mercredi 19 juin 2019

Ça cloque, ça s'écaille...

Les vieilles peintures avaient parfois la fâcheuse habitude de se désolidariser de leur support sans rien dire et de "cloquer"...
Dans un premier temps ça ne se remarque guère, de loin ; mais au premier petit choc c'est fichu, il en part un morceau, tout est défiguré par cet accroc ridicule qui laisse apercevoir ce qu'on avait soigneusement voulu cacher.
La république d'aujourd'hui en est un peu réduite à cet état qui trahit une certaine insalubrité citoyenne révélée au fil des rendez-vous électoraux.
Vue de loin la république est encore rutilante avec un président qui avait commencé par faire de l'ombre à la pyramide du Louvre un soir de printemps 2017. Elle frémit dans les tribunes de ses grands stades qui portent désormais le nom de grands groupes financiers. Elle se pâme devant la réussite de ses industries d'armement qui rivalisent avec les autres grands semeurs de morts d’Amérique ou d'ailleurs. Les autres réussites ne manquent pas... Faites-en la liste.
A propos de liste, avec les municipales en ligne de mire pour l'an prochain, un article d'Annick Berger dans "Capital" peut retenir l'attention :

"LES MAIRES DES PETITES VILLES RÉCLAMENT UNE AUGMENTATION DE 49% DE LEURS INDEMNITÉS
L’Association des petites villes de France (APVF) demande une reconnaissance de la difficulté de la fonction.
Faut-il revaloriser les indemnités des maires des petites communes ? C’est en tout cas ce que demande l’APVF alors que le projet de loi pour améliorer les conditions d’exercice des mandats locaux doit être présenté en juillet. L’Association des petites villes de France dénonce ainsi des "indemnités non seulement très disparates d’un mandat ou d’une commune à l’autre, mais surtout déconnectées de la charge de travail réelle induite". Un sujet sensible alors que le mouvement des "gilets jaunes" a montré la défiance de nombreux Français à l’encontre de certaines catégories d’élus.
Dans ses 10 propositions pour les conditions d’exercice des mandats locaux, l’association estime qu’il n’est pas normal "qu’un maire d’une commune de 9.000 habitants soit rémunéré à hauteur de 2.128 euros par mois […] quand un conseiller départemental d’opposition, sans aucune responsabilité exécutive, est, lui, indemnisé à hauteur d’au moins 2.280 euros par mois". Face à cette situation, l’Association demande que "l’indemnité du Maire soit égale au salaire brut d’un Directeur général des services en fin de carrière", soit 3.172 euros bruts par mois pour les communes entre 2.000 et 9.999 habitants contre 2.128 aujourd’hui."

Qu'en pense l'association des "maires tout court" ? 
... l'association des maires ruraux ?
... l'association des maires des grandes villes ? 
... l'association des maires des villes thermales ?
... l'association des maires de droite de la huitième circonscription de Seine-et-Marne ?
... l'association des maires adjoints délégués à la culture du département des Yvelines ?
... l'association des maires des villes desservies par la ligne b du R.E.R. ?
... l'association des maires des communes girondines périurbaines rurales ?
... l'association des maires des communes de sports d'hiver et d'été de l'Isère ?
... l'association des élus libéraux et indépendants des Hauts-de-Seine ?
... l'association des élus vétérinaires ?
...

Rien à voir avec la peinture qui cloque ? Pas si sûr !
Tout se passe comme si la "politique", tout ce qui touche au gouvernement des affaires publiques à quelque niveau que ce soit, de l'Etat aux communes, s'était détachée de son support, qu'on l'appelle peuple, nation, pays, gens tout simplement.
Quand la moitié des citoyens du pays se désintéresse du choix des couleurs et du pot comme du pinceau, les "politiques" ne sont plus que placage plaqué sur un support sans accroche.

C'est ce qui ressort massivement des réponses de ceux qui ont voté comme de ceux qui n'ont pas voulu ou pas pu : "tous les mêmes", "de toute façon ça ne changera rien", "ah oui, il n'y a que ceux là qu'on n'a pas essayé... alors pourquoi pas...".

C'est ce qui ressort nécessairement dès lors qu'on analyse les résultats d'un scrutin en fonction des catégories sociales, des pauvres ou des modestes, des classes moyennes supérieures, des ruraux ou des urbains... comme si la citoyenneté se mesurait au thermomètre des comptes en banque.

