vendredi 27 novembre 2015

Roger a tourné la page

Une semaine est passée... Le sourire malicieux de Roger s'est éteint, l'accent chaleureux de sa voix nous revient en écho. Il faut bien s'en convaincre, Roger nous a quittés, 
Roger est entré au petit Panthéon de nos grands souvenirs.
Les hommages n'ont pas manqué, mais en les repassant en boucle il en est qui rappelle la cruauté du monde : Roger était tellement pétri des valeurs républicaines, si juste, courageux, engagé au service des autres... Mais jamais mis en avant, tout comme en son temps Robert Fallut, un peu comme si ceux-là n'avaient de place qu'en coulisse ou en fond de salle pour faire la claque, loin de l'éclat des projecteurs. Avec l'ANACR Roger aura vu la juste reconnaissance de son travail dans les responsabilités qui lui furent confiées.
Roger était cité ici il y a cinq ans à propos d'un de ses passages au collège de Cérilly.
Son parcours dans la Résistance fait l'objet d'un article sur le site Internet de l'ANACR.
Et celles et ceux qui n'ont pas pu être présent à l'hommage qui lui fut rendu à la salle Jacques Gaulme de Hérisson mercredi soir peuvent lire ci-dessous le texte de l'intervention dont j'avais le devoir selon sa volonté, après celle de sa fille Jacqueline et de Daniel Roussat, ancien maire de Cosne d'Allier et Conseiller Général du canton de Hérisson pour le PCF.

Hérisson, le mercredi 25 novembre 2015

La disparition de Roger nous a tous plongés dans le plus grand désarroi tant il faisait partie de notre vie.
Jacqueline, Michel et Sébastien, vous tous de la famille et vous aussi nombreux qui avez croisé le chemin de Roger, vous savez tous que la peine, quand bien même partagée, reste entière.
Au moment où le manque cruel nous tenaille, où les images et les mots se bousculent pour faire oublier que tout change quand la page se tourne, je voudrais évoquer devant vous quelques-unes des pages glanées dans la vie de Roger. Vous en aurez d’autres en mémoire, et chacun gardant son souvenir précieux nous écrirons ensemble sa petite éternité…
Celle d’un Roger « Bon Vivant », un gaillard d’envergure, ouvert et attentif, aussi féroce au mal qu’il pouvait être bienveillant dès lors qu’il sentait chez quelqu’un la possibilité du bien.
Je vous propose de parcourir sa vie avec vous tout au long d’une douzaine de grandes étapes au fil desquelles chacune et chacun pourra accrocher quelques souvenirs partagés.
1. L’homme qui déménage...
Roger a appris à faire la Saint-Martin très jeune. A peine né le 24 septembre 1921 aux « Blains » sur la commune de Louroux Bourbonnais qu’il connait son premier déménagement deux Saint Martin plus loin pour habiter à « La Longe » sur la même commune.
En septembre 1926 Roger rejoint Hérisson avec ses parents dans la maison Bonhomme sur la route de Cosne. Deux ans plus tard c’est la maison Durin, première à gauche rue des Chaves, qui les accueille le 11 novembre 1928. En 1939 la famille rejoint la cour du château à « Favrotière ».
1941, Roger a 20 ans quand sa mère décède. Son père rejoint son frère à Cosne et Roger est accueilli chez son oncle Autissier aux « Périchons », puis à « La Bergère ».


2. Le bon écolier
Roger a fait sa première rentrée à l’école publique d’Hérisson le 1er octobre 1926 sous la férule de Mademoiselle Laplanche. Elève appliqué, il obtiendra son certificat d’études avec mention bien en 1933 l’année de ses 12 ans. Après une année dans le Cours Supérieur de Madame Nigond Roger achève son cursus scolaire le 31 juillet 1934.


