vendredi 19 avril 2013

Vous avez dit rythme ?

La réforme engagée par le gouvernement à l'école élémentaire avec la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République s'affiche souvent sous le titre trompeur des "rythmes scolaires". Et tous les débats qui entourent cette transformation sont calés sur le "temps d'à côté" dégagé sur chacun des quatre jours pour nourrir la demi-journée supplémentaire, sur sa place en pause méridienne ou en fin d'après-midi, et sur l'encadrement de ce temps d'activité sous la responsabilité des communes, émiettement des temps d'activité, disponibilité des ressources, financement...
Le gouvernement a bien su jouer sa partition ; y compris en autorisant les dérogations permettant une application différée d'un an. En effet, dans ce processus accéléré la question de fond est complètement occultée, masquée par des aspects gestionnaires qui n'auraient pas lieu d'être si dans cette affaire l'Education Nationale était restée "nationale".
Or dans cette aventure, le fond est bien dans le changement de statut de l'école de la République qui devient municipale ou territoriale, ce qui ouvre la voie à une nouvelle géographie scolaire s’appuyant sur les nouvelles communautés de commune, d'agglomérations ou métropoles appelées dans l'acte III de la décentralisation.
Pour saisir l'essentiel il faut aller à la page 36 de l'opuscule ministériel à l'usage des mairesUn guide pour accompagner les maires dans la mise en oeuvre de la réforme des rythmes scolaires ". Tout y est présenté comme allant de soi avec la mise en oeuvre du "Projet éducatif territorial"... S'est-on jamais interrogé sur la légitimité d'un tel projet ?
Outre le fait qu'il a vocation à fédérer les ressources en associant à l'initiative de la collectivité locale les services de l'Etat dans le domaine de l'éducation, de la jeunesse, des sports et du secteur associatif, de la famille, les associations, institutions culturelles et sportives, les parents d'élèves, etc. Ce volet transpire la démagogie du projet en donnant l'illusion d'une forme de démocratie participative déconnectée de la maîtrise des moyens, et tout au plus propice à en faire accepter l'insuffisance sans trop de manifestations.
Du fait de ce projet territorial, et sans préjuger des compétences en la matière mobilisées localement, c'est en naviguant au milieu d'une multitude de projets que les enseignants vont devoir mettre en oeuvre leur "projet d'école". La réforme Peillon ne supprimant pas les cadres contractuels existant PEL, CEL, CLAS, CEJ, ne doutons pas que la cohérence sera au rendez-vous !
Tenant compte des ressources locales dans le milieu associatif, le PEDT va devenir un outil d'encadrement du monde associatif.
En tout état de cause, ce que cette loi organise, c'est la fin programmée d'une Education Nationale indépendante des inégalités territoriales et c'est un pan entier des fondamentaux républicains qui va voler en éclats avec les nouvelles mesures de décentralisation qui s'annoncent.
La réforme Peillon, c'est d'abord "MOINS D'ETAT".
C'est aussi un des biais qui va justifier la perte des communes au profit des intercommunalités dont on nous dira bientôt que c'est à leur niveau qu'on atteint la taille critique de l'efficacité et de l'exercice des responsabilités... jusqu'en matière scolaire.
Droite et gauche confondues, depuis plus d'une décennie, tout est bon pour reconfigurer la carte scolaire à l'échelle plus vaste des cantons ou des communautés de communes.
Economies obligent, depuis longtemps les élèves des campagnes prennent le bus pour aller à l'école ; alors, un peu plus loin, ça passe sans difficulté, puisqu'on nous dit que c'est pour leur bien... Moins d'enseignants dans les zones rurales parce que ça "coûte cher" avec les petits effectifs !!! et puis ce n'est pas l'Etat qui paye le bus...
Avec la réforme Peillon, ce n'est pas le financement des "activités nouvelles", ni la structure des emplois qu'elles suscitent qui font problème. Les solutions sont en filigrane dans les textes de la réforme et c'est une autre école qui pointe son nez au détour du texte :
La fin des écoles communales (déjà largement engagée avec la ruralité sinistrée et les regroupements qui l'accompagnent).
La "territorialisation" de l'école qui va officialiser et faire exploser les différences d'un "territoire" à un autre.
La prochaine étape, peut-être pas si lointaine, concernera le recrutement des enseignants dont les zélus souhaiterons adapter le profil à leur "Projet Éducatif Territorial".