Nier le concept de classe sociale pour le remplacer par des murs de casiers où ranger les uns et les autres en fonction de critères qui les isolent et exacerbent leurs concurrences internes a conduit à ce résultat dramatique qui fait qu'un travailleur pauvre survivant difficilement avec 1000 euros par mois s'insurge plus des "privilèges" d'un bénéficiaire du RSA que de l'indécence des grandes fortunes.
Nier le concept de classe sociale pour le remplacer par l'éloge du communautarisme et de l'individualisme qui fait son meilleur complice a conduit à ce que les travailleurs n'inscrivent plus leur travail dans la dialectique qui le lie au capital, mais plutôt au mérite particulier des uns ou des autres et à la conduite personnelle d'une carrière déconnectée des emplois dès lors qu'elle passe par "l'autoentreprise" ou les boîtes d'intérim...

Au début de ce nouveau siècle un premier ministre socialiste avait affiché l'impuissance de l'Etat face à un industriel "dégraisseur"... Une génération plus tard personne ne s'indigne des gesticulations d'un gouvernement qui brade un grand secteur industriel à  des capitaux étrangers avec la promesse de création de 1000 emplois  jamais tenue, pour ensuite en supprimer plus de 3000 ! Bien sûr, sur place tout le monde s'indigne sur la scène politique, toutes opinions confondues, promoteurs du capitalisme triomphant et opposants confondus ! ... et pendant ce temps là en coulisse, le capital tricote son gilet de profits en baptisant Plan de Sauvegarde de l'Emploi le plan de licenciement de plus de 3000 vraies personnes !

La couche des "politiques" en charge du bien public et celle des "maîtres de forges" d'aujourd'hui se confondent désormais dans ce qu'elles obscurcissent ensemble le ciel des peuples, l'une comme l'autre au seul service "exploitation" qui doit s'interdire les "déficits" pour mieux dégager son profit.
Les uns se chargent de pressurer les services publics pour faire le jus du privé et les autres mettent les peuples de la planète en concurrence autour d'un bol de riz.

Si l'existence des classes sociales persiste, le concept en est comme toujours âprement combattu par la classe dirigeante, et avec d'autant plus de succès aujourd'hui qu'elle en a perturbé la conscience chez ceux qu'elle exploite.
N'est-ce pas cette perte de conscience qui autorise aujourd'hui toutes les constructions politiques hors-sol dont les ressorts ne sont en tension que dans la couche de peinture qui s'écaille. La "grande victoire" des écologistes, les résultats piteux de tant d'autres aux dernières élections l'illustrent bien quand la gauche comme la droite s'étonnent de pertes abyssales au profit des nouvelles têtes de gondole... A bien y réfléchir, c'était un peu comme au supermarché :

  • une quantité pas possible de référence en rayon
  • des produits bien positionnés à hauteur des yeux avec de belles étiquettes promo (et une liste d'ingrédients écrite en si petits caractères qu'elle en est illisible).
  • des produits classés bas de gamme sur le rayon d'en-bas sans qu'on y voit le prix au kilo... de la pitance de pauvre.
  • et puis les bonnes affaires en tête de gondole, un ou deux produits pas plus, c'est le moment d'en profiter... même si au final on le paye plus cher qu'en rayon !

Il y a marché et super marché. Au marché on sait encore ce que c'est qu'un boucher ou un marchand de primeur, comme dans la rue commerçante on prend son pain chez le boulanger et ses sandales chez le marchand de chaussures... 
Dans les allées du centre commercial les rayons sont finalement les mêmes, les travailleurs accessoires des produits... et les comptables devant leurs écrans à l'étage surveillent à la fois la ronde des fourmis travailleuses et le défilé pressé aux tapis des caisses qui fait tourner les roulettes de la machine à sous.
Et pendant ce temps là d'autres vont aux Restos du cœur, les un devant, les autres derrière, les deux ensemble dans le même ailleurs.
Et pendant ce temps là d'autres sont sous les ponts du périphérique vou à faire la manche au feu du carrefour...

Ah oui, j'oubliais ! pendant ce temps là il reste aussi quelques clients chez Fauchon et dans les joailleries de la Place Vendôme... Mais là on ne fait pas la queue en caisse, on encaisse.

Alors, lorsque aujourd'hui les maires réclament aux parlementaires l'augmentation de leurs indemnités, ils se rangent bien dans la catégorie de ces grands dirigeants qui négocient dans l'entre-soi des conseils d'administration le niveau de leur bonus, de leurs stock-options ou de leur "retraite chapeau". Leur république est devenue leur entreprise, TPE pour les petites communes et multinationales pour les grandes métropoles, les ressorts de leur "gouvernance" sont désormais bien voisins, que la peinture soit rose ou bleue, qu'elle soit appliquée au pistolet ou au rouleau, quand elle se décolle c'est le vieux badigeon qui ressort qu'il est urgent de rénover avant que le vert de gris ne s'impose pour empoisonner la démocratie.

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