3. Le travailleur
21 Août 1934, à 23 ans Roger décroche son premier emploi à la perception d’Hérisson.
En janvier 1937 Roger quitte la perception d’Hérisson pour rejoindre celle de Courçais ; 27 kilomètres en vélo, ça forge le tempérament !
En novembre 1937 il gagne la perception de Sancergues dans le Cher. Pour aller travailler à 100 kilomètres de la maison Roger avait acheté sa première moto. Les nombreux copains et copines retrouvés là-bas faisaient que Roger ne rentrait pas tous les dimanches à Hérisson… En juillet 1938 il quitte la campagne pour rejoindre sa marraine à Paris.

4. Le parisien d’occasion
Son oncle travaille à la direction de la SACEM. Dans la journée sa tante et marraine à la fois travaillait à la répartition des droits d’auteurs entre les compositeurs. Tout cela se faisait à la main sur de grandes feuilles de papier. Roger l’aidait à cette tâche et le soir ils allaient au cinéma ou au théâtre bénéficiant ainsi de la gratuité des billets pour Tonton. Ce dernier aurait bien aimé voir Roger entrer à la SACEM ; mais la vie parisienne ne convenait guère à Roger qui va rentrer à Hérisson fin août.

Après deux mois d’escapade parisienne, Roger est réembauché à la perception d’Huriel le 1er septembre 1938. Il y restera jusqu’à fin mars 1941. Le goût pour le travail de perception n’était toujours pas là,

Avec Roger c’était un peu comme avec un autre vieux complice disparu il y a deux ans : Robert FALLUT. Ils étaient nés tous les deux dans la terre d’Emile Guillaumin, celle de la paysannerie meurtrie par la guerre que certains prétendent « Grande ». Et l’un comme l’autre verront leur jeunesse engloutie dans la guerre d’après avant que chacun ne choisisse la Suzanne qui allait partager leur vie libre d’après.

Comme Robert avait appris à piloter, Roger voulait aussi prendre les airs... 

5. C’est l’envol raté du bourbonnais
Roger est admis à l’Ecole de l’Air de Rochefort comme pilote ou mécanicien navigant... Convoqué pour une visite à Aulnat début avril Roger se voit refusé pour inaptitude aux fonctions de personnel naviguant à cause de palpitations cardiaques… Rester avec les rampants n’intéressait pas Roger, et c’est dans l’artillerie qu’il arrive au 4ème régiment à Clermont.
C’était raté pour s’envoler !

6. Le retour au bercail
Pas plus que le bureau de la perception l’armée n’inspirait pas Roger et c’est au décès de sa mère courant avril qu’il décide de tout résilier. Roger fait son retour le 1er mai 1941. Monsieur Collin, alors maire de Hérisson, l’embaucha à la mairie. Employé à mi-temps dans un premier temps Roger allait aussi aider le percepteur, ce brave Monsieur Jarreau ainsi que son oncle aux Périchons.

7. Des chantiers de jeunesse écourtés
Le 4 novembre 1941 Roger est convoqué aux Chantiers de Jeunesse à Messeix dans le Puy de Dôme et affecté au groupe disciplinaire n°10 à Chamaudoux. Avec ses camarades il est occupé à faire du bois dans les Côtes de la Dordogne. Roger y restera jusqu’en février 1942 avant de revenir comme soutien de famille aux Pics à Urçay. Jusqu’au 30 juin 1942.
De juillet 42 à mars 43 Roger re travaille à la mairie de Hérisson.

8. Le réfractaire clandestin
Le 4 mars 1943 il passe en visite à Montluçon pour le STO… et cette fois la visite est bonne !
Roger prend alors le parti de la clandestinité et s’installe aux Brays à Cérilly. En novembre, le propriétaire des lieux s’intéressant un peu trop à lui Roger part vers Mazières chez son cousin Jean Vilpreux.
A Cosne, sa tante Dufloux connaissait le patron d’une mine de Buxières et lui a demandé d’embaucher Roger. C’est ainsi qu’en rentrant à la mine de Ditières comme mineur de fonds le 7 janvier 1944, Roger retrouve une situation régulière avec carte de travail, carte d’alimentation et carte d’identité.
La situation ne dure guère. A peine deux mois plus tard on commence à prendre des mineurs pour les envoyer en Allemagne. Roger démissionne à nouveau et retourne chez son oncle à La Bergère.

