lundi 20 octobre 2014

Les rapaces

Parler de crise va bientôt devenir hors de propos.
Quand le Larousse nous propose une définition qui fait état de "Manifestation violente d'un état morbide, survenant en pleine santé apparente..." nous serions fondés à considérer que le mot est bien inapproprié pour désigner la situation actuelle. Que reste-t-il qui puisse figurer un état de "pleine santé apparente..." ? N'est-t-on pas face à l'accumulation pathologique intégrale de symptômes les plus divers qui fait que la maladie politique, économique, sociale ou morale constitue aujourd'hui la normalité et que la bonne santé fasse figure d'utopie ?
Comment caractériser ce que serait un état de "pleine santé apparente..." dans le monde d'aujourd'hui sur le plan politique, économique, social, culturel?
  • avec un personnel politique respectueux de ses engagements...
  • avec des orientations politiques fondées sur des corpus idéologiques clairement constitués...
  • avec une organisation régulière qui fasse prévaloir les idées sur les individus et l'intérêt général sur les intérêts particuliers...
  • avec une économie au service du progrès social plutôt que du profit financier...
  • avec une éducation garantissant le plein épanouissement des capacités de chacun au service de tous dans un véritable projet de société...
  • avec une formation initiale suffisante et une formation continue nécessaire au plein épanouissement du potentiel de chacun sur le plan professionnel comme sur le plan personnel...
  • avec une monnaie qui retrouve son usage d’intermédiaire des échanges, sortie de son statut de produit spéculatif...
  • avec une production respectueuse de la ressource mobilisée et des besoins en usage...
  • avec du travail pour tous dans un monde qui ne connaîtrait pas le chômage...
  • avec des salaires décents qui permettent au peuple producteur d'être naturellement consommateur de sa production...
  • avec des revenus de substitution décents (maladie, invalidité, handicap, accompagnement familial, retraite, etc)...
  • avec un juste équilibre entre temps de contrainte sociale (travail et autres activités) et temps de loisir et de repos (congés, retraite...
  • avec un juste équilibre entre les trois temps de la vie articulés sur l'activité sociale (formation, activité professionnelle, retraite)...
  • avec la maîtrise publique du bien commun (ressources naturelles exploitables, besoins vitaux en matière d'eau, d'énergie, de communication, d'accès à la nourriture, à l'éducation, à la santé, à la culture, etc.)...
  • avec de véritables services publics dont les agents fonctionnaires garantissent une délivrance égale pour tous en tout temps et tout lieu...
  • avec une action publique qui vise à long terme pour mettre la vie en perspective plutôt qu'elle se réduise à une kyrielle d'ajustements conjoncturels à l'échelle des échéances électorales...
  • avec une éthique et des exigences morales garantissant dans la gestion des affaires publiques des écarts de conduite et de comportement...
  • avec  une culture qui sorte du statut de produit de marché pour redevenir produit identitaire et ciment social...
  • avec une citoyenneté active dans une démocratie où la représentation élective ne rétablit pas les rapports de subordination 
  • avec cent et mille autres exigences qui redéfinissent les contours d'une nouvelle République dont la devise gravée au frontispice des bâtiments publics deviendrait "liberté, Egalité, Justice".
Le désordre de ce bric-à-brac fait malheureusement écho au pendant contraire de tous les maux qui font la réalité de notre quotidien. Il s'agit là d'une construction raisonnée de "maîtres du monde" qui s'imaginent que leur course au profit garantit l'éternité de leur domination.
Mensonges et faux-semblants font le quotidien des politiques d'aujourd'hui, de la buvette de l'Assemblée Nationale au comptoir du bistrot de la Grande-rue, qui, trop nombreux agissent sous influence de grands lobbys comme de petits intérêts particuliers.
En noyant les citoyens sous une avalanche continue de soit-disant "réformes" les antagonismes sont exacerbés entre les plus fragiles pour mieux garder les puissants à l'abri. La loi devient garante des privilèges qu'elle devrait abolir.
Les mesures sur le logement en sont emblématiques quand la puissance publique loge les patrimoines plutôt que les sans-abri.
La suppression d'une tranche d'impôt sur le revenu, sous couvert d'une distribution de pouvoir d'achat, accroît l'inégalité de traitement devant l'impôt et en détourne le sens aujourd'hui contesté de la contribution proportionnelle aux moyens de chacun pour la restitution à égalité de traitement de tous les citoyens. La réforme des allocations familiales relève du même principe. En entrant dans cet engrenage l'Etat s'expose à la contestation de la contribution proportionnelle qui entre dans la péréquation redistributive qu'il doit assurer.
