vendredi 18 janvier 2019

sous l'empire des "bons à rien"

"C'est n'être bon à rien de n'être bon qu'à soi."
signé Voltaire

Cette citation peut illustrer le portrait paradoxal de cette figure emblématique de la France qui raffolait de la fréquentation des grands et menait lui-même aussi grand train tout en se passionnant pour des causes qui en feront un inspirateur de la Révolution puisant au Siècle des Lumières des valeurs encore fortes aujourd'hui, la liberté, l'égalité...
Dans cette maxime le philosophe met l'individu face à son destin d'autre lui-même. Il initie un concept de société qui préfigure la République sociale, celle dans laquelle le bien public se construit dans l'action collective, celle dans laquelle l'individu grandit dans l'interdépendance parmi ses semblables.
La dialectique du singulier et du pluriel, deux siècles et demi après Voltaire se déploie aujourd'hui dans une logique régressive qui voudrait établir la primauté de l'individu sur le collectif, une perspective dans laquelle la concurrence l'emporte sur la coopération.
La nouvelle vertu se grime pour mieux abuser les consciences. C'est le mythe de l'entreprise bienfaitrice de l'humanité face à la horde inquiétante des travailleurs qui la font, illettrées de Gad comme disait Macron ou sans-dent pour Hollande... Vive l'autoentrepreneur accédant au monde des maîtres qui font les esclaves, et qui à défaut d'en faire d'autres s’assujettissent de leur plein gré...
Il serait aujourd'hui normal d'être précaire, à temps partiel, en CDD, intérimaire ou chômeur jetable et corvéable à merci quand on est travailleur ; mais le patron, lui, l'entrepreneur lui, ne se conçoit bien qu'exploiteur à temps complet, dégagé des contingences  de la vie et de ses aléas. 

Il serait normal aujourd'hui de devoir accepter une baisse de son salaire pour conserver le "privilège" de son emploi, ou de subir des années durant l'absence d'augmentation de ses revenus quand son travail produit une augmentation significative des richesses, blocage des salaires et des pensions de retraites, dégradation constante des conditions de vie de la masse des citoyens de toutes générations ; mais l'actionnaire, lui, le spéculateur, lui, d'ici ou d'ailleurs, ne peut respirer que dans la bulle spéculative de sa rente dopée à 15 ou 20% de rendement annuel, sangsue grasse du sang et de la sueur des autres (57 milliards de dividendes versés aux actionnaires du CAC 40 !).

Il serait normal aujourd'hui d'être locataire à un tarif abracadabrantesque qui n'est plus supportable qu'au prix d'une aide publique qui permet au bailleur d'engraisser toujours en faisant flamber le prix de l'immobilier sous la "loi du marché" qui met des dizaines de milliers de femmes d'hommes et d'enfants dans la rue... ce qui n'empêche pas ces "privilégiés" naturellement exonérés de la taxe d'habitation de payer l'impôt malgré eux et bien au-delà de leur capacité avec la TVA... Mais pour les propriétaires du porche d'où on les déloge, rien n'est plus simple que d'éviter l'impôt avec les dispositifs de réduction d'impôts, de déductions fiscales, du crédit d'impôt, de tout l'arsenal qui va jusqu'à subventionner l'emploi du personnel de maison des rentiers ; vive l'optimisation fiscale qui fait prospérer le patrimoine de ceux qui ont tout au détriment de ceux qui n'ont rien.

Il serait normal aujourd'hui de vivre en zone blanche dans des territoires sans école, sans poste, sans gare, sans perception, sans réseau téléphonique fiable, sans belle route autre que la route privatisée à péage... une vie en apnée républicaine plongée dans les eaux troubles de l'argent roi.

A y regarder de plus près, Voltaire l'avait bien vu, chez ceux qui nous gouvernent, petits commis de maîtres discrets derrière les hauts murs de leurs domaines, faibles sous influence des groupes de pression qui les nourrissent ou parvenus dans l'illusion d'appartenir au même monde dès lors qu'ils s'en approchent, la plupart ne sont guère bons "qu'à soi", jusqu'à en oublier parfois la différence entre bien public et confort particulier.
Affaire de l'hippodrome de Compiègne, succession de Daniel Wildenstein, Carlton de Lille, financement occulte du Parti républicain, tramway de Bordeaux... Affaire Guérini, Balkany, Serge Dassault... Affaire Karachi, affaire Sylvie Andrieux, Affaire Ziad Takieddine, Affaire Total, affaire Woerth-Bettencourt, affaire Sarkozy-Kadhafi, Cahuzac, Lamblin, formations professionnelles d'EELV, Bygmalion, Tapie-Lagarde, sondages de l'Élysée, Thévenoud, eurodéputés du FN, Fillon, Le Roux, affaire Jeanne, affaire des mutuelles de Bretagne ou affaire Ferrand, affaires des eurodéputés du MoDem, affaire Business France... Tout en respectant la présomption d'innocence, ça fait quand même beaucoup depuis moins dix ans avant Benalla !

Les petits arrangements avec la morale, les petites entorses à l’honnêteté, les petits oublis du bon moment, toutes les roueries attachées au cortège du pouvoir ou à la laisse de sa conquête sont venus à bout d'une cohésion sociale qui s'étiole, d'une citoyenneté fragilisée, jusqu'à ce que l'image de soi se pervertisse dans les réseaux sociaux, réduisant le collectif républicain à une collection de communautés qui s'épient. Diviser pour mieux régner... et d'autant mieux prêcher le "vivre ensemble" qu'on s'en isole en maître.

Voltaire avait raison, et c'est bien à ce qu'il est "prêt à tout" qu'on reconnait mieux le "bon à rien" qui n'est "bon qu'à soi". 
Quand tout les autres prennent envie de mieux vivre ensemble, ça s'appelle une Révolution, et la prochaine ne sera pas la première...

... à bientôt !


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