9. Du clandestin au Résistant
Chevrier, qui s’occupait du Comité Local de Libération demande alors à Roger de s’occuper de son secrétariat. C’est ainsi qu’il se retrouve chaque dimanche matin en réunion à la ferme de Bel Air chez Eugène Vincent.
Chevrier demande à Roger de former un groupe de Résistants sédentaires armé. Le groupe d’une dizaine qu’il rassemble au départ comptera bientôt une vingtaine de combattants.
Avec un autre groupe de Cérilly ils se chargeaient de la réception des parachutages à Venas (Rioutère) et Maillet (Les Boutons). Les armes récupérées étaient cachées le long du ruisseau aux Cassons et dans une cabane de la côte de Gateuil.
L’apprentissage au maniement des armes s’effectue dans le pré derrière la grange des Cassons.

10. La libération
Ensuite le groupe fut chargé de la garde de l’Etat-Major départemental à Chateloy. Avec cinq ou six de ses camarades Roger montait la garde la nuit.
Dans la nuit du 19 au 20 août 1944 le groupe est parti participer à la libération de Montluçon. Ils étaient cinq ou six avec Chevrier dans la traction de Monsieur Collin qu’ils avaient réquisitionnée. D’autres sont partis en vélo pour rejoindre Saint-Victor où ils se retrouvèrent à mille sur la place.
Les rôles étaient fixés et les uns partirent pour Dunlop, d’autres à la SAGEM.
Avec Chevrier et quelques autres Roger devait rester à Saint-Victor pour garder les collaborateurs qui avaient été ramassés dans la nuit.
Dimanche soir un groupe monte jusqu’à Chatelard attendre les boches qui venaient de Saint-Pourçain. Après avoir lancé quelques grenades le groupe rejoint Saint-Victor.
Le lundi matin une colonne de boches est annoncée arrivant par le pont du Cher. Le groupe de Chevrier part alors prendre position dans les côtes de Tizon. L’attente dure toute la journée sans manger. L’après-midi, vers 4 heures, le groupe redescend vers Tizon et s’arrête chez René Auroyer qui leur offre un coup à boire avec un bout de pain et de fromage.
Le mardi soir Roger revient avec Chevrier pour visiter les Comités de Libération le lendemain.
Dès le jeudi Chevrier s’installait à la mairie de Hérisson.
Roger revient travailler à la mairie jusqu’au 6 septembre 1945.
Le 7 il sera rappelé et partira rejoindre de 13ème régiment du Train à Clermont. Avant d’être démobilisé en novembre Roger servira comme chauffeur au Puy.

11. Enfin libre…
… de travailler d’abord !
Roger est nommé secrétaire de Mairie à Hérisson le 1er décembre 1945. Il y restera, fidèle au poste, jusqu’à l’heure de sa retraite, le 30 septembre 1981. 
Et la vie retrouve son cours normal, c’est le temps de la famille, des amis et du travail…
1946, Roger se marie le 3 août et vient habiter au premier étage de la mairie de Hérisson dès le 1er janvier 1947.
Dernier déménagement en date le 1er octobre 1968, Roger installe sa petite famille rue Tardy. Roger y restera jusqu’à ces derniers jours grâce au soutien permanent de Jacqueline et Michel ainsi qu’aux soins diligents de ses aides à domicile !
De son travail au secrétariat de mairie, je ne dirai rien, sinon qu’il fut exemplaire auprès de Hérissonnais si inconstants dans leurs choix qu’il dut accompagner le passage d’une huitaine de maires durant sa carrière… 