Et comme le ridicule ne tue plus depuis bien longtemps on est passé en quelques semaines d'une "écotaxe" prélevée sur le transport routier pour le compte de l'Etat par une société privée étrangère prospérant comme aux temps des fermiers généraux en se payant sur la bête... à une contribution plus modestement prélevée morte née face à la pression du patronat des transports routiers... et devenir au bout du compte une banale augmentation du gazole infligée à tous... pas si sûr, car le transport routier revendique fort son exonération au prétexte du maintien de sa "compétitivité" ! Au bout du compte une contribution dont les seules cibles fixées au départ risquent d'être les seules épargnées...
Des élus communistes prônent la mise en concession autoroutière des routes quand la privatisation fait exploser les profits privés en imposant les péages aux usagers ou satisfaisant au "Partenariat Public-Privé" dont quelques organismes d'état dénoncent la composition en pâté d'alouette faisant la part belle au bénéfice du privé.
Créer les conditions du désastre pour mieux se justifier d'avoir à le combattre ; telle est aujourd'hui le fondement d'une activité politique "hors-sol", complètement dégagée des contingences de la réalité.
La société de classes est plus que jamais confortée sous l'égide de "la loi du marché" qui assigne l'action caritative et l'épicerie solidaire aux plus démunis, et toute la panoplie des magasins discount à l'épicerie fine des beaux quartiers assignant à chacun sa clientèle.
L'accroissement de la ségrégation sociale est bien la première résultante de la réduction de la politique au service de l'économie de marché, de assujettissement des politiques aux financiers. Tout ce qui fait division fait ventre dans cette vaste entreprise de soumission des peuples au capital. L'instrumentalisation du fait religieux et de la guerre confondus de l'échelle du quartier à celle de la planète entière fait peser sur la paix la même menace que sur la prospérité et le bonheur des peuples. Promouvoir ou contester la construction d'une mosquée ici, soutenir ou désigner à la vindicte telle faction ailleurs, tout se passe comme si la coopération et le partage étaient devenus impensables. La supplication du "vivre ensemble" érigé en slogan en est la triste preuve.
Quand les "Zones franches" d'aujourd'hui font écho aux "Villes franches" d'hier, l'unité républicaine du pays a du mal à survivre. Le formidable coup d'accélérateur mis dans le détricotage des structures infra étatiques conduit à la foire d'empoigne qui là aussi privilégie les logiques de concurrence à celles de la coopération. Des petites régions absorbées par de plus grandes qui le revendiquent ou s'en défendent, des départements disparaissant au profit d'une métropolisation des grandes aires urbaines... Des départements conservés là où le capital ne voit rien à gratter sur le désert qu'il a fait... Des "intercommunalités" aussi proches du citoyen que la commission européenne pour délimiter des espaces exploitables au profit des sociétés privées ne délivrant plus que "des services au public" à géométrie variable en fonction de leur profitabilité...
Le particularisme régional discriminant, dont on peut mesurer les effets en Italie, en Belgique, en Espagne, au Royaume Uni, où les régions qui se croient riches cherchent à s'émanciper de la charge des plus pauvres, devrait alerter les citoyens. A trop vouloir préserver le privilège de sa prétendue richesse face au pauvre de "l'à-côté d'en-bas", on devient vite victime consentante de la domination du plus puissant de l"à côté plus haut" qu'on courtisait  pour en partager l'image.
De ce constat, et de tous ses composants, l'exigence d'une nouvelle donne que Jean-Luc Mélenchon exprime parmi d'autres avec une 6ème République sonne le glas de l'ancienne. Cette exigence passe par une autre, celle de la convocation du peuple par le peuple à sa définition. La réussite d'un tel projet passe par la réappropriation de la politique, de sa pensée comme de son action, par un peuple de citoyens jusque là trompé par sa représentation. L'assemblée constituante nécessaire pour matérialiser l'invention du nouveau modèle démocratique dans l'écriture du texte constitutionnel n'est plus l'affaire des assemblées d'aujourd'hui.
Un grand projet de société républicain ne naîtra pas sous les ors ternis d'une vieille république qu'on rend boiteuse à force de scandales et d'affaires politico-financières. Les cahiers de doléances doivent s'écrire dans les plus petites collectivités villageoises pour que le peuple des citoyen retrouve ensuite dans les plus grandes généralités l'écho de ses propres préoccupations.
La démarche révolutionnaire n'a de violence à exercer que sur l'usurpation du pouvoir. Pour le reste la France dispose de suffisamment de références historiques en la matière depuis plus de deux siècles pour que son peuple sache conjurer les risques de détournement d'un mouvement émancipateur qui pourrait utilement se propager à l'Europe et au monde.




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