lundi 30 mars 2015

L'éclipse



Ce 29 mars a parachevé les dégâts du bouleversement électoral de la semaine passée. La droite regagne largement son terrain perdu ; l'extrême droite submerge les consciences... La gauche est dite victime de ses divisions...
Comme pour profiter utilement du spectacle de l'éclipse du soleil il y a peu, ne serait-il pas nécessaire, pour analyser le phénomène électoral des départementales, de se munir d'un filtre qui évite l'éblouissement, voire même la brûlure du sens.

Pas plus que la petite lune froide ne fait véritablement disparaître un soleil bien plus gros qu’elle dont 'elle masque un instant les éclats à nos yeux, les vieilles lunes de la droite bourbonnaise se félicitant bruyamment à tort dans un département dont les racines de gauche ont encore fait montre de leur solide ancrage. Tout au plus ces vieilles lunes profitent-elles de l'occasion pour obscurcir un paysage politique dans lequel les demi-teintes sont depuis longtemps plus à la mode que les couleurs franches.

C'est du côté de la scène politique et du spectacle que les titulaires du rôle se passent le relais. Derrière un rideau de scène désormais bleu, la mise en scène du scénario des nouvelles compétences du conseil départemental exécutant les commandes d'un Etat conduisant à droite ne devraient pas poser trop de problème à de nouveaux élus qui ont aussi à cœur de réduire la dépense publique avec moins de fonctionnaires et qui naturellement "aiment l'entreprise" autant que Valls et Macron réunis.

Hier soir, déception et amertume oblige, on a pu entendre que le département de l'Allier avait été perdu de quelques dizaines de voix…

Pas si sûr... Pas plus qu'il n'aurait été regagné par une vieille expérience politicarde. Il va falloir bien étudier les chiffres des résultats, commune par commune pour comprendre l'évidence du renversement de tendance.

La première des choses, avant de se hasarder sur la plus juste représentation des femmes dans l'assemblée départementale, aurait été de s'inquiéter de la moitié des femmes qui n'ont pas pris le chemin des urnes qui leur avait été ouvert il y a plus d'un demi siècle sous l'influence des communistes au sortir de la guerre. Elles doivent bien aussi assurer la parité chez les abstentionnistes.

La deuxième première des choses aussi aurait pu être de s'interroger sur la progression de l'influence de l'extrême droite d'abord poussée par les deux moteurs de sa surmédiatisation et par l'arithmétique du fait que la proportion d'une part bien déterminée grandit dans un ensemble où les autres forces démotivées désertent l'engagement par le vote. Gageons que 20 % d'abstentionnistes passés par les urnes auraient d'abord remplie l'escarcelle de la gauche, et un peu sans doute de la droite parfois, ce qui aurait ramené le pourcentage du FN à un niveau moins conséquent. Ensuite, dans la clientèle déboussolée et manipulée par les gourous de l'extrême droite, la progression en % masquant une progression bien moindre en masse est aussi exploitée pour rendre l'image plus porteuse et nécessairement incontournable dans la logique de victimisation que les Le Pen pratiquent sans cesse en alternance avec leurs éructations insupportables.

La troisième première des choses à proposer en analyse dès hier soir pour casser la patte d'un vilain petit canard rose qui se refait des plumes sur le dos des communistes, aurait été d'évoquer le prétexte de la division de la gauche pour justifier d'une poursuite accentuée de la politique socialiste qui vient de se fracasser sur le mur des urnes. Quelques penseurs d'occasion, à gauche comme à droite avance la logique d'une perte des élections intermédiaires pour les forces au pouvoir. Une fatalité ?

Encore une baliverne pour qui observe le phénomène. Quand la droite est au pouvoir, il lui arrive de perdre des élections intermédiaires quand sa politique est tellement insupportable à beaucoup qu’une majorité des électeurs vient ainsi la sanctionner. Et dans ce cas ce n'est pas le "manque de droite" qui sort des urnes, mais bien le besoin de justice et de démocratie dont la gauche devrait être naturellement porteuse.

Quand la gauche est au pouvoir, et les rares fois où ça lui est arrivé depuis ne serait-ce que l’avènement d'une République en 1792, il lui est aussi souvent arrivé d'être désenchantée par les résultats d'élections intermédiaires. Que lui reprochent alors les électeurs mécontents qui, pour les indécis du centre rebasculent à droite ou pour les plus exigeants qui votent avec leurs pieds ? Ce n'est pas de trop de gauche... mais de trop peu, des promesses non tenues, voire même de reniements qui conduisent le plus souvent les socialistes timides réformistes marieurs de la chèvre et du chou, à pratiquer une politique de droite dès lors qu'ils sont au pouvoir. L'expérience de l'Allemagne de Schroeder, de l'Angleterre de Blair peuvent conforter l'actualité d'un pouvoir en France qui voit Hollande, Valls, Macron et leurs pairs à Paris, Moscovici à Bruxelles et quelques autres ici et là imposer au pays une politique qui ne rompt en rien avec ce que la droite rêve tout haut d'accélérer. Le président du MEDEF n'en réclame-t-il pas toujours plus sur la pente glissante de la politique économique et sociale du gouvernement.

