux et de la paille
quand d’autres…
… du peu de cas des déportés revenus et qui pouvaient nourrir
le sentiment d’être honteux d’être encore vivants quand tant d’autres…
C’était une douleur difficile à partager. C’est certainement
aussi ce qui l’a rendu si ardent à chercher à savoir et à faire connaître ce
que fut la résistance pendant son absence.
L’agrément dans l’amitié de Robert tenait aussi à
l’éclectisme de ses préoccupations, de ses goûts et de ses talents.
Il ne s’éparpillait pas pour autant, car toujours la
perspective des « jours heureux » -comme titrait si bien le programme
du CNR- l’animait et guidait son action.
« C’est pour laisser des traces d’hier aux lecteurs
d’aujourd’hui que j’ai écrit ce livre ; pour que chacun puisse mettre en
résonnance les évènements, actions des hommes d’avant-hier avec ceux
d’aujourd’hui. C’est une bien modeste contribution à l’obligation pédagogique
des générations qui se doivent d’élever et d’instruire les plus jeunes à la
lumière de leur expérience, non pas dans la logique du modèle, mais bien dans
l’exercice du libre arbitre qui se nourrit de la connaissance. », disait-il en
parlant de « Hoche »…
Robert aimait la vie, une vie qui ne l’a pas ménagé, une vie
d’épreuves, de souffrances, mais il avait la vie tellement chevillée au corps
qu’elle a longtemps effrayé la mort, dans une jeunesse de Résistance et de
déportation dont il revient meurtri, dans l’épreuve des séquelles si longtemps
douloureuses, avec la perte de ses yeux… Et jusqu’à ses derniers jours où la
fatigue l’emporta.
A l’inverse de la rage qui faisait pester son esprit rebelle
contre toutes les injustices, les misères faites au monde, contre toutes les
fausses-routes des politiques ruinant les espoirs nés d’une victoire bientôt vieille
de 70 ans, Robert était aussi le jardinier amoureux des plantes et l’ami des
abeilles.
Matin et soir, avec un soin méticuleux et bien à sa façon,
avec une connaissance sans égal, Robert cultivait son jardin comme sa vie, non
sans une certaine fierté du travail bien fait, toujours heureux de faire
partager sa cueillette précoce.
L’épreuve de la perte de la vue avait été terrible pour
Robert ; mais il avait tenté de la surmonter en usant de beaucoup de
stratagèmes pour continuer son jardin sous les serres, pour lire et écrire
autrement. Terrible punition et formidable espoir quand je le revois
m’annonçant qu’il avait dit oui à l’ophtalmo qui lui proposait de l’opérer pour
lui redonner un peu de sa vision perdue.
Si ces derniers mois ses visites au jardin n’étaient plus que
visites de courtoisie, son œil et son sourire disait encore sa satisfaction de
voir ses serres réparées après les coups de vent, les copains s’en souviennent.
Robert aimait la vie, même si la sienne n’a pas toujours été
belle ; il aimait partager son meilleur vin ou son excellent whisky pour
accompagner nos longues discussions, mettre les petits plats dans les grands à
« la cantine » des Tilleuls pour des retrouvailles chaleureuses en
famille et entre amis.
Robert aimait travailler, et il ne se passait pas de jour
avec lui qui ne voit germer une idée nouvelle ; il y a tant de choses à
faire qu’il me semblait toujours dire « prenons le temps de nous
dépêcher », un peu comme si nous devions nous assurer toujours de ne pas
rater la correspondance…
Il m’en reste la trace indélébile d’une grande confiance et
d’une complicité qui nous épargnait parfois l’usage des mots, la main ou le
sourire disait le reste.
Robert nous quitte, et les souvenirs se bousculent déjà à la
porte de la mémoire :
·
Notre
belle rencontre du printemps dernier avec les collégiens de St-Pourçain avec
Roger, Lucien et Janine…
·
La
dénomination du collège de Tronget au nom de Charlotte DELBO il y a quelques
années quand Simone Sampaix était encore là…
·
La
réalisation de son dernier livre sur l’histoire un peu trop oubliée de la
Résistance précoce de Montluçon à Meillard…
·
Les
visites pour porter le témoignage de sa vie aux collégiennes d’Aigueperse ou
d’ailleurs…
·
Les
formidables rencontres avec ses amis, Genia, Robert ou Walter, et les autres…
·
Le
souvenir du couple qu’il formait avec Suzanne, du bonheur des petits enfants et
de la joie partagée des dernières naissances, autant de pépites à conserver
précieusement.
Robert a tant vécu, qu’il en faudrait du temps pour que nous
en partagions l’ampleur dans toutes ses
dimensions.
Toute une vie debout sur la route de l’engagement Robert
Fallut avait choisi le parti pris de la vie,
… le parti pris de la liberté
… le parti pris des valeurs humanistes et républicaines.
Toutes celles et ceux qui ont partagé son amitié, ses combats
et ses convictions lui doivent leur plus juste reconnaissance.
Pour conclure, je vous inviterai à solliciter le souvenir de
Robert quand votre chemin se fera plus rude, je suis sûr qu’il vous aidera.
Nous avions célébré ici la mémoire de Pierre Villon il y a
quelques temps, et celle de Georges Gavelle à Tronget. Comme nous avons tous
notre petit Panthéon intérieur, je vous invite à y accueillir Robert parmi nos
grandes figures de la Résistance et de la déportation.
Nous ne l’oublierons Jamais."
Daniel
LEVIEUX - le 18 octobre 2013
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