Qui ose dire qu'il peut m'apprendre les sentiments
Ou me montrer ce qu'il faut faire pour être grand
Qui peut changer ce que je porte dans mon sang
Qui a le droit de m'interdire d'être vivant
De quel côté se trouvent les bons ou les méchants
Leurs évangiles ont fait de moi un non croyant
La vie ne m'apprend rien
Je voulais juste un peu parler, choisir un train
La vie ne m'apprend rien
J'aimerais tellement m'accrocher, prendre un chemin
Prendre un chemin
Mais je n'peux pas, je n'sais pas
Et je reste planté là
Les lois ne font plus les hommes
Mais quelques hommes font la loi
Et je n'peux pas, je n'sais pas
Et je reste planté là
A ceux qui croient que mon argent endort ma tête
Je dis qu'il ne suffit pas d'être pauvre pour être honnête
Ils croient peut-être que la liberté s'achète
Que reste-t-il des idéaux sous la mitraille
Quand les prêcheurs sont à l'abri de la bataille
La vie des morts n'est plus sauvée par des médailles
La vie ne m'apprend rien
Je voulais juste un peu parler, choisir un train
La vie ne m'apprend rien
J'aimerais tellement m'accrocher, prendre un chemin
Prendre un chemin
Mais je n'peux pas, je n'sais pas
Et je reste planté là
Les lois ne font plus les hommes
Mais quelques hommes font la loi
Et je n'peux pas, je n'sais pas
Et je reste planté là
Je n'peux pas, je n'sais pas
Et je reste planté là
Les lois ne font plus les hommes
Mais quelques hommes font la loi
Et je n'peux pas, je n'sais pas
Et je reste planté là
La vie ne m'apprend rien
Daniel Balavoine chantait bien.
Tout comme l’invention de l’écriture avait façonné les
nouveaux modèles de société pour quelques millénaires, l’invention de l’imprimerie
les avaient réformés pour quelques siècles. Avec les séismes guerriers qui
accompagnèrent la domination des machines sur la matière au XXème siècle les
hommes ont voulu s’improviser maître du monde, de sa nature entière, de ses
entrailles jusqu’aux confins d’un univers que seuls quelques intelligences
savent bien infini… L’instrumentalisation du vivant a même trouvé son domaine d’excellence
avec la notion de « ressources humaines » dont l’usage aujourd’hui n’est
plus guère différent de celui du minerai quelconque. On abandonne à leur sort
sur le bord de la vie des jeunes et des vieux chômeurs dans leurs quartiers de
non-droit comme on noyait il y a peu les galeries des mines abandonnées. Les « chasseurs
de têtes » vont de la même façon tenter de discerner l’individu aussi
prometteur qu’un gisement de terres rares indispensable à l’industrie de pointe…
La vie des morts n'est plus sauvée par des médailles
La vie ne m'apprend rien
Je voulais juste un peu parler, choisir un train
La vie ne m'apprend rien
J'aimerais tellement m'accrocher, prendre un chemin
Prendre un chemin
Mais je n'peux pas, je n'sais pas
Et je reste planté là
Les lois ne font plus les hommes
Mais quelques hommes font la loi
Et je n'peux pas, je n'sais pas
Et je reste planté là
Je n'peux pas, je n'sais pas
Et je reste planté là
Les lois ne font plus les hommes
Mais quelques hommes font la loi
Et je n'peux pas, je n'sais pas
Et je reste planté là
La vie ne m'apprend rien
Daniel Balavoine chantait bien.
Ce bien beau texte écrit à l’encre de ses blessures dit
pourtant tout de la vie dans la lumière du choix contre l’aveuglement de la
croyance… de l’idéal vacillant sous la violence, de la mort, des lois, des
hommes…
Cette souffrance de l’artiste contemplant le triste
spectacle d’une société qui le condamne à l’impuissance se manifeste dans un
temps où le monde bascule à corps perdu dans la griserie matérialiste du tout marché,
marchandisant jusqu’à la vie des hommes, leurs sentiments, leur santé ou leur
éducation…
C’est dans ce dernier quart du XXème siècle que les
observateurs des prochains siècles discerneront peut-être la charnière des
civilisations qui s’articule autour du « numérique » accouchant des ordinateurs domestiques dans les années 80.
Que reste-t-il des belles idées de la philosophie des
lumières qui avaient nourri l’esprit de la Révolution et de tous ses ricochets
réjouissants jusqu’au milieu du XXème siècle ?
Le monde a bien changé, mais il a toujours changé, et c’est
heureux, sous les coups redoublés d’une intelligence humaine qui fut parfois
lente à comprendre les effets de ses propres actions.