12. Une retraite très active !
De 1981 à 1991, Roger contribuera très efficacement à l’accompagnement des voyages de « Tourisme et Travail » et fera découvrir de nombreux coins de France et d’Europe à ses compagnons de voyage.
C’est aussi le moment qu’il choisit pour se consacrer au service de la mémoire de la Résistance. Co président du Comité départemental il a aussi été élu au Comité National en 1998. Roger a travaillé au Comité Nord-Allier avec son camarade René Masseret. Il a visité nombre de classes dans tout le département pour étayer auprès des jeunes générations la connaissance de ce moment de notre histoire dont le souvenir s’estompe avec le temps et que certains verseraient volontiers aux oubliettes.
Des collégiens de Lapalisse, du Mayet de Montagne, de Gannat, de Cosne ou de Cérilly s’en souviennent.
Il était encore avec Lucien Depresle auprès des collégiens de Cosne il y a quelques semaines à peine… dévoilant aux jeunes quelques secrets qu’il nous cachait encore, comme par exemple ses leçons de natation offertes dans l’Aumance à Henriette Hillenmayer, l’infirmière du maquis… Je vous laisse imaginer son regard malicieux à cette évocation qui remettait de l’humanité dans le récit de la guerre et de ses violences !
Pendant plus de 10 ans Roger va aussi seconder Suzanne son épouse à la tête de la section de Hérisson de l’UNRPA. Membre du bureau, Roger se plait toujours à la préparation des voyages. Le dernier qu’il a fait en 2009 avait conduit la compagnie en Italie jusqu’à Venise et Vérone…
Et c’est de ce voyage que j’ai retenue l’image de Roger qui nous accompagne aujourd’hui.
Ce ne sont là que quelques jalons sur la route de Roger avec ses distinctions, Chevalier dans l’Ordre National du Mérite Il est aussi titulaire de la médaille des Combattants Volontaires de la Résistance.
Aussi actif au club de foot que chez les DDEN ou à l’Amicale des Donneurs de Sang, et même comédien à l’occasion Roger était là pour être utile, pas pour se faire voir…

Vous tous qui le connaissiez bien et qui avez eu le privilège de goûter sa compagnie, vous savez maintenant comment d’une prime jeunesse indécise sur sa voie professionnelle, Roger a su faire une vie d’engagement, une belle ligne droite, une vie simplement consacrée aux autres, exigeant et tranquille dans ses convictions, loin des calculs et des ambitions ou de l’illusion d’un pouvoir quelconque. 

Roger nous avait réunis ici même pour passer le cap de ses 90 ans…
Aujourd’hui, la croisière de Roger a pris fin sur les rives de l’Aumance !
A tous ceux qui, matelot d’un jour ou de toujours ont été de son équipage, restera le souvenir d’un bon capitaine de route, solide au poste par tous les temps.

Généreux, plein d’esprit, l’œil canaille et le verbe acéré, Roger savait déjouer l’imposture ou la manigance, toujours confiant A priori au risque de la déception, rien ne le fit jamais dévier de la droite ligne des convictions qu’il mettait toujours à l’épreuve de la discussion.
Roger était aussi un homme de culture qui savait apprécier tous les arts et se délectait de lecture.

Roger cultivait cet engagement communiste authentique qui a posé les fondations solides de tous les grands moments de sa vie. Roger l’a toujours été, encarté ou pas, dans cette forme de franche camaraderie qui peut s’affranchir des générations et qu’il avait heureusement expérimentée dans les épreuves de sa jeunesse : avec lui, savoir pouvoir compter sur l’autre avait son importance. C’est un joli nom camarade, et entre nous Roger le portait bien.
Politiquement, socialement, professionnellement, dans la vie tout simplement, Roger se voulait être un homme extraordinairement ordinaire, d’une modestie qui n’était pas feinte, et c’est là qu’il est devenu un mari, un papa, un parent, un ami, un camarade extraordinaire.

Dans chacun de nos petits Panthéon particuliers, Roger aura sa place d’homme juste.

Au bout du fil ou autour d’un verre : « Dis-moi Daniel, t’as vu ? qu’est-ce que t’en penses ?... » Et ça suffisait pour démarrer une bonne séance d’affutage d’arguments… les idées s’enrichissaient d’un brin de son expérience et en interrogeant le présent nous finissions toujours par évoquer l’utopie à venir… des lendemains qui auraient dû chanter dès aujourd’hui !

L’avenir, Roger l’avait toujours en ligne de mire ; comme il aimerait que nous lui soyons fidèles en le construisant meilleur pour les prochaines générations !

C’est à cette tâche que je vous invite pour le respect de sa mémoire.

Merci Roger.

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