La question des rythmes scolaires est tout autre ; peut-être faudrait-il considérer l'ensemble de la vie de l'enfant et son articulation avec la vie de ses parents, ou de son parent depuis la montée en puissance de la part de familles monoparentales. Et souvent le constat serait fait que l'enfant est d'abord soumis aux aléas de l'activité ou de la non activité familiale pour perturber l'à-côté de sa scolarité. Ensuite l'école s'est souvent éloignée, surtout en milieu rural et le trajet devient un temps important de la journée de l'écolier ; ceci n'est pas anodin, dans les embouteillages urbain comme dans les bus des campagnes. Le temps de l'école lui mérite un autre examen, c'est celui des élèves et des enseignants. 

Si les journées des élèves ont trop "chargées", et sans grande modulation de la petite section de maternelle au CM2 en terme d'amplitude, il est tout à fait possible de réfléchir à la nature et à l'assemblage des activités dont l'alchimie éducative puisse satisfaire la curiosité et le bonheur d'apprendre des petits comme des plus grands. 
C'est sur ce terrain que devraient être réexaminés les programmes et l'outillage éducatif de leur mise en oeuvre à l'école comme hors de l'école. Cette continuité dans le respect de la différence entre l'école, la famille et les espaces intermédiaires d'activité mérite d'être aussi travaillée.
Pour ce qui est de l'espace professionnel des enseignants, force est de constater qu'il a beaucoup changé au fil des réformes et surtout des coupes budgétaires ruinant l'espace éducatif institutionnel et mettant cautères sur jambe de bois avec des dispositifs et des personnels à bon marché. La dégradation des conditions de vie et d'exercice professionnel des enseignants doit absolument faire l'objet d'un état des lieux qui permettrait de dégager les grandes lignes d'un repositionnement des professionnels de l'éducation dans le paysage social du pays. Le niveau de recrutement ne saurait palier l'absence de formation professionnelle. La formation continue et la réserve reconnue d'un temps de recherche et d'étude sont indispensables à la reconquête d'un espace professionnel reconnu et générateur de l'innovation et de l'engagement nécessaire à l'accompagnement de la réussite de tous les jeunes confiés à l'école.
Les déclarations d'ambition ne sauraient suffire, encore faut-il que les moyens afférents soient engagés avec un effort budgétaire conséquent,

  • pour les salaires et les pensions de retraites, 
  • pour un recrutement en nombre suffisant des personnels fonctionnaires d'Etat titulaires nécessaires assurant l'ensemble des activités éducatives à l'école, 
  • pour la formation initiale et continue, 
  • pour un équipement égal des écoles en tous points du territoire national
  • pour la recherche pédagogique
  • pour la conception, la réalisation et la diffusion publique des ressources pédagogiques
  • ...
  • pour regagner la maîtrise publique de l'Education Nationale (ce qui suppose que l'argent public ne soit pas plus dispensé dans le privé...).

L'attractivité du métier d'enseignant (comme les professions de santé ou d'utilité sociale en général) est à la fois liée au niveau de rémunération dans le cadre d'un rétablissement des valeurs du projet de société fondateur d'une nouvelle République. Elle est aussi liée à tous les éléments conjoncturels (renversement des logiques du moins d'Etat et de casse sociale dictées par les "impératifs" de profit des marchés financiers) et contextuels (réappropriation de l'école dans le paysage social de toutes les couches de la population).
L'école ne sera pas sauvée du désastre dans lequel elle plonge depuis des décennies dans un monde qui continue d'être sous l'emprise de ses démons de l'argent roi ; de la même façon que la faim dans le monde ou la misère de nos rues ne seront éradiquées tant que les peuples, dont le nôtre, toléreront que  des milliards de milliards soient soustraits à la richesse commune par actionnaires et spéculateurs réunis.

Dans ces conditions, l'ampleur et les ambitions de la loi sur la refondation de l'école manquent singulièrement d'ampleur dès qu'on s'écarte des mots pour passer à la chose.
Toutes inquiétudes confondues, la raison aurait voulu qu'un tel projet soit retoqué sous les Ors de la République... Le meilleur moyen d'en démontrer la nocivité passe par sa mise en oeuvre ; car c'est bien au pied du mur qu'on voit le maçon, et au pied du "Projet Educatif Territorial", devant la page blanche qu'on va mesurer capacités et compétences à le concevoir et à le mettre en oeuvre...
C'est bien là que se révéleront les "vices cachés" de la réforme, et l'insuffisance des moyens qui l'accompagnent.

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