mardi 18 juin 2013

1792

221 ans ont passé depuis que Condorcet a proposé à la nation bientôt républicaine son Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique
... « Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à la raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de commande seraient d’utiles vérités ; le genre humain n’en resterait pas moins partagé en deux classes : celle des hommes qui raisonnent, et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves. »

Le plan qu'il présente à l'Assemblée nationale le 20 avril 1792 mériterait d'être relu par beaucoup... (à lire sur le site de l'Assemblée Nationale).
Plutôt modéré du côté Girondins et victime de la persécution Montagnarde Condorcet visionnaire à court et bien long terme soulignait là le risque mal conjuré de l'accaparement de la Révolution par ses nouveaux maîtres. La bourgeoisie prenant le pouvoir remplace le privilège de la naissance par celui de la fortune ; et c'est plus tardivement, après les premiers temps de la Révolution sous les auspices de la Liberté, après un second temps valorisant ensuite les vertus de l'Egalité (l'année où Condorcet écrivait ces lignes), que viendra le temps de la Fraternité. Le troisième terme du triptyque de la devise inscrite au fronton des édifices publics vient à temps pour établir une forme de pacte social entre les nouveaux maîtres et les nouveaux esclaves.
L'émancipation populaire de la Révolution a d'autant plus souffert que les apprentissages de la démocratie ont permis l'établissement des notables dont l'aisance de la fortune et du discours garantissait la maîtrise d'un peuple qui croyait échapper ainsi au carcan de l'Ancien Régime. C'est cette complaisance avec les pricipes d'une émancipation réelle et durable qui permit ensuite quelques succès aux vélléitaires de la monarchie avec les restaurations successives et au glissement progressif de l'idéologie bourgeoise de plus en plus loin des aspirations populairees. N'est-ce pas dans ce creuset que Marx et quelques autres ont pu très justement décortiquer le concept des classes et de leur antagonisme ?

Si l'histoire ne se répète pas, il arrive parfois qu'elle bégaye ! Et chaque Révolution, exutoire de l'insupportable pression imposée au peuple vient à triompher, il ne s'en faut guère que ses bénéfices soient rongés par une frange modérée qui s'impose comme un moindre mal... quand ce n'est pas le retour de bâton plus brutal des forces les plus réactionnaires. La Commune de Paris avait institué l'école de la République. Mais on ne retient le plus souvent aujourd'hui que celle de Jules Ferry dont la générosité des principes de l'école publique, gratuite, obligatoire et laïque est à rapporter aux exigences d'une bourgeoisie pour laquelle le développement de ses entreprises dans la Révolution Industrielle exigeait des "nouveaux esclaves" un minimum de savoir pour savoir faire. 
La Révolution du Plan Langevin Wallon au sortir de la seconde guerre mondiale n'a pas eu lieu même si quelques uns de ses principes ont tenté de germer. Bien plus que la démocratisation, c'est la massification scolaire qui a prévalu à la fin du XXème siècle et c'est dans ce même temps que l'égalité des chances a pris le pas sur l'égalité. Et tous les discours généreux et justes sur la différence ont surtout servi à valider les différences les plus insupportables comme préceptes intangibles.

Est-il si curieux que depuis plus d'un siècle, chaque fois qu'une inspiration populaire et l'exigence du progrès social bien partagé venait au pouvoir c'est la couche molle d'une gauche de la résignation et du compromis qui en ruinait l'espoir.
1936 et la guerre d'Espagne, 1938 et Munich, 1947 et la fusillade des grévistes, Guy Mollet et la Guerre d'Algérie, l'Europe des marchands avec Jacques Delors, l'OMC avec Pascal Lamy avant le FMI de DSK... 
Le processus de décentralisation entamé dans les années 80 de Mitterrand vient à point pour satisfaire les appétits du monde de la finance pour qui l'Etat est le buttoir suprême. Le dogme du "moins d'Etat" devient quasi universel...  Après la révolution monétaire de Giscard en 1972, les freins sont desserrés pour que les socio-démocrates de toute l'Europe jouent la carte de l'alternance tranquille avec les conservateurs en instituant un social libéralisme dans un processus électoral qui désespère les peuples (abstention de plus en plus massive).

Pour refermer la boucle de Condorcet dont les socialistes d'aujourd'hui se réclament dans quelques cercles de réflexion en France, ne doit-on pas constater que le pouvoir politique est aujourd'hui pollué, confisqué 
  • au détriment de ceux qui fondent leurs opinions d’une opinion étrangère, l'illusion de Liberté.
  • par une minorité qui s'accaparent l'accès à la raison pour mieux rester maîtres de ceux à qui on octroie généreusement le droit de les croire, l'ombre de l'Egalité. 
  • au détriment de ceux qui croient que des opinions de commande sont d’utiles vérités en confondant pour leur propre perte Fraternité et courtisanerie.
C'est à l'aune de cette connaissance que j'examine les velléités réformatrices du gouvernement français qui ne sont qu'autant de préfigurations d'abandon dans une forme de révision idéologique libérale.
  • La réforme de l'école signe la perte de la dimension nationale de l'Education et masque un désengagement de l'Etat qui va laisser exploser ses ravages dans une école de la République devenue laboratoire des différences dans les mains d'élus alchimistes cuisinant le "Projet Educatif de Territoire"...
  • L'acte III de la décentralisation satisfait les ambitions des pouvoirs régionaux au détriment de la démocratie locale et du pouvoir régulateur de l'Etat...
  • L'absence d'inflexion du processus d'intégration européenne signe la perte de la démocratie politique à l'échelle du continent et ouvre un nouveau cycle calé sur la différenciation et la concurrence entre les peuples...
Qu'y-a-t-il de Gauche dans tout ça ? Si vous ne trouvez rien, allez chercher dans la réforme des retraites avant d'examiner les résultats de l'élection législative partielle de Villeneuve sur Lot.

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