La mémoire n'est pas le moindre des instruments de l'intelligence humaine. Au fil de l'évolution les hommes n'ont eu de cesse d'en perfectionner l'instrumentation pour accroître leur capacité d'action et développer la dimension sociale de leur condition. Les langages outillent la mémoire. La parole et l'écrit, le son et l'image, le geste tout autant que les perception des cinq sens y contribuent. Plus difficile à cerner, l'expérience de la vie dans ce qu'elle procure d'émotions au fil des actions est un puissant moteur de la mémoire, pour préserver ou magnifier quelques événements comme pour les occulter.
Nombreux sont ceux qui se sont étonnés, du silence de victimes survivantes de la barbarie nazie dès le retour de leur calvaire. Longtemps après pour en avoir discuté avec elles, on retombe sur la même évidence : le souvenir , pour être partagé, doit être accessible à l'intelligence de l'autre; or, pour ce qui est des déportés par exemple, la terrible expérience de leur souffrance était tellement éloignée de ce qu'avaient pu supporter les autres qu'elle leur était inaccessible à leur compassion comme à leur compréhension.
La mémoire est très directement utile au partage et à la communication sociale.
Depuis quelques temps déjà le concept de "devoir de mémoire" est apparu, justement lié aux célébrations des faits d'histoire de la seconde guerre mondiale et des conflits coloniaux qui l'ont suivie. Je sens dans cette invention une forme d'instrumentalisation de la mémoire et de l'histoire. Il serait bon de poser la question à qui invoque le devoir de mémoire de ce qu'il fait dans et de sa vie pour être en phase avec la vision de l'histoire qu'il évoque.
Pour prendre un exemple tristement caricatural on peut évoquer le pélerinage d'un candidat président sur le plateau des Glières, des moulinets d'épaules pour imposer la lecture de la dernière lettre de Guy Mocquet (comme si les enseignants d'histoire attendaient qu'on leur dise pour faire bien leur métier !)... les exemples ne manquent pas !
Dans un temps où seul le présent a sa place et où chaque fait divers, fut-il abominablement inhumain, devient générateur d'opinion sous la pression des médias et des politiques qui les exploitent, la construction intelligente de la représentation du temps dans le tricot ou la dentelle de la mémoire de chacun est bien mise à mal.
Quand Daniel Cohn Bendit fait la une d'un hebdomadaire sous le titre aguicheur "Nicolas Sarkozy prend les français pour des cons", il se trompe. Le président dangereusement démagogue a pris les français comme ils sont; plus exactement ce sont les français qui l'ont pris. On peut ensuite discuter des moyens mis en oeuvre pour l'accession au pouvoir de l'homme en question, des moyens financiers comme des autres instruments de manipulation d'opinion d'ailleurs. Mais quoi qu'il en soit, qui se plaint aujourd'hui du sort misérable qui lui est fait par le pouvoir devrait d'abord s'interroger sur ce qu'il a fait de sa mémoire dans la détermination de son choix politique (ou de son abstention d'ailleurs).
La mise en danger de l'école, l'insupportable mise à l'index de la jeunesse, la criminalisation et la judiciarisation de tous les accrocs de la vie sont quelques aspects de la régression démocratique qui devrait activer notre mémoire pour y croiser les intentions des nostalgiques du pétainisme et de ses valets inspirateurs recrutés du côté du patronat et des grandes fortunes.
Il fut un temps où des étoiles étaient jaunes, une époque où des triangles d'autres couleurs étaient cousus sur les pauvres besugnes des déportés... Les tziganes avaient le leur, les opposants politiques étaient en rouge et le rose signalait les homosexuels...
Ne manquerait-t-il pas à certains que le sinistre manteau de cuir noir ?
L'étranger, le différent, l'autre tout simplement serait d'abord un danger avant même d'être considéré comme son semblable... Faut-il supporter qu'un peu plus d'un demi siècle plus tard, trois génération étant passées pour en gommer la mémoire, la folie du pouvoir de quelques hommes en condamne des millions d'autres à l'inhumanité ?
NON.
Souvenons nous ; la mémoire n'appartient pas qu'au passé.
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