dimanche 14 juillet 2013

Un tour de tragédie

Parmi les festiv'étés certains passent par Avignon, par La Chaise Dieu ou par Arles. D'autres sacrifient à la communauté festive sur la route du Tour. 
Que n'a-t-on pas dit de "La grande boucle" et de ses "héros-forçats de la route" ?
La "petite reine" est un peu au monde sportif ce que "le piano à bretelles" est à celui de la musique, une conquête populaire. Un morceau d'émancipation.
Dans les loges du chœur de Rolland-Garros un silence religieux couvre de son blanc les "han !" et les "ploc !" des thuriféraires et de leurs hochets. Et quand bien même l'émotion gagnerait, le grand diacre perché qui prêche en chaire dans son code chiffré rappellerait bien vite les mécréants égarés à plus de discrétion.
Sur la route du tour le bruit est déjà dans les esprits avant de faire vibrer les bas-côtés, le paroxysme étant au passage aussi fugace qu'attendu des coureurs ; et ce n'est qu'après que le silence gagnera avec les sièges qu'on plie. Même les souvenirs des bouchons qui sautent, des chamailleries des gamins se disputant deux bricoles jetées en pâture par la caravane publicitaire, des coups de soleil, des coups de gueule vont faire du bruit sur la route du retour.
Evénement sportif, le Tour de France en vélo doit bien l'être un peu, un peu trop haut niveau même quand on voit les athlètes passer en belle côte à la vitesse que le quidam atteint péniblement en descente. Des hommes d'exceptions juchés sur des machines qui ne le sont pas moins font briller quelques éclats fugaces dans le déchaînement chamarré du spectacle. 
Aux jeux olympiques de la publicité les trois marches du podium sont raflées par le Tour avec la pub en vrai grandeur de la caravane, la noblesse des hommes sandwich en vélo et la foule des manants sur l'accotement qui s’accoutrent volontiers des mêmes armoiries que le seigneur dont ils brandissent fièrement l'oriflamme au passage.
Que se passe-t-il dans l'esprit de celle qui agite le fanion Cofidis pour oublier son surendettement ?
Qu'est-ce qui peut bien motiver celui qui porte fièrement le drapeau de la Française des Jeux en croyant qu'un jour viendra où il rejoindra Bernard Arnaud au firmament grouillant  des milliardaires sans se poser la question de la date de son départ en retraite de chez Wuitton ?
Et le gamin qui arbore fièrement le maillot à pois rouge sponsorisé par Carrefour sait-il comprendre pourquoi sa mère ne fait plus les course qu'au magasin discount quant elle n'est pas réduite à rejoindre les Restos du coeur ?
Le "Tour de France" est bien la plus grande manifestation populaire du pays et probablement une grande d'ailleurs aussi. D'inspiration sportive, elle est passée subrepticement dans le monde du spectacle, comme le foot et bientôt le rugby... L'alibi sportif ne masque plus de trop banales opérations financières, des machines à engraisser de fric, accessoirement sur de la chair humaine. Les affaires de dopages y sont aussi intimement liées que les trafics en tous genres à la misère.
Faut-il s'en satisfaire ? Faut-il rester indifférent ? Faudrait-il jeter le bébé avec l'eau du bain ?
Certainement pas en considérant celles et ceux dont la sueur perle longtemps dans l'ombre, les "régionaux de l'étape" comme ils disent, ceux qui rêve d'être en haut de l'affiche, celles et ceux sans qui les quelques uns qui sont promis à la victoire n'accompliraient pas leur exploit...
Le Tour a tout de la tragédie, son sens et son organisation.
Premier acte, c'est la présentation des personnages et de la situation, le prologue, le "village départ"...
Deuxième acte, c'est l’évènement qui perturbe, l'échappée belle...
Troisième acte, le peloton réagit, les maillots se ressaisissent, de nouvelles alliances se nouent...
Quatrième acte, l'écart s'étiole, le petit aventureux n'échappera pas plus à son destin de faiblesse que les puissants qui le coifferont sur la ligne, normalement vainqueurs.
Cinquième acte, c'est le temps du dénouement final, le spectateur peut reprendre sa respiration après qu'il soit maintenant sûr que personne n'a échappé à son destin, les "dieux" sont venus régler les choses, qui, même paraissant injustes devront être supportées.
C'est le rôle pédagogique de tous les grands cirques, de tous les grands jeux, de tant de manifestations aujourd'hui qui, comme hier, n'ont d'autre but que de chloroformer les consciences, et d'éviter la rébellion des faibles et des opprimés en leur inculquant la fatalité de leur triste destinée. 
Panem Panem et circenses...
Ils n'étaient pas si fous ces empereurs romains qui avaient compris qu'en donnant du pain et quelques distractions ils s'épargnaient les justes colères du peuple.



Tout compte fait, à 2000 euros la roue en carbone et quelques milliers de plus pour habiller un cadre de quelques accessoires, la machine n'est pas si chère... Sans moteur il est vrai qu'il est humain de payer par ailleurs ! Les voitures suiveuses des équipes portent sur leur toit pour plus cher qu'elles ne coûtent. C'est bien là le triste sort des bêtes de somme qui s'illustre ! La vie...
Et puis le vélo, ça ne se perd pas ! la première libération n'est-elle pas pour ceux qui passent par là de s'affranchir des "petites roues" pour gagner définitivement son équilibre dans le mouvement. Un raccourci de la vie en démocratie pour celles et ceux qui préfèrent la rude fraternité du peloton aux échappées solitaires sous les vivats de la foule spectatrice.
Mais aujourd'hui, dans la vie comme sur le tour les drapeaux ne sont-ils pas trop frileusement repliés pour ne pas effrayer l'ombre du sport qui passe devant les isoloirs vides de ceux qui scrutent un avenir aussi flou que l'image du pouvoir politique.



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