Le progrès est une notion que les hommes ont inventée
pour identifier le nécessaire bienfait des évolutions qu’ils génèrent, et un
progrès en chasse toujours un autre. L’invention de la roue a provoqué un
véritable feu d’artifice d’inventions et de progrès connexes tout au long des six
mille ans qui nous en séparent. On peut évoquer de la même façon la maîtrise
des énergies transformées dans les moteurs…
De la machine à vapeur du fardier de Cugnot à la pile à
combustible…
Toutes ces activités transformatrices se sont toujours
accompagnées d’un vaste espace de réflexion générateur de connaissances. Diffuses,
indistinctes et fragiles jadis au temps de la tradition orale, la conservation
en devient plus facile avec la trace écrite ; les encyclopédistes en
saisiront tout le potentiel…
Tout au fil du temps la maîtrise de la connaissance et l’apprentissage
ont été des enjeux structurant des sociétés associant pouvoir et savoir. A
chaque organisation sociale correspond son système éducatif ; et l’évolution
du nôtre a toujours suivi les transformations de notre société et les choix de
son encadrement politique.
La mondialisation ne risquait pas de bousculer la vie de
François 1er qui rapportait la Renaissance d’Italie comme aujourd’hui
la trouvaille d’une neuvième planète peut autoriser les maîtres du monde à
envisager l’universalisation de leur dictature.
L’intrusion du « numérique » à la fin du siècle
dernier n’est pas qu’un avatar technologique supplémentaire à l’horizon des
sociétés modernes.
Après s’être outillés en prolongeant leurs mains, les
hommes d’aujourd’hui outillent l’environnement de leur pensée. Et comme l’imprimerie
avait démultiplié l’accès à la connaissance des uns par les autres en démultipliant
les traces conservées de leur pensée, la révolution numérique fait exploser les
limites de l’espace et du temps au risque de leur confusion.
Chacun voudrait que le fait d’apprendre soit le plus
facilement partagé dans l’humanité d’aujourd’hui. Pour le plaisir aussi bien
que par nécessité vitale l’apprentissage est devenu tellement commun qu’il est à
la société aussi indissociable que l’œuf et la poule. Il ne suffit pas de
vivre, il faut aussi apprendre à vivre !
Fracture numérique et fracture sociale, fracture scolaire,
fracture politique ou syndicale… L’observation de notre petit monde regorge autant
de signes de divisions que de slogans prônant le rassemblement, l’union, le « vivre
ensemble » ; et c’est dans ce paysage chaotique que nous allons
devoir prendre conscience d’une véritable révolution dans le monde de l’éducation.
Les grands débats d’un demi-siècle en arrière
interrogeaient sur l’intrusion de la télévision concurrençant l’école dans le quotidien
enfantin…
A la charnière des deux siècles, c’est de l’Internet et
de l’infinité de son potentiel qu’il était question alors que l’école venait à
peine d’intégrer des apports des médias analogiques de l’image et du son.
Par laquelle de ses innombrables tentacules fallait-il
prendre l’hydre numérique par la main pour l’amener à l’école ? Le tableau
noir avait à peine pris la couleur de ses craies qu’il le fallait numérique…
Des salles informatiques, sanctuaires de la modernité, on était arrivé à sortir
quelques ordinateurs par-ci par-là, et parfois une tribu de portables qui ne savaient
pas rester longtemps éloignés de leur port d’attache… Certains ministres osent proposer
d’enseigner aujourd’hui la programmation comme on l’avait expérimenté avec
bonheur trente ans auparavant avec le langage Logo pour piloter la tortue…
Nous ne sommes pas venus à bout de l’intégration du
numérique dans un usage pédagogique global et c’est dans une certaine confusion
que les outils informatiques imposent leur présence et leurs caprices à un
monde scolaire encore calé sur ses pupitres à encriers.
L’e-éducation est encore à penser pour intégrer des
pratiques exigeantes en matière de formation au-delà de la connaissance
clavier-souris-bureautique dont les adultes étaient encore il y a peu maîtres avant
leurs rejetons.
Or une nouvelle étape démarre sans que l’école tout comme
la société qui l’entoure n’y soient du tout préparées : c’est le « mobile-apprentissage ». Nous
passons du E-learning que nous explorions il y a vingt ans au M-learning dans
un présent peuplé d’objets connectés, smartphones, tablettes numériques… Et le
passage entre ces deux modèles n’a rien d’anodin quand on observe l’évolution
du tableau numérique interactif à l’ardoise numérique.