Non, les élections intermédiaires ne sont pas nécessairement fatales au courant qui gouverne, elles ne le sont que pour exprimer la souffrance d'un peuple qui ne comprend pas nécessairement les causes de ses misères puisqu'en mouton de Panurge il va s'abriter sous l'aile de ses plus surs bourreaux.

Quant à la division des forces de gauche, implorer sa disparition ne saurait suffire à la chose si on observe les différences d'appréciation dans l'analyse de la situation comme dans les remèdes à apporter aux dysfonctionnements qu'on constate. Le congrès de Tours avait en son temps matérialisé la séparation du courant réformiste de son concurrent révolutionnaire dans les débats tourmentant les socialistes du début du 20ème siècle. L'alchimie de l'Union de la Gauche n'a jamais réduit au néant des divergences de fond qui n'avaient pas empêché les communistes de promouvoir le "Front Populaire" en 1936 dans une orientation que les socialistes allaient déconsidérer en prônant la non-intervention dans la guerre d'Espagne.

Plus tard après la Libération quand les communistes étaient à la tête des mouvements pacifistes et des luttes anti coloniales, ce sont bien les socialistes de Guy Mollet qui ont embourbé le pays dans la guerre d'Algérie.

Et la liste des reniements de politiques réformistes d'autant plus fragiles que leur seul objectif réside dans la conquête et l'occupation du pouvoir ne s'arrête pas aujourd'hui. Dans ce paysage, ce qui a disparu sous le voile des exigences de l'union de la gauche sous de multiples formes depuis la fin des années 70, c'est la spécificité de l'offre politique des communistes dont le parti n'existe plus aujourd'hui qu'en outil accessoire de ses élus. Pour évoquer l'union, encore faut-il que les parties existent, se reconnaissent et se respectent. C'est autre chose qu'un petit jeu de chaises musicales dans lequel on trouverait l'alternance politique d'autant plus normale qu'on l'attribue à la versatilité de l'électorat plus facilement qu'à l’impéritie du personnel politique.

Quand l'exercice du pouvoir redeviendra ce que d'illustres martyrs de la cause démocratique en faisaient, autre chose que le Graal de quelques prétentions dérisoires, le véritable sacerdoce de l'engagement au service des autres, alors les citoyens pourront peut-être se sentir plus naturellement concernés par la chose publique. 

Ce n'est pas le hasard qui préside au choix de l'intitulé du petit moment de divertissement caustique de Canal+ ; au théâtre de guignol le spectateur connait à l'avance les ficelles du scénario et il n'est pas grave qu'on voit aussi celles du marionnettiste. Le théâtre politique d'aujourd'hui en est-il si différent ?

Faut-il aller jusqu'aux abords de Paris pour s'indigner du jeu d'argent qui a gâté le monde politique ou suivre avec indifférence le traitement judiciaire des rares affaires politico-financières qui arrivent à sortir ? En même temps qu'il se professionnalisait sur un modèle voisin de celui du sport, conférences aux cachets mirobolants de Sarkozy ou prestations de consultants de Strauss Kahn... on peut même parler parfois de "transfert quand on entend hier soir qu'une élue UDI rejoindrait le FN ; n'a-t-on pas connu au petit niveau de notre ruralité des migrations du PC au PS ou du PS rejoignant l'équipe du Front de gauche... Triste mercato !

Toutes ces évolutions étranges ne sont pas étrangères au phénomène MAJEUR qui se confirme avec un taux d'abstention calé sur la moitié du corps électoral.

Et même si dans ce domaine comme dans d’autres, les écarts se creusent entre les vedettes achetées à prix d'or dans les institutions européennes et les gagne-petit de l'indemnisation de quelques mandats locaux qui font primes salariales et compléments de retraite, les choses ne risquent pas de changer.

Dans l'Allier l'expérience de la parenthèse 1998-2001 n'aura donc servi à rien. Invoquer le nom du PCF dans un tel désordre ne peut guère conduire qu'à l'anéantir un peu plus. Le "jeu" politique n'est pas un manège de fête foraine. L'épisode des élections départementales signe la sanction de la réforme territoriale et la conduite des élus qui l'accompagnaient en se donnant en spectacle. 

Entre autre effet que bien peu de commentateurs reprennent, c'est un redoutable outil de bipolarisation qui, en faisant surtout voler en éclat les espoirs de gauche, va faire arbitrer le débat droite dure contre gauche molle par l'extrême droite... Quelle perspective enthousiasmante cette situation nous réserve dans cette fin de semaine...

L'objectif des régionales n'est-il pas trop proche pour considérer le crash inévitable ? D’autant plus qu’il va falloir recycler des déceptions en ambitions de sauvetage…

Aujourd'hui, c'est Marianne qui tambourine à la porte du cockpit. Et le drame est d'autant plus grave et prévisible que les copilotes précipitant la République à sa perte dans le gouffre sans fond du capital, aveuglés par l'extrême droite, secoué par les gesticulations de l'énervé de droite sont toujours bercés par les vieilles rengaines de la bibliothèque rose, et ne change pas de cap.

Demain, qui va ramasser les miettes ?

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