La connaissance et les réflexions associées portée par la
chose migrent hors de l’école pour se loger dans un grand n’importe où…
Le savoir est dans la poche ! Pas nouveau, me
direz-vous, quand certains se souviennent du partage de la connaissance avec le
grand-père adossé à l’écorce grise d’un vieux chêne pour casser la croûte au
champ à quatre heures… Mais si, dans un monde aujourd’hui sans grand-mère, c’est
de solitude qu’est faite la rencontre avec le savoir comme c’est de solitude qu’est
faite la rencontre avec les autres par écran tactile et poucette interposés.
Le nouveau siècle se masque du collectif qu’il vomit sur
l’autel de l’individualisme, valorisant l’ego et réduisant la conjugaison du
verbe être – et encore plus celle du verbe avoir- à la première personne du
singulier, en bricolant des réseaux dits « sociaux » qui sont les
premiers fossoyeurs du véritable lien social, celui qui fait des autres le
meilleur de soi.
C’est là que l’Ecole est en grand danger du côté de ses
élèves comme du côté de ses maîtres… Le savoir se construit bien plus qu’il ne
se partage, mais il ne se construit guère sans partage. Et comme je penche un
peu pour Aristote, il me semble que le petit d’homme a besoin d’être un « animal
social », même et même surtout en apprentissage pour qu’il devienne « animal
politique » pour faire société dans la cité ; tout sauf la solitude
et l’optimisme raisonné fera mentir Rousseau qui voyait trop la société
corrompre et pervertir les siens.
Où et quand, comment accéder à la connaissance ?
Dans quel collectif d’apprentissage ? … et sur quelle ligne méthodologique ?
De la co-construction des savoirs, du tutorat, de l’expérimentation,
de l’immersion, du durable ou de l’éphémère… que reste-t-il de la cathédrale
des programmes et des instructions officielles quand les élèves ont accès aux
pages des missels, des bibles et des corans dans le plus grand désordre sans
passer par l’habillage des enfants de chœur en sacristie ?
Dans le monde d’aujourd’hui, tous les livres deviennent
sacrés… sacrément muséifiés quand les nouvelles tendances visent à « gamifier »
(barbarisme de la copie du modèle du jeu vidéo, le video-game), à « ludifier »
les apprentissages en divertissant les apprenants…
On va où dans tout ça ? il faut être ministre ou
député pour croire qu’il suffit d’apprendre à lire, écrire et compter !
A quelle échelle on pense l’école de la micro communauté
locale à l’entité nationale ?
Quel sens revêt le triptyque Laïque, Gratuite et
Obligatoire ?
Les manuels devenus numériques ne sont-ils que des livres
numérisés ?
Ne faut-il pas, sans l’abandonner, dépasser le stade macro-encyclopédique
universel de l’Internet pour replonger dans un monde de microparticules
élémentaires avec des applications mobiles, objets ne valant plus que par l’accès
qu’ils procurent provisoirement à un contenant ou à un contenu spécifique à destination
d’un usager aussi inconnu qu’hypothétique ?
Qu’est-ce que j’apprends à dire, à lire et à écrire ?
C’est désormais le sens qui est en danger dans un corpus
d’objets disparates interconnectés et dont personne ne serait en capacité de
dérouler l’écheveau des liens.
Aujourd’hui Rémi a payé le caramel qu’il a offert à
Colette en approchant son smartphone du monnayeur du distributeur automatique…
C’est quoi la monnaie dans l’échange ? Cette dématérialisation des choses
institue une nouvelle « boîte noire » qui peut être fatale dans un
processus d’apprentissage en faisant obstacle à la construction de la
connaissance qui est toujours affaire de liens entre objets identifiés. N’assiste-t-on
pas déjà à un grand décrochage d’une masse s’échinant jusqu’au renoncement face
à des obstacles inexistants pour l’élite ? Il y a une certaine urgence à
répondre avant que le numérique qui s’invite à tout moment de notre vie ne s’insinue
dans notre corps en co-pilote au prétexte d’en démultiplier le potentiel…
C’est donc bien une nouvelle ère de la lecture et de l’écriture
dont il va falloir dessiner les contours et les contenus pour que l’éducation sous
toutes ses formes et tous ses acteurs en toutes circonstances, familles,
institutions publiques, et apprentis de tous âges puissent architecturer leur
société du prochain siècle rassasiée de liberté, de justice, de partage et de
paix. Un monde dans lequel ils pourront parodier la chanson de Daniel Balavoine :
La vie m’a tout